Rendre la vertu facile et agréable, par Paul-Raymond du Lac
La pratique prudentielle dans la direction temporelle comme spirituelle amène à se rendre compte de certains principes d’action, de bon sens, mais qui ne sont plus évidents aujourd’hui.
Ces principes ne sont pas que destinés à des directeurs spirituels, mais aussi à tout chef temporel qui, par définition, dirige aussi dans une certaine mesure les âmes de ses subordonnés ; et en tout cas il a la responsabilité de permettre au mieux la perfection de ses subordonnés, ce qui signifie, au niveau naturel, la pratique de la vertu et donc l’édification d’hommes vertueux, et au plan surnaturel, permettre à ces âmes de s’imbiber de grâce par l’accès aux sacrements, un bon enseignement et une bonne étude nourrissante.
Parlons d’un principe tout à fait clef, et bien perdu de vue, malheureusement, dans un climat post-janséniste qui veut une religion triste, et qui, par légitime réaction contre un confort débridé, aimerait que nous soyons des âmes sans corps.
Ce principe peut se résumer en la phrase suivante : « rendez la vertu facile et agréable à pratiquer ».
Les spirituels diraient : « on n’attire pas les mouches avec du vinaigre, mais avec du miel ».
Ce principe de rendre la vertu agréable doit d’ailleurs s’appliquer à soi-même : on peut se mortifier, faire des sacrifices, tout en restant étonnamment joyeux et en paix. Cette paix et cette joie, quelque soit les souffrances par ailleurs, sont un signe, selon les grands auteurs spirituels, d’une union avec Dieu et d’une avancée dans la vie spirituelle.
Quand on est éducateur (et tout chef est éducateur), il faut rendre la vertu aimable, et la rendre aussi facile que possible à la nature et au tempérament de chaque subordonné. Parfois, il faut trancher, et savoir aller contre des relâchements ou des vices, ce qui n’est pas contradictoire avec le fait d’éviter de mettre comme des obstacles psychologiques qui pourraient dégoûter, des entraves qui pourraient décourager à la vertu : l’entraînement militaire d’élite, comme l’étude – la pougne comme qui dirait – intensive, aussi dure soit-elle, est d’autant plus plaisante qu’elle est entourée de bonnes détentes, d’une saine camaraderie, de beaux objectifs, et d’un bel ordonnancement – dont le principal est l’objectif de la victoire sur le champ de bataille ou au concours.
Notre champ de bataille est ce monde, notre ennemi c’est nous-même et notre amour propre, la place à prendre est le paradis, et le concours c’est le jugement dernier qui approche chaque seconde avec notre mort : cela devrait nous motiver à être généreux ! En attendant travaillons pour que Jésus nous soit de plus en plus aimable, et que donc tout effort charitable soit de plus en plus aisé ; mais cela prend du temps, et la grâce pousse dans nos âmes comme une plante, lentement mais sûrement, et parfois avec vigueur, pour donner peu à peu de belles fleurs et de beaux fruits.
Que cela veut-il dire en pratique de rendre la vertu agréable et facile ?
Cela veut dire trouver les petites techniques et les petits « trucs » pour, en pratique, s’aider à pratiquer la vertu.
Prenons un exemple, pour nos clercs : les sermons.
Imaginez un prêtre qui ferait un sermon de 45 minutes, et en plusieurs langues, chaque dimanche, avec dans le public des personnes ne parlant pas une des langues, et des enfants. On comprend la bonne volonté, la volonté d’enseigner, et d’apporter une nourriture que trop d’âmes, en pays de mission, ne peuvent obtenir hors du sermon du dimanche.
Mais clairement cette bonne volonté conduit à la pratique difficile de la vertu de religion, de l’assistance à la messe dans de bonnes conditions, et même de l’obligation dominicale. Imaginez que cette messe qui durerait près de deux heures à chaque fois pourrait décourager les plus fragiles, et elle pourrait aussi créer des problèmes à certains convertis, en les faisant rentrer plus tard chez eux, donnant le flanc à la critique de leur conjoint par exemple. Elle barbe encore les moins intellectuels, et les enfants, et tous ceux qui ne comprennent pas. Et pour ceux qui comprennent toutes les langues, se faire répéter deux fois la même chose est désagréable. Bref, cela ferait beaucoup d’obstacles et d’entraves, créant a priori plein de mauvaises pensées, d’ennuis, de risques, et pour tout le monde, personne ne serait satisfait : ne parlons pas encore de la difficulté de communier de façon complètement recueilli, fatigué après un long sermon et le jeûne eucharistique…
Faciliter la vertu consisterait à, sans se presser, ne pas traîner, faire un sermon percutant et cours, dans une seule langue, et trouver des moyens alternatifs pour les autres – comme distribuer le sermon imprimé -, et ne pas installer un climat « d’obligation » janséniste pour certaines dévotions. Le dimanche devient ainsi bien plus agréable pour tous, ceux qui peuvent rester restent longtemps, ceux qui ne peuvent pas non, etc.
Autre exemple : vous voulez changer une mauvaise habitude, et par exemple vous lever plus tôt. Ou vous voulez accomplir une tâche qui vous fait suer, mais vraiment suer. Là aussi il faut trouver de petites techniques pour rendre la pratique de la vertu plus facile : se lever pour commencer par une oraison plaisante envers Dieu, pour une intention qui nous est cher par exemple (la guérison d’un proche, la conversion d’un proche, ce que l’on veut) ; si la dévotion n’est pas encore plaisante, on peut trouver autre chose.
Bref, c’est un art, non automatique, mais, comme dirait un saint Thomas, il faut savoir utiliser des ressorts naturels de nos passions, de nos tempéraments, pour rendre la vertu agréable, soit en usant de ce qui nous « plaît » pour la vertu (il n’est pas interdit de prendre plaisir pour la vertu, à la différence d’un certain janséniste qui se veut toujours triste et se complaire dans la tristesse, ce qui va contre la saine vertu qui est joyeuse), ou en adoucissant ce qui nous dégoûte encore pour la vertu, quand il faut bien passer par ces moments désagréables.
Alors, à tous les chefs, et chacun est déjà chef de ses actions et de lui-même, rendez la vertu agréable et facile pour un plus grand progrès !
Pour Dieu, pour le Roi, pour la France
Paul-Raymond du Lac