Chretienté/christianophobiePolitiqueTribunes

L’engagement d’ecclésiastiques pour la royauté chrétienne, par Frère Maximilien-Marie du Sacré-Cœur

f89À plusieurs reprises, des prêtres ou des religieux, avec lesquels j’ai des relations sinon cordiales du moins bienveillamment urbaines, m’ont exprimé des réserves ou des remarques teintées de reproche au sujet de mes engagements et de mon militantisme légitimistes. Souvent, alors qu’eux-mêmes au for interne ont des sympathies royalistes, ils se faisaient les échos polis de critiques entendues. En définitive, à les entendre, un ecclésiastique se devant « être tout à tous », selon l’expression de Saint Paul (cf. 1 Cor. IX, 22), ne pourrait pas être connu pour ses « opinions politiques » : « Mon Frère, vos convictions très tranchées et, à l’occasion, votre prosélytisme — par vos écrits, par vos conférences et par beaucoup de vos actions — peuvent avoir quelque chose de carrément choquant pour nombre de personnes, à l’intérieur comme à l’extérieur de l’Église catholique. Celle-ci reconnaît désormais la république et a tourné la page de la royauté, avec laquelle elle a été jadis très (trop) liée. Léon XIII a prôné le « ralliement » : la sagesse de notre Église et de nos chefs spirituels nous demande de nous soumettre à cette attitude pragmatique, quelque légitimes que puissent par ailleurs être votre sensibilité et vos aspirations… ». En ces quelques phrases, j’ai résumé ce que j’ai entendu en d’assez nombreuses occasions.

Convaincu de ne pas être le seul à avoir dû faire face à de semblables objections, j’en parle aujourd’hui à seule fin de permettre à ceux auxquels on a fait le même genre de remarques de connaître les réponses que j’y donne : les fidèles laïcs eux-mêmes, me semble-t-il, y trouveront d’ailleurs aussi des arguments expliquant leur conduite, ou leur permettant de défendre les ecclésiastiques légitimistes qu’ils connaissent et dont, en leur présence, on critiquerait la conduite.

1) Nul ne trouve inconvenant ou déplacé qu’un prêtre ou un religieux parle de morale et rappelle les principes de celle-ci. Or la morale n’est pas seulement une affaire individuelle : l’homme étant « un animal social et politique », la morale a nécessairement une dimension politique. La morale naturelle (accessible par la raison seule), qui étudie les comportements humains dans leur recherche du bonheur, a pour fondement la quête du bien commun. La morale personnelle et la morale familiale sont ordonnées à la politique.

Dans leur mission d’enseigner et de guider les âmes, les ecclésiastiques ont donc un vrai devoir d’éducation politique, non seulement en faisant connaître et en expliquant les préceptes de la morale surnaturelle (celle que Dieu a fait connaître par la Révélation), mais aussi en transmettant les fondements de la morale naturelle : en saine théologie, le surnaturel, comme l’indique son nom, vient se greffer sur l’ordre naturel qu’il complète et transcende. Si les fondements naturels font défaut, l’édifice surnaturel sera fragile et bancal.

« Vouloir tirer une ligne de séparation entre la religion et la vie, entre le surnaturel et le naturel, entre l’Église et le monde comme si l’un n’avait rien à faire avec l’autre, comme si les droits de Dieu ne s’appliquaient pas à toute la réalité multiforme de la vie quotidienne, humaine et sociale, est parfaitement contraire à la pensée chrétienne, et c’est nettement antichrétien », enseignait le Vénérable Pie XII (22 janvier 1947), et l’on pourrait multiplier les citations du Magistère authentique déclinant cette affirmation et ses conséquences. Il n’y a donc rien d’inconvenant, tout au contraire, à ce que les prêtres et les religieux soient actifs et zélés pour rappeler et enseigner les bases et les règles d’une politique sainement ordonnée à la fin naturelle et surnaturelle de l’homme.

Comme le disait le Pape Saint Pie X : « Nous ne nous cachons pas que nous choquerons quelques personnes en disant que nous nous occupons de politique. Mais… le Souverain Pontife, investi par Dieu d’un magistère suprême, n’a pas le droit d’arracher les affaires politiques du domaine de la foi et des mœurs » (allocution Primum vos, du 9 novembre 1903). Cela est vrai aussi, en conséquence, des ecclésiastiques qui veulent être fidèles au mandat divin de l’Église catholique.

