Chretienté/christianophobie

Le pape François affronte la violence et la pauvreté au Mexique

Faire le carême avec amour et conviction ne doit pas nous priver du bonheur de suivre le pape François dans ses voyages, qui sont tous destinés (à essayer) de changer le monde… et ses dirigeants. Le pape a effectué récemment une visite de cinq jours au Mexique, le deuxième pays le plus catholique au monde, qui n’a rétabli de relations diplomatiques avec le Vatican qu’en 1992. Au cours de sa visite, le pape François est passé par certaines des régions les plus déshéritées et les plus violentes du Mexique. Il nous fallait en parler dans cette chronique dominicale.

Avant de poursuivre, évoquons ce qui fait l’une des particularités ou curiosités du Mexique, la « Santa Muerte ». Le culte de cette figure squelettique, bien que fermement rejeté par le Vatican qui le juge blasphématoire, est en plein essor. Chaque dimanche, une foule se rend au temple en plein air d’Enriqueta Vargas pour prier face à la statue noire érigée en 2007. Les fidèles apportent des présents et on y célèbre aussi des mariages et des baptêmes. «Santa Muerte, c’est une absurdité», affirme le cardinal et archevêque Norberto Rivera. «Tout chrétien devrait être en faveur de la vie, pas de la mort». Sans aucun doute, mais quand la vie au quotidien se révèle être un enfer, pourquoi ne pas choisir la mort ?

La Sainte Mort n’est plus seulement vénérée par les narcotrafiquants : des ouvriers aux cadres, aux policiers, aux médecins et aux enseignants, elle séduit une part toujours plus large de la société mexicaine. Selon Andrew Chesnut, professeur d’études religieuses à l’Université Virginia Commonwealth aux États-Unis, 10 à 12 millions de personnes sont adeptes du culte au Mexique, aux États-Unis et en Amérique centrale. «C’est le mouvement religieux à la progression la plus rapide, pas seulement au Mexique mais sur tout le continent américain», explique-t-il.

Les historiens estiment que le culte de la Sainte Mort remonte à la fin du 18e siècle, quand des populations indigènes ont commencé à vénérer des images espagnoles représentant la mort, poussant l’Église à détruire les chapelles dédiées à la croyance. Le culte a connu sa véritable embellie à partir de 2001, autour de la figure de «Doña Queta» Romero, qui célèbre des cérémonies à Tepito, dans la banlieue de Mexico.  «D’un côte j’ai Dieu et de l’autre, la Mort. Et quand je mourrai, Dieu dira à la maigrelette (la Sainte Mort) d’emporter Doña Queta ».

Le pays condense actuellement des problématiques qui préoccupent le souverain pontife : une société inégale où plus de la moitié de la population est pauvre, un pays livré à la violence du narcotraficet dans lequel des milliers de migrants vivent un calvaire en tentant de rejoindre clandestinement l’Eldorado américain. La force de vouloir vivre l’emporterait donc sur la mort ?

Depuis dix ans, plus de 100.000 personnes ont été tuées dans la guerre entre narcotrafiquants et entre les cartels de la drogue et les forces de l’ordre. Vingt-six mille autres personnes sont portées disparues. Parmi les victimes de cette guerre figure le cas emblématique des 43 étudiants portés disparus depuis septembre 2014 à Iguala, dans l’État de Guerrero. Où sont-ils ? Vivants ou morts ? Les proches des étudiants portés disparus aimeraient que le pape François intervienne pour les aider à faire éclater la vérité.

