Sermon sur le renoncement de soi selon Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus
Mercredi dernier nous avons commencé le Carême. Cette période de 40 jours est un temps de pénitence et de préparation à la Semaine Sainte et à la fête de Pâques. La pénitence qui a été toujours pratiquée pendant le Carême, c’est le jeûne, et l’abstinence de viande. Depuis 1983, la loi de l’Église n’oblige plus les catholiques au jeûne et à l’abstinence de viande que le Mercredi des Cendres et le Vendredi Saint, mais il est fortement recommandé pour le bien spirituel de nos âmes de garder la sage pratique de jeûner tous les jours du Carême, sauf les dimanches et fêtes d’obligation.
S’il ne nous est pas possible de jeûner tous les jours en raison de notre santé ou de notre travail, efforçons-nous alors de garder l’abstinence de viande pendant le Carême, et de jeûner de temps en temps, le vendredi ou samedi par exemple.
Il y a une mauvaise façon de vivre ces pénitences de Carême, et de façon générale, tous les renoncements que nous demande la vie chrétienne. C’est de les vivre comme des contraintes et des privations pénibles, fatigantes, attristantes. La bonne façon de les vivre nous est montrée par Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus. C’est de cela que je vous parlerai aujourd’hui, en ce premier dimanche de Carême.
La nécessité du renoncement
Le but de notre vie, c’est d’atteindre le bonheur du Ciel, or la voie qui nous mène au Ciel, c’est Notre-Seigneur Jésus-Christ qui a dit : « Je suis le chemin, la vérité, et la vie. Nul ne vient au Père que par moi. » (Jn 14 ;6). Pour aller au Ciel, il nous faut donc suivre Notre-Seigneur. Mais Jésus nous a dit aussi : « Si quelqu’un veut venir après moi, qu’il renonce à lui-même, qu’il se charge de sa croix, et qu’il me suive. » (Mt 16 ;24).
Que veut dire « renoncer à soi » ? Saint Grégoire le Grand explique que renoncer à soi-même signifie ne pas suivre les mauvaises inclinations que le péché originel a causées en nous, réformer sa conduite, et se dépouiller de tout orgueil. Le péché d’Adam et Ève fut un péché d’orgueil, de désobéissance et donc d’indépendance par rapport à Dieu leur Créateur. Cette faute a marqué tout le genre humain, de telle sorte qu’il y a en notre volonté cette mauvaise inclination qu’on appelle la « volonté propre ». La « volonté propre » c’est notre volonté en tant qu’elle s’oppose à la volonté de Dieu, c’est notre volonté qui choisit de désobéir à Dieu, et ainsi qui est la racine de tous nos péchés. « Renoncer à soi » signifie sacrifier volontairement sa volonté propre pour s’attacher à la volonté de Dieu. Le renoncement de soi est donc radicalement un acte d’amour de Dieu. Il se fonde sur notre amour de Dieu, et il est l’expression de notre amour pour Dieu. Dans l’Évangile, Jésus dit d’abord : « Si quelqu’un veut venir après moi », ce qui veut dire « Si quelqu’un m’aime », et Il ajoute ensuite : « qu’il se renonce ». Se renoncer, c’est détourner son attention de soi-même pour la fixer amoureusement en Dieu. Chaque renoncement fait ou accepté pour l’amour de Jésus revient à lui dire : « Je vous aime ».
Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus et le renoncement de soi
Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus avait très bien compris cela. Et comme elle avait fait le choix de vouloir aimer Notre-Seigneur sans réserve aucune, elle fit le choix de se renoncer en tout, toujours et partout pour prouver son amour. Il y a deux façons de se renoncer : il y a les renoncements que nous donnons à Jésus, et il y a ceux que Jésus nous donne à travers les circonstances de notre vie afin de nous sanctifier.
Au sujet des premiers, Sainte Thérèse nous présente ces renoncements comme des preuves d’amour qu’on offre à Notre-Seigneur. Elle disait : « Malgré mon indignité, Jésus a bien voulu me prendre pour sa petite épouse. Maintenant il faut que je Lui donne des preuves de mon amour » (LT 121). Elle saisissait tous les renoncements qui se présentaient à elle chaque jour comme autant d’occasion de dire à Jésus « Je vous aime et je vous le montre». Elle encourageait à la générosité dans ces renoncements en disant à sa façon si simple et lumineuse : « Nous n’avons que les courts instants de notre vie pour aimer Jésus, le diable le sait bien, aussi tâche-t-il de la consumer en travaux inutiles » (LT 92). « Je ne veux laisser échapper aucun petit sacrifice » (Histoire d’une âme, XI). Elle disait aussi que Jésus veut nous donner un grand bonheur au Ciel en récompense de nos sacrifices, mais comment nous donnera-t-Il une récompense en retour, si nous ne Lui avons rien donné d’abord… Les renoncements quotidiens de Sainte Thérèse consistaient par exemple à réprimer un désir trop vif, ou une curiosité, ou un sentiment d’antipathie, à sourire, à dire une parole aimable ou à rendre un service alors qu’elle n’en avait avait pas l’envie .