2) « Mais, me direz-vous, cela ne signifie pas qu’il faille prôner un modèle politique particulier, en l’occurrence celui de la monarchie traditionnelle de droit divin, ainsi que vous le faites ! »

« Non, il faut le rappeler énergiquement dans ces temps d’anarchie sociale et intellectuelle, où chacun se pose en docteur et en législateur, on ne bâtira pas la cité autrement que Dieu ne l’a bâtie ; on n’édifiera pas la société, si l’Église n’en jette les bases et ne dirige les travaux ; non, la civilisation n’est plus à inventer ni la cité nouvelle à bâtir dans les nuées. Elle a été, elle est ; c’est la civilisation chrétienne, c’est la cité catholique. Il ne s’agit que de l’instaurer et de la restaurer sans cesse sur ses fondements naturels et divins contre les attaques toujours renaissantes de l’utopie malsaine, de la révolte et l’impiété : omnia instaurare in Christo » (Saint Pie X, lettre « Notre charge apostolique », du 25 août 1910). Or en France la civilisation chrétienne a été fondée et s’est développée sur l’alliance établie dans les fonts baptismaux de Reims au baptême de Clovis.

Véritablement, l’établissement de la royauté chrétienne en France a été voulu et suscité par la divine Providence, et l’ordre social chrétien s’est épanoui sous une monarchie qui est arrivée à sa plénitude avec les Capétiens.
Tout ce qui est arrivé ensuite, avec et à partir de la révolution, n’a été fait qu’en opposition avec l’alliance de Reims, en opposition avec l’ordre social chrétien.

Certes, toutes les institutions terrestres et toutes les sociétés ont leurs imperfections, et leurs dirigeants ne sont pas toujours exemplaires en tout (même dans l’Église). Cependant ce ne sont pas les imperfections de l’Ancien Régime que les révolutions de 1789 et de 1830 ont combattu, mais tout au contraire elles ont abattu et combattu jusqu’en ses fondations ce qui rapprochait le plus sa société de la perfection morale naturelle et surnaturelle à laquelle elle tendait, malgré les imperfections des hommes.

Ainsi que l’écrit encore Saint Pie X : « Qu’ils soient persuadés que la question sociale et la science sociale ne sont pas nées d’hier ; que de tous temps l’Église et l’État, heureusement concertés, ont suscité dans ce but des organisations fécondes ; que l’Église, qui n’a jamais trahi le bonheur du peuple par des alliances compromettantes, n’a pas à se dégager du passé et qu’il lui suffit de reprendre, avec le concours des vrais ouvriers de la restauration sociale, les organismes brisés par la Révolution et de les adapter, dans le même esprit chrétien qui les a inspirés, au nouveau milieu créé par l’évolution matérielle de la société contemporaine : car les vrais amis du peuple ne sont ni révolutionnaires, ni novateurs, mais traditionalistes » (lettre « Notre charge apostolique », du 25 août 1910).

3) Ayant la conviction profonde, selon l’enseignement des Saintes Écritures (cf. Jac. I, 17), que lorsque Dieu veut et établit quelque chose Il le fait selon des desseins immuables, nous avons la certitude qu’Il ne change pas — par caprice ou par simple amour de la variété — Ses plans sur les nations et les peuples, qui, ainsi que le rappelait le futur Pie XII le 13 juillet 1937 dans la chaire de Notre-Dame de Paris : « (…) les peuples, comme les individus, ont aussi leur vocation providentielle ; comme les individus, ils sont prospères ou misérables, ils rayonnent ou demeurent obscurément stériles, selon qu’ils sont dociles ou rebelles à leur vocation » (Discours sur la vocation de la France).

Il n’est absolument pas possible de voir dans la révolution de 1789 et dans toutes ses conséquences (dont fait partie l’avènement d’une république laïciste dirigée — quels que soient les partis au pouvoir et la couleur des gouvernements qui se succèdent — par la franc-maçonnerie) une correspondance et une continuité avec les plans de Dieu sur la France tels qu’ils ont été manifestés depuis le baptême de Clovis, et à travers la « gesta Dei per Francos ».
La légitimité d’un régime ne lui est pas conférée par le fait qu’il dure depuis quelque deux siècles : elle lui est donnée par sa conformité à l’ordre moral naturel et surnaturel, et par les circonstances historiques à travers lesquelles Dieu a clairement manifesté Ses volontés.