« Je suis sûr que le Pape sait dans quel pays il arrive. Il sait qu’il y a une crise énorme des droits de l’homme avec un niveau très haut de corruption et d’impunité, explique le prêtre Alejandro Solalinde. Il connaît les dangers de ce pays : avec le crime organisé qui existe même à l’intérieur de l’État et du gouvernement, les menaces de la délinquance organisée contre les journalistes, prêtres et défenseurs des droits de l’homme. Et je suis sûr que le Pape a une stratégie. Il ne vient pas pour nous donner une solution miracle à nos problèmes, mais il nous soutient et il va nous guider pour trouver une solution nous-mêmes ». Alejandro Solalinde connaît bien les problèmes de violence au Mexique, suite à des menaces de mort, il a dû fuir un temps le pays en 2012. Il est aujourd’hui protégé par quatre gardes du corps.

Le pape François a visité Ecatepec, une ville surpeuplée à la périphérie de la capitale où les violences ont augmenté dramatiquement. Il s’est rendu au Chiapas, dans le sud, l’État le plus pauvre, où vit la plus grande population indigène du pays, pour y donner une messe en utilisant trois langues indigènes (tzotzil, tzeltal et chol) et approuver un décret pour l’emploi de ces langues traditionnelles durant les messes. Son charisme, son beau sourire, son humilité ont conquis les milliers de personnes venues l’accueillir et lui dire combien sa venue apportait de lumière et d’espérance dans leur cœur.

Le pape avait réservé la dernière étape de son voyage à la ville frontalière de Ciudad Juarez, qui durant des années a été considérée comme la plus dangereuse au monde. Il a visité une prison et terminé son séjour au Mexique par une très symbolique messe à la frontière qui sépare la ville d’El Paso, au Texas, frontière que des milliers de migrants tentent chaque année de franchir clandestinement.

Cette rencontre du pape François avec les autorités, la société civile et le Corps diplomatique le 13 février 2016 a été particulièrement suivie par les médias du monde entier. Nous avons choisi de vous livrer in extenso son premier discours, qui résume ses missions, dans un article détaché de celui-ci.

L’extrême misère de ce pays, les trafics de drogue et autres devraient nous inciter à nous montrer heureux de vivre là où le destin nous a placés. Pour être allée au Mexique en 2003, je dois reconnaître que j’avais été frappée, non seulement par la pauvreté, la violence, le décalage entre les pauvres et les « très nantis », la misère pour une très grande majorité des Mexicains. Mais il y avait tout de même de la joie dans les cœurs. 

Je pense hélas que c’est pire en 2016. Puissions-nous apprécier d’être là où nous sommes et prier pour qu’un jour, la misère s’éloigne de ces pays surexploités. On peut toujours rêver !

Solange Strimon

Discours du pape François au Mexique

« Je vous remercie, Monsieur le président pour les paroles de bienvenue que vous m’avez adressées. C’est un motif de joie de pouvoir fouler cette terre mexicaine qui occupe une place spéciale dans le cœur des Américains. Aujourd’hui, je viens comme missionnaire de miséricorde et de paix mais également comme un fils qui veut rendre hommage à sa mère, la Vierge de Guadalupe, et se laisser regarder par elle.

En cherchant à être un bon fils, en suivant les traces de la Mère, je veux, en même temps, rendre hommage à ce peuple et à cette terre si riche de cultures, d’histoire et de diversité. À travers votre personne, Monsieur le président, je voudrais saluer et embrasser le peuple mexicain dans ses multiples expressions et dans les situations les plus variées qu’il vit. Merci de me recevoir aujourd’hui sur cette terre.

Le Mexique est un grand pays, doté d’abondantes ressources naturelles et d’une énorme biodiversité qui s’étend sur tout son vaste territoire. Sa position géographique privilégiée en fait un point de référence pour l’Amérique ; et ses cultures indigènes, métisses et créoles lui confèrent une identité propre qui lui offre une richesse culturelle qu’il n’est pas toujours facile de trouver et surtout de valoriser. La sagesse ancestrale liée à sa multi-culturalité est, de loin, l’une de ses meilleures ressources identitaires. Cette identité, qu’elle a appris progressivement à gérer dans la diversité, constitue sans doute un riche patrimoine à mettre en valeur, à promouvoir et à préserver.