La deuxième sorte de renoncements, ceux que Jésus nous donne à travers les circonstances de notre vie ou à travers nos supérieurs, nous sont généralement plus difficiles parce que nous ne les choisissons pas. Ce sont pourtant les plus efficaces pour notre sanctification. Il est essentiel de comprendre que ces renoncements sont des témoignages de l’amour de Jésus pour nous. Comment est-il possible que Notre-Seigneur nous témoigne Son amour en nous donnant des renoncements à accepter ? Parce que, par là, Jésus nous sanctifie et nous fait participer au salut des âmes. Sainte Thérèse écrivait : « Il en coûte à Jésus de nous abreuver de tristesses, mais Il sait que c’est l’unique moyen de nous préparer à Le connaître comme Il se connaît et à devenir des dieux nous-mêmes » (LT 57). Elle écrivait aussi : « Jésus veut que le salut des âmes dépende de nos sacrifices, de notre amour. Il nous mendie des âmes » (LT 96). Puisque les renoncements que Jésus nous donnent sont des témoignages de Son amour pour nous, Sainte Thérèse nous encourage, de façon simple et géniale, à accepter généreusement ces renoncements. Elle écrivait : « Il est dit que c’est bien plus doux de donner que de recevoir, et c’est vrai. Mais alors, quand Jésus veut prendre pour Lui la douceur de donner, il ne serait pas gracieux de refuser… » (LT 142). Elle disait encore : « Aimons Jésus assez pour souffrir pour Lui tout ce qu’Il voudra, même les peines de l’âme, les aridités, les angoisses, les froideurs apparentes… C’est là un grand amour d’aimer Jésus sans sentir la douceur de cet amour » (LT 94)
Renoncement et amour
Le renoncement chrétien n’est pas un repliement continuel sur soi, un examen continuel de soi, un effort violent et quasiment ininterrompu exercé sur tous les mouvements du corps et de l’âme. Ce n’est pas une contrainte impitoyable imposée à la façon normale de vivre. Ce n’est pas quelque chose contre nature. Le renoncement chrétien est un échange d’amour entre Jésus et nous. Sainte Thérèse écrivait : « Mon Directeur qui est Jésus ne m’apprend pas à compter mes actes : Il m’enseigne à faire tout par amour, à ne Lui rien refuser, à être contente quand Il me donne une occasion de Lui prouver que je L’aime, mais cela se fait dans la paix, dans l’abandon. » (LT 142).
Vers la fin de sa vie, sa sœur fit à Sainte Thérèse cette réflexion. « Vous avez dû beaucoup lutter pour vous vaincre si parfaitement. » Elle voulait dire que la pratique du renoncement pour Thérèse avait dû être violente, pénible, laborieuse, triste. Mais Thérèse, avec un regard profond, répondit simplement : « Oh ! ce n’est pas cela… ». Elle voulait dire : « Ce n’est pas une question de contention violente sur soi. J’ai aimé, beaucoup aimé ! et c’est tout. » L’amour rend tout facile et suave, même les plus grands efforts.
Conclusion
Mettons-nous à l’école de Sainte Thérèse. Durant ce Carême, pratiquons le jeûne et l’abstinence de viande que l’Église nous demande, et offrons des renoncements personnels comme témoignages d’amour pour Jésus. Recevons aussi avec amour tous les renoncements que Jésus nous donnera. En faisant ainsi, nous ferons un bon Carême, c’est-à-dire nous progresserons dans l’amour de Dieu.
Je me permets par ailleurs de vous recommander de lire les écrits de Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, surtout son autobiographie et ses lettres. Vous y puiserez une doctrine spirituelle très solide, parfaitement accessible et praticable par tous. Vous y puiserez une meilleure compréhension de l’Évangile, du Sacré-Cœur de Jésus et du Cœur Immaculé de Marie. Vous y trouverez une voie sûre et simple vers la sainteté ! Amen.
Un prêtre missionnaire au Japon