Poursuivons ensemble le chemin du Carême
La durée du Carême – quarante jours sans compter les dimanches – fait en particulier référence aux quarante années passées au désert par le peuple d’Israël entre sa sortie d’Égypte et son entrée en terre promise ; elle renvoie aussi aux quarante jours passés par le Christ au désert (Matthieu 4, 1-11) entre son baptême et le début de sa vie publique. Ce chiffre de quarante symbolise les temps de préparation à de nouveaux commencements. Le Carême, temps de conversion, repose sur la prière, la pénitence et le partage. La pénitence n’est pas une fin en soi, mais la recherche d’une plus grande disponibilité intérieure. Le partage peut prendre différentes formes, notamment celle du don.
Les chrétiens du monde entier sont à présent en plein carême. Si le jeûne et l’abstinence sont toujours assez rigoureusement observés chez les fidèles orthodoxes, cela parait moins évident à suivre pour les catholiques. L’idéal serait de se concentrer sur la prière et d’offrir en aumône ce dont on s’est privés au cours de ces quarante jours de Carême, pas évident. Tout parait tellement plus facile à vivre ensemble. Ne nous privons pas de cette période exceptionnellement intéressante pour notre spiritualité et notre corps. À propos du carême, gardons dans notre esprit le sage enseignement de Benoit XVI, pour qui le chemin du Carême est fait d’écoute de la Parole de Dieu, de prière et de pénitence. « Il s’agit de quarante jours au cours desquels la liturgie nous aidera à revivre les étapes principales du mystère du salut. Comme nous le savons, l’homme avait été créé pour être l’ami de Dieu. Mais le péché de nos ancêtres a brisé cette relation de confiance et d’amour, et a rendu par conséquent l’humanité incapable de réaliser sa vocation originelle. Toutefois, grâce au sacrifice rédempteur du Christ, nous avons été sauvés du pouvoir du mal : en effet, le Christ, écrit l’apôtre Jean, s’est fait victime d’expiation pour nos péchés (cf. 1 Gn 2, 2), et saint Pierre ajoute : Il est mort pour les péchés une fois pour toutes (cf. 1 P 3, 18). (…) que la période quadragésimale, que nous entreprenons aujourd’hui avec le rite austère et significatif de l’imposition des Cendres, soit pour tous une expérience renouvelée de l’amour miséricordieux du Christ, qui sur la Croix a versé son sang pour nous. »
Il existe pour cette période des règles simples, qui ont pour but de nous rapprocher de Dieu et des hommes. Au cours de cette période, nous devons surtout ne pas avoir une « face de carême », mais au contraire afficher le sourire et la joie. Le cardinal Godfried Danneels, archevêque de Malines-Bruxelles, avait défini celles-ci, comme suit :
1. Prie. Chaque matin, le « Notre Père » et chaque soir le « Je vous salue Marie »
2. Cherche dans l’Évangile du dimanche, une petite phrase que tu pourras méditer toute la semaine. Chaque semaine, ce texte est annoncé dans le journal Dimanche.
3. Chaque fois que tu achètes un objet dont tu n’as pas besoin pour vivre – un article de luxe – donne aussi quelque chose aux pauvres ou à une œuvre. Offre-leur un petit pourcentage. La surabondance demande à être partagée.
4. Fais chaque jour quelque chose de bien pour quelqu’un. Avant qu’il ou elle ne te le demande.
5. Lorsque quelqu’un te tient un propos désagréable, n’imagine pas que tu dois aussitôt lui rendre la pareille. Cela ne rétablit pas l’équilibre. En fait, tu tombes dans l’engrenage. Tais-toi plutôt une minute et la roue s’arrêtera.
6. Si tu zappes depuis un quart d’heure sans succès, coupe la TV et prends un livre. Ou parle avec ceux qui habitent avec toi : il vaut mieux zapper entre humains et cela marche sans télécommande.
7. Durant le Carême quitte toujours la table avec une petite faim. Cette période peut être l’occasion de commencer à apprendre à déjeuner et diner plus légèrement. Les diététiciens pensent qu’il faudrait faire cela toute l’année. Une personne sur trois souffre d’obésité.
8. « Par-donner » est le superlatif de « donner » et c’est assurément l’acte le plus difficile pour qui a subi de très graves préjudices qui ont marqué sa vie, s’ils ne l’ont pas détruite. Ainsi, « le pardon est plus un acte qui invente un avenir qu’un acte qui efface le passé ». Inversement, entretenir un sentiment de rancune, voire de vengeance est néfaste pour l’individu. Comme le dit un proverbe chinois : « Celui qui poursuit la vengeance devrait creuser deux tombes. »
Jean-Paul Kauffmann, otage au Liban, a pardonné à ses geôliers, et a déclaré à la grande surprise de ses proches : « Honnêtement, je n’ai eu aucun mal à pardonner à mes ravisseurs, l’esprit de vengeance m’est très vite apparu comme une seconde souffrance, il empoisonne l’existence. » Des psychothérapeutes ont d’ailleurs constaté que des personnes qui pardonnent voient diminuer sensiblement en eux la colère, la dépression et l’anxiété. Il n’est pas dit au bout de combien de temps ! Bien sûr, Jésus, du haut de sa croix, demandait au Père de pardonner à ses bourreaux. Mais Jésus est le Fils de Dieu, nous ne sommes que des apprentis du pardon. Donald Hope estime que certains thérapeutes invitent implicitement leurs patients à pardonner lorsqu’ils leur suggèrent d’accepter les blessures du passé. De plus, par l’attitude d’acceptation et de valorisation qu’ils manifestent eux-mêmes envers leurs clients, en dépit des défauts évidents de ces derniers, ils constituent involontairement un modèle d’acceptation et de pardon. Ainsi, selon cet auteur, « le processus du pardon est une partie clé du processus de guérison psychologique, mais est rarement reconnu comme tel. »
9. Tu as déjà si souvent promis d’appeler quelqu’un par téléphone ou de lui rendre visite. Fais-le finalement.
10. Ne te laisse pas toujours prendre aux publicités qui affichent une réduction. Cela coûte en effet 30% moins cher. Mais ton armoire à vêtements déborde également de 30 %.
Le jeûne ne s’applique pas qu’à la diminution de la consommation de biens. Nous allons le découvrir ensemble :
. Jeûne de paroles blessantes : que tes lèvres ne prononcent que paroles de bénédiction.
. Jeûne de critiques et de médisances : bienveillance et miséricorde doivent habiter ton âme.
. Jeûne de mécontentement : que douceur et patience deviennent tes compagnes de chaque jour.
. Jeûne de ressentiment : que ton cœur cultive la gratitude.
. Jeûne de rancune : que le pardon ouvre toutes les portes qui t’ont été fermées.
. Jeûne d’égoïsme : que la compassion et la charité fleurissent à chacun de tes pas.
. Jeûne de pessimisme : que l’espérance ne quitte jamais ton esprit.
. Jeûne de préoccupations et d’inquiétudes inutiles : que règne en toi la confiance en Dieu.
. Jeûne d’occupations superficielles : que la prière emplisse tes journées.
. Jeûne de paroles futiles : que le silence et l’écoute t’aident à entendre en toi le souffle de l’Esprit.
Autrement dit, durant toute cette période, nous avons réellement à nous convertir et à dire chaque matin : « Tout pour vous plaire, ô mon Dieu : toutes mes actions avec vous. Que la pensée de la sainte présence de Dieu est douce et consolante ! Jamais on ne se lasse, les heures coulent comme des minutes. Enfin, c’est un avant-goût du ciel. » (Saint Curé d’Ars, Conversations).
Selon le P. Jean-Paul Sagadou : en vivant le Carême, les chrétiens se sentent solidaires de tous les hommes qui, des synagogues aux temples en passant par les mosquées, à travers la diversité des civilisations et des cultes, signifient, hier et aujourd’hui, leur quête de Dieu par le jeûne, l’aumône et la prière. De l’obole de la veuve glissée dans le trésor du Temple à la dîme prescrite pour le Ramadan, de la prière du moine tibétain à l’oraison silencieuse de la moniale de Koubri, les chrétiens sont solidaires de tous les priants de la terre. Ils sont solidaires de tous les jeûneurs de l’histoire, du prophète Élie au Mahatma Gandhi. Le chrétien entre dans le Carême à la suite du Christ, et selon le Christ. Ce que le chrétien cherche, c’est s’approcher du Seigneur Jésus avec un cœur sincère et dans la plénitude de la foi. Il veut garder indéfectible la confession de l’espérance en faisant constamment attention aux autres.
En ces temps plus que troublés où ceux qui se trouvent aux commandes de notre pays le blessent quotidiennement en affichant le luxe et l’opulence (à Manille récemment où « il » pavanait avec deux actrices !), alors que d’autres dorment dehors, sans toit, sans espérance, il n’est pas facile de pardonner à qui affiche autant d’indifférence et de mépris pour le petit peuple que nous sommes. Mais que ce rappel des faits ne vous empêche pas de mener votre vie, à la suite du Christ, et de faire au moins semblant de croire à des jours meilleurs…
Solange Strimon