Je pense et j’ose dire que la principale richesse du Mexique aujourd’hui a un visage jeune ; oui, ce sont ses jeunes. Un peu plus de la moitié de la population est jeune. Cela permet de penser et de préparer l’avenir, le lendemain. Cela offre espérance et perspective. Un peuple jeune est un peuple capable de se rénover, de se transformer ; c’est une invitation à élever le regard avec espoir vers l’avenir et – en même temps – cela nous interpelle positivement dans le présent. Cette réalité nous conduit inévitablement à réfléchir sur notre propre responsabilité dans la construction du Mexique que nous appelons de tous nos vœux, le Mexique que nous voulons léguer aux futures générations. Cela nous conduit à nous rendre compte également qu’un avenir d’espérance se forge dans la vie présente d’hommes et de femmes justes, honnêtes, capables de s’engager pour le bien commun, ce “bien commun” qui, en ce XXIe siècle, n’est pas très prisé. L’expérience nous montre que chaque fois que nous cherchons la voie du privilège ou du bénéfice de quelques-uns au détriment du bien de tous, tôt ou tard, la vie en société devient un terrain fertile pour la corruption, le narcotrafic, l’exclusion des cultures différentes, la violence, y compris pour le trafic de personnes, la séquestration et la mort, causant la souffrance et freinant le développement.

Le peuple mexicain met son espérance dans l’identité qui s’est forgée dans de durs et difficiles moments de son histoire par de remarquables témoignages de citoyens qui ont compris que, pour pouvoir surmonter les situations nées de la fermeture de l’individualisme, était nécessaire l’accord des institutions politiques, sociales et économiques, ainsi que celui de tous les hommes et femmes engagés dans la recherche du bien commun et dans la promotion de la dignité de la personne.

Une culture ancestrale et un capital humain prometteur, comme les vôtres, doivent être la source d’inspiration pour que nous trouvions de nouvelles formes de dialogue, de négociation, de ponts capables de nous guider sur la voie de l’engagement solidaire. Un engagement dans lequel tous, en commençant par nous qui nous appelons chrétiens, nous devons nous consacrer à la construction d’« une politique vraiment humaine » (Gaudium et spes, n. 73) et d’une société dans laquelle personne ne doit se sentir victime de la culture de rejet.

Il revient, de façon spéciale, aux dirigeants de la vie sociale, culturelle et politique, de travailler pour offrir à tous les citoyens l’opportunité d’être de dignes acteurs de leur propre destin, dans leur famille et dans tous les domaines où se développe la société humaine, en leur facilitant un accès réel aux biens matériels et spirituels indispensables : logement décent, travail digne, nourriture, justice réelle, sécurité effective, un environnement sain et de paix.

Il ne s’agit pas seulement d’une affaire de lois qui exigent des mises à jour et des amendements – toujours nécessaires –, mais d’une formation urgente à la responsabilité personnelle de chacun dans le plein respect de l’autre en tant que coresponsable de la cause commune de promotion du développement national. C’est une tâche qui implique tout le peuple mexicain dans les diverses instances aussi bien publiques que privées, autant collectives qu’individuelles.

Je vous assure, Monsieur le président, que dans cet effort, le gouvernement mexicain peut compter sur la collaboration de l’Église catholique, qui a accompagné la vie de cette nation et qui renouvelle son engagement ainsi que sa volonté de servir la grande cause de l’homme : l’édification de la civilisation de l’amour.

Je me prépare à parcourir ce beau et grand pays en qualité de missionnaire et de pèlerin qui veut revivre avec vous l’expérience de la miséricorde comme un nouvel horizon de possibilité qui est inévitablement porteur de justice et de paix.

Et je me place sous le regard de Marie la Vierge de Guadalupe afin que, par son intercession, le Père miséricordieux fasse que ces journées et l’avenir de cette terre soient une opportunité de rencontre, de communion et de paix. Merci beaucoup ! »

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