En France, la république est le fait d’une usurpation qui perdure et qui s’aggrave avec les années : elle est illégitime ! Ses principes sont blasphématoires et impies ; ses fondations sont la révolte contre Dieu et Ses desseins ; ses fruits sont une cascade de sacrilèges et d’abominations, de lois injustes et de pratiques immorales.

Il faut une dose impressionnante d’incohérence et de confusion pour prétendre à une continuité entre le baptême de Clovis, la haute stature de Saint Charlemagne, la politique de Hugues Capet et de ses successeurs, le rayonnement universel de Saint Louis, l’épopée de Sainte Jeanne d’Arc, l’action réconciliatrice d’Henri IV et l’apogée de civilisation atteinte sous l’impulsion de Louis XIV d’une part, et les prétendus « immortels principes de 89 », la boursouflure napoléonienne, l’engrenage de désordres et d’injustices semés par la France républicaine dans le monde entier au cours des XIXe et XXe siècles, et encore en ce début de XXIe siècle !

4) « Mais le régime républicain est un fait, et nous sommes bien obligés d’en tenir compte et d’agir avec… » Oui, c’est un fait ! Mais un fait comparable à celui du péché…

Lorsqu’un prêtre reçoit au confessionnal des pénitents qui viennent égrener la liste de leurs manquements aux commandements de Dieu et de l’Église, et leurs fautes contre les vertus, il ne part pas du principe que, les faits étant là, le pragmatisme lui impose de les accepter tels quels et de ne rien tenter pour que cela change. Au contraire, avec l’absolution qu’il donne (si les dispositions du pénitent lui permettent de la recevoir), il prodigue conseils et recommandations pratiques pour que ce pécheur sorte des voies du péché, n’y retombe pas, en fuie les occasions, et fasse des progrès dans la vertu… etc.

Par ailleurs, prêtres et religieux ont une grave obligation morale, par leur vie et leurs enseignements, à travailler à la conversion des pécheurs, des impies, des hérétiques et des païens. Cette obligation incombe également à tous les fidèles, en conformité avec leur état de vie et leur situation individuelle.

Ces choses-là tombent sous le sens pour tous ceux qui veulent obéir à l’ordre donné par Notre-Seigneur Jésus-Christ avant de quitter cette terre : « Allez donc, enseignez toutes les nations, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, leur apprenant à garder tout ce que Je vous ai commandé… » (Matth. XXVIII, 19). Notez au passage que Notre-Seigneur ne parle pas d’individus dans leur sphère privée, mais bien de nations.

Il ne saurait donc en être autrement avec les sociétés malades et pécheresses qu’avec les pauvres pécheurs : il faut travailler à leur conversion, il faut œuvrer pour les amener à Dieu, il faut se livrer avec zèle et générosité à leur conformité avec l’ordre social chrétien et à la fidélité à leur vocation particulière.

Nul ne reproche à un ecclésiastique de ne pas « être tout à tous » lorsqu’il combat le péché. Alors pourquoi faudrait-il le lui reprocher lorsqu’il s’oppose au péché et à l’apostasie des nations, et qu’il œuvre pour les ramener à leur vocation ?

La république, qui, en France, se manifeste comme un régime d’impiété et de révolte contre les lois naturelles et contre les préceptes de Dieu, doit être non pas reçue et acceptée comme une « institution légitime », mais combattue ainsi que l’on doit combattre toute structure de péché. La seule manière dont nous devons en « tenir compte » et « agir avec » est celle du prêtre qui montre les voies de la pénitence et du retour à l’ordre juste et légitime, celle du missionnaire qui dénonce haut et fort le péché et enseigne l’obéissance aux préceptes divins, celle de l’apôtre qui convertit pour amener à la conformité à la vocation naturelle et surnaturelle des peuples comme des individus.

L’engagement d’ecclésiastiques, prêtres et religieux, en faveur de la royauté chrétienne n’a donc, en vérité et toute saine logique, rien de si incongru et de si difficile à comprendre.

Frère Maximilien-Marie du Sacré-Cœur


Pour approfondir :

  • Discours du cardinal Eugenio Pacelli sur la vocation de la France > ici
  • Réflexions sur les conditions d’une authentique et solide restauration royale > ici
  • « Dieu Lui-même est légitimiste » > ici
  • « Du Royaume occupé » > ici
  • « Être offert pour la victoire » (abbé Christian-Philippe Chanut) > ici
  • « Notre résolution : la contre-révolution » > ici
  • « La république en France n’est pas autre chose que la révolution institutionnalisée » > ici
  • Actualité du Comte de Chambord > ici

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.