La Voie lactée
Il n’a jamais été facile, pour les prophètes de l’Ancienne Alliance, de dire la vérité sur l’homme ; Ils étaient ignorés ou persécutés, rarement écoutés. Puis vint l’époque où, après des générations de martyrs qui se renouvelaient sans cesse, la Révélation du Christ s’enracina dans notre terre française, et dans quelques autres partout dans le monde. On aurait pu croire alors que cet âge d’or durerait aussi longtemps que la matche des planètes, mais il suffit de l’orgueil de la raison humaine et de la folie qui s’ensuivit pour que le cataclysme engloutisse, avec les trônes des puissants, la foi de nos pères. Certes, elle survécut, mais estropiée, l’ombre d’elle-même, et les efforts des plus saints furent impuissants à l’empêcher de se flétrir peu à peu. Elle vit encore, comme un oisillon tombé du nid, dans l’attente d’une main charitable qui la ramasse et la secourt. Par moments, son cœur semble s’arrêter tellement ses pulsations sont imperceptibles. Dans un tel contexte, la vérité ne possède plus sa demeure.
Une crise mondiale telle celle de cette pandémie artificiellement gonflée et manipulée révèle encore un peu plus à quel point notre âme est abîmée, puisque, cette fois, tous les corps ont failli, et l’Église elle-même, elle qui aura dû prendre la tête de la résistance et du combat, s’est inclinée devant les puissances de ce monde, lui remettant toutes ses clefs après s’être enfermée à double tour dans ses sanctuaires aseptisés et désertés. L’image récente de quelques évêques français sortant masqués, en habits liturgiques, sous le porche de la basilique du Sacré-Cœur de Montmartre, pour une prière de consécration, est une illustration parfaite du trouble et de la désorientation dans lesquels sont plongés ceux-là qui auraient dû avoir à charge, comme autant de saint Charles Borromée, le bien des âmes en temps de déréliction. Érick Audouard, dans son Comprendre l’Apocalypse, note que « l’injonction générale- maternelle, oblative et prophylactique – commande d’adapter l’individu au système du monde, de le soumettre tout entier aux tribunaux de la conformité sociale et de l’Opinion Publique, pour effacer définitivement de son horizon la perspective du Jugement et la comparution de l’Au-delà. »
La médecine nous avait habitués, depuis qu’elle s’est érigée comme science, de ses mensonges, à commencer par celui du praticien à son patient atteint d’un mal incurable. Elle a atteint dernièrement un nouveau seuil qui, loin de découvrir une armée de « héros en blouse blanche », a dévoilé les inconséquences, les contradictions, les décisions non réfléchies, les luttes de pouvoir, les jalousies, les intérêts supra nationaux des laboratoires où se croisent chercheurs, politiques et mafieux dans une danse hystérique soigneusement entretenue par un journalisme offrant chaque jour, comme le disait Charles Baudelaire, « un dégoûtant apéritif ».
Le monde politique, quant à lui, autorité vidée de sa substance par une folle démocratie de façade, pantin de pouvoirs cachés entre les mains de groupes de pression et d’influence qui ne travaillent guère pour le bien commun, a signé un nouveau chapitre des nombreux volumes qui constituent son histoire de la médiocrité et de la lâcheté. Il a utilisé, jusqu’à la nausée, les mensonges maniant à la fois la consolation et la menace. Il a tout accaparé, y compris les vies privées, en imposant, comme un père abusif ou une marâtre acariâtre, la liste de ce qui était permis et de ce qui ne l’était point, brandissant ce nouveau décalogue comme la seule voie de salut. Comme la séduction d’antan ne semblait plus suffisante pour endormir les esprits, il lui a fallu resserrer les boulons, première étape d’un contrôle de plus en plus systématique sur la personne humaine.
