Il n’a pas souffert…, par Paul-Raymond du Lac
Il est plus que naturel de désirer que les gens qu’on aime ne souffrent pas, et quand il s’agit de leur mort, qu’ils partent paisiblement. C’est un sentiment naturel et répandu.
Je ne peux pourtant pas m’empêcher de faire remarquer que cette obsession de faire disparaître toute douleur physique est une caractéristique bien contemporaine, et pourrait correspondre à l’excès inverse du dolorisme.
Encore récemment un bon ami, très chrétien, me parlant d’une sainte personne qui vient de mourir, de sa famille, me transmet la nouvelle, et me dit « elle n’a pas souffert », et cela presque en premier, après le nom, l’âge, le lieu et la date du décès. En revanche pas un mot sur le fait qu’elle aurait reçu l’extrême-onction, la confession et le viatique. En tant que chrétien, pourtant, ce serait la première chose qui m’inquiéterait, quand une personne aimée meurt, que de savoir si elle a bénéficié des sacrements, et comment s’est passée son agonie.
On peut mourir paisiblement dans d’affreuses souffrances : tous les saints en témoignent. Il y a de nombreux saints, et certains, peut-être, ne sont pas morts dans d’affreuses souffrances physiques ou morales – encore cela resterait à étudier1– mais de nombreux saints suivent Notre Seigneur sur le chemin du calvaire, et vivent des fins à la fois d’une douleur terrible mais d’un apaisement spirituel parfait, car ils savent qu’ils vont bientôt retourner à Dieu.
Le vrai saint n’a plus peur du jugement, s’il a vécu longtemps dans la charité, et quelque soit la dureté de l’agonie, soit par des souffrances physiques, soit morales ou par les tentations, il sera heureux de pouvoir encore mériter un peu avant d’aller au ciel.
Les martyrs en sont le parfait exemple, mais des saints proches de nous, que ce soit des saintes Thérèse de Lisieux, vivant une agonie terrible avec une maladie, la tuberculose, qui fait souffrir au-delà de l’imaginable, un saint Padre Pio, mort avec les stigmates, et ses douleurs, mais surtout dans l’ostracisme le plus total de sa communauté, ou encore le curé d’Ars, forcé de mourir à Ars, sans même pouvoir avoir la consolation de mourir chez ses parents.
La liste serait interminable, et chacun trouvera ses saints, anciens comme récents, avec leurs fins habitées de nombreuses douleurs.
Et cela est logique : les saints sont bien saints car ils sont les plus proches de Notre Seigneur, ceux qui nous sont donnés en exemple dans leur imitation de Notre Seigneur.
Et la fin de Notre Seigneur s’est passée dans les pires souffrances, celles de la Passion, qui recouvrent tout le spectre imaginable des souffrances physiques, morales et spirituelles, et bien au-delà…
Alors, même si cela va contre la nature, un bon chrétien devrait prier pour avoir les grâces de mourir en grandes souffrances, si le bon Dieu le permet, si sa charité est suffisamment parfaite : il devrait ainsi prier pour brûler d’une charité suffisamment intense pour souhaiter une bonne mort, préparée, et souffrante…
Evidemment, pour les autres, nous ne pouvons que prier pour qu’ils soient sauvés et accèdent aux sacrements, mais quand un proche souffre, et qu’il est fidèle, soyons consolés en sachant que cela le rapproche du Christ. Et faisons ce qui est en notre pouvoir pour le soulager, pour amener un prêtre, pour être là.
Attention toutefois à ne pas tomber dans l’excès de notre temps de vouloir éviter de façon exagérée toute douleur : cela est dangereux, car, avec les drogues contemporaines, on peut altérer la raison et l’intelligence en plongeant une personne dans un état quasi-comateux, alors même qu’il aurait besoin de toute sa volonté et son intelligence pour pouvoir préparer sa mort, bien se confesser, bien prier. La douleur peut aveugler, mais elle est aussi un aiguillon salutaire pour nous faire sortir du mal.
Et le chrétien est bien loin du païen qui croit que la douleur est une sorte de malédiction, comme la maladie d’ailleurs ; il ne se dit pas « pouquoi moi ? », et n’a plus cette peur d’être abandonné. Il suit Jésus qui reprend ses apôtres quand ceux-ci sous-entendent que les lépreux le sont car ils le méritent, d’une façon ou d’une autre. Le chrétien ne cherche ni à exagérer sa douleur, ni à faire comme si de rien n’était, il reste discret et digne, même dans les plus grandes douleurs, car il sait que cela le rapproche du Christ, et que c’est au fond un don.
Tout le fond de la douleur et des souffrances morales et spirituelles vient du péché, qui est le nôtre, mais qui est aussi celui des autres : Jésus n’a jamais péché et pourtant il a souffert plus que n’importe qui, car il a justement pris tous les péchés sur lui.
Les douleurs physiques nous impressionnent, mais pourtant elles sont les moindres, car au fond on n’y peut pas grand-chose, et elles n’empêchent jamais une conversion.
Certaines maladies contemporaines, comme l’Alzheimer et autres que l’on appelait autrefois sénilité, peuvent donner plus d’inquiétudes, puisqu’on ne sait jamais quand ces personnes peuvent être capables de se convertir et de profiter des sacrements – il faut faire confiance à la grâce, et ne pas désespérer.
Les souffrances morales et spirituelles sont toujours bien plus profondes et douloureuses, quand on y pense : notre temps est d’ailleurs en la matière très étrange puisqu’il abhorre toute souffrance physique, mais n’hésite pas à répandre et augmenter toutes les souffrances morales produites, par exemple, par la destruction de la famille : combien d’enfants seuls, ou spectateurs de couples divