Chretienté/christianophobie

Mathilde ou le bûcher de notre vacuité

L’affaire #JeannedArc des derniers jours ressemble à beaucoup d’autres controverses numériques par temps de crise identitaire. Une forme d’autorité accorde une fonction de représentation des Français ou un honneur au nom de la France à un allogène. Celui-ci détient ou non la citoyenneté française et marque le plus souvent sa distance ou son mépris par rapport à elle. Facebook et Twitter y consacrent quelques heures ou journées, aussitôt repris par les journaux, qui alimentent eux-mêmes la fièvre numérique, etc. Il y eut Mennel la semaine dernière; il y a Mathilde ces jours-ci.
Mais Mathilde est catholique romaine, et même Guide d’Europe ! On nous dit qu’elle est dévouée et qu’elle partage les « valeurs » de sainte Jeanne d’Arc. Sa nomination respecte les statuts et l’usage. Aussi la nouvelle qu’aux fêtes johanniques de 2018 à Orléans une Polono-Béninoise représentera la Pucelle lorraine a-t-elle été accueillie avec beaucoup de gêne par Pierre Sautarel (Fdsouche), de zèle par l’équipe de Boulevard Voltaire et de force par des influenceurs catholiques (Fikmonskov).
C’est que le ridicule (Jeanne était-elle davantage vertueuse ou blanche ?) du débat masque un enjeu réel : la substitution de l’assimilation choisie à l’intégration ratée, avec l’appui des catholiques. Un changement de paradigme préfiguré par la formation d’imams à la laïcité dans les locaux de la Catho de Paris dès janvier 2008.

Gloire nationale, cosmopolitisme démocratique et comédie antiraciste

Rien n’interdit de penser que Mathilde était la meilleure « candidate », puisqu’en France on évalue et sélectionne toujours. Ni d’ailleurs qu’un ou des jurés aient souhaité innover et promouvoir l’antiracisme, ou jeter un os à ronger aux identitaires, ou humilier le bon peuple. La présidente n’a pas plus qu’un autre manqué de finesse. À la question « N’y a-t-il donc aucune Française parmi les Orléanaises vertueuses ? », l’on peut rétorquer « N’y a-t-il donc aucune jeune femme vertueuse parmi les Béninoises et les Polonaises ? » La tendance statistique longue est à la hausse de la visibilité des allogènes en tout domaine, voilà tout. Y compris dans les émissions de télécrochet et les fêtes johanniques.
Le cas rappelle aussi l’ambiguïté d’une gloire nationale, la Jeanne, canonisée par la République presque autant que par le Saint-Siège, et qui devait fatalement ressembler de plus en plus à la République cosmopolite. Le nationalisme français est martial, pas racial ; fermez le ban !
On est enfin frappé par le peu de réactions racistes, contrairement à la zizanie complaisamment semée sous ce prétexte par Lydia Guirous et d’autres. On sent de l’incompréhension, presque de la tristesse, dans les tweets qui répondent au sien. À nouveau, c’est le « raciste » qui rigole, et l’« antiraciste » qui exclue.

On n’est plus immigré quand on est un bourgeois

Il faut faire un sort aux accusations portées par les belles âmes. Elles figurent pour une fois dans le camp du Bien dont elles condamnent habituellement les menées. Ce qui sauve ici Mathilde-des-Europe, escrimeuse et cantatrice, c’est l’unité des bourgeoisies. Cette unité est masquée derrière un moralisme tout aussi bourgeois, selon lequel ce qui est comme nous est nous. On se souvient de la thèse de Pierre Renoir dans La Grande Illusion : le haut du panier est toujours solidaire d’un peuple à l’autre.
À cette dimension sociale du problème s’ajoute une question politique : la foi, pas plus que la loi, ne fait le Français. Dénoncer les naturalisations de masse semblables aux amnisties collectives ne peut suffire à mettre un terme à l’immigration de peuplement. Distinguer selon la religion ? Les évangéliques subsahariens ou sud-américains sont encore plus exclusifs que les musulmans ! L’immigration de travail ? Elle sépare les familles ! L’immigration choisie ? Elle est trop utilitaire ! Importer sans jamais nationaliser ? Mais c’est injuste ! Aucune immigration n’est acceptable en France. Mathilde a été assez ambitieuse pour se présenter devant le jury. Ses parents ont été assez arrivistes pour quitter leur pays et choisir le nôtre. « Où la chèvre est attachée, il faut qu’elle broute, dit pourtant la sagesse populaire ». Jeanne, aussi, avait quitté son domaine, mais c’était pour sauver son roi…
Précisément, ce roi (qui ouvre le triptyque louis-quatorzien « Un roi, une foi, une loi ») détient la solution, non pas médiane, mais équidistante des deux camps. En Europe, il est toujours à la tête d’une famille comme à la tête d’une nation. On naît français par le sang reçu, on est français par le sang versé. Or la famille (car la filiation) ultimement décide. Les Ritals sont des Français depuis qu’ils épousent des Françaises. Avant cela, tout catholiques qu’ils fussent, il est arrivé qu’ils soient massacrés (cf. Aigues-Mortes, 16-17 août 1893). Nous ne ferons d’assimilation qu’au cas par cas, sans doute, mais avec les bras de nos filles. Il se trouve que nous n’en voulons pas, ou pas encore. Quant à l’État, certes, il ne contraint plus les Français à se métisser (contrairement aux années 1990), mais il balance aujourd’hui à nous pousser contre les musulmans, ce qui est pire.

Il n’est pas question de s’opposer à la nomination de Mlle Edey Gamassou. L’an prochain, l’année d’après, la statistique fera que l’une de nos nièces sera élue. La même probabilité réservera ce sort à une Indienne ou une Chinoise dans dix ans. Mais par pitié, refusons la méritocratie dans l’immigration – elle nous donnera des élites étrangères. Et demandons-nous si du catholicisme de notre peuple nous réclamons davantage des signes ostentatoires (crèche au siège d’un conseil départemental, défilé équestre) ou des signes lisibles. « Chacun professe sa religion avec une égale liberté, et obtient pour son culte la même protection. Cependant la religion catholique, apostolique et romaine est la religion de l’État, proclamaient ainsi les articles 5 et 6 de la charte constitutionnelle du 4 juin 1814… »

Luc Le Garsmeur

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