Nos ancêtres gallo-romains ou vendéens en proie à la persécution religieuse, nos aïeux médiévaux ou des grandes misères du royaume de France avaient trouvé dans le trésor de l’Église la force de témoigner ou, tout simplement, de survivre ou de mourir chrétiennement. Cette fois, les troupeaux ont été marqués au fer rouge, parqués, tracés par les forces de ce monde, et les pasteurs se sont enfuis ou se sont cachés, ne visitant plus les malades, n’enterrant plus les morts, ne consolant plus les affligés, et les exceptions à cette situation sordide ne peuvent pas, ne pourront pas justifier une telle attitude qui retentira pour la suite de notre histoire comme le premier abandon planifié et généralisé des brebis par leurs bergers. Lorsque les clercs s’inclinent devant une « science », vont même au devant d’exigences insensées, pensent d’abord à leur propre protection, -ceci dans un contexte qui n’était pourtant pas celui de la Peste noire-, ils s’aplatissent et disparaissent. Certains ont osé invoquer le dieu Progrès pour justifier de leur écrasement, méprisant de plus les générations passées qui n’avaient pas eu la grâce de connaître l’existence des virus et l’efficacité de antibiotiques, salut de l’humanité nouvelle. Charles Baudelaire, là encore, avait parfaitement circonscrit l’idole Progrès comme étant « le paganisme des imbéciles », « grande hérésie de la décrépitude ».
Il faut sonner le tocsin ! Ce qui brûle n’est point la forêt amazonienne ou la campagne australienne mais le champ immense et fertile ensemencé par la foi et par les vertus chrétiennes, et les intendants ont disparu, les ouvriers se sont éparpillés. Que trouvera donc à son retour le Maître de la vigne et des moissons ? Un désert aride, aussi sec et brûlant que l’Enfer auquel il prépare. Georges Bernanos confiait un jour : « La lâcheté est une carrière non moins enviable que la sottise, mais d’un profit tellement plus sûr ! » Leonardo Castellani parlait, dans un sens identique, d’une « Grande Falsification » se mettant pas à pas en place, projet de longue haleine de ce que l’on nomme modernité : tout d’abord la divinisation de l’homme, ensuite l’unification de tous les peuples sous la houlette d’une puissance mondialiste, et enfin l’instauration d’un paradis terrestre selon les critères jugés acceptables par ce gouvernement unique, donc réduits au pain et aux jeux. Exactement le calque à l’envers des promesses énoncées par Notre Seigneur, puisque le Malin ne peut rien créer : il imite en retournant tout comme un lapin écorché. La fusée est sur sa rampe de lancement depuis la Révolution française, et, en amont, le temps des Lumières. Elle est prête à s’élancer en toute autonomie dans un ciel qui sera plus noir que l’encre et où nulle étoile ne brillera plus. Nous avons tous le devoir de saboter, à notre petite place, cette entreprise diabolique et très humaine. Ces derniers temps, beaucoup d’hommes de bonne volonté se sont secoués de leur sommeil dogmatique et ont enfin réalisé que l’être humain ne peut pas trouver le salut dans des promesses et des utopies terrestres. Comment les rassembler pour les faire croître dans l’espérance qu’ils ont découverte ?
Commençons par nous-mêmes, sans attendre de secours providentiels de la part de ceux qui en ont reçu la charge et qui ont failli en ces dernières circonstances dramatiques. L’homme abandonné n’est jamais seul s’il élève le regard vers les cieux illuminés. Léon Bloy écrivait à un correspondant : « Quels que soient nos chemins, vous le savez, nous sommes tous conviés à la Lumière, à la Gloire, à la Paix inimaginable. Ce qu’on nomme la Voie lactée, sans y rien comprendre, c’est un immense fleuve de larmes dont l’estuaire est au Paradis. » Voilà la destination à prendre, sursum corda, sinon le découragement ou la tristesse risqueraient de nous ronger l’âme ou de l’attiédir au point de la cacher derrière un masque.
P. Jean-François Thomas, s.j.
10 mai 2020
Sainte Marguerite d’Écosse
Difficile de dire plus et mieux. Les moments vraiment difficiles arrivent. Peu importe, c’est le temps de se camper plus fermement dans notre foi. Le but ultime n’est pas cette vie ici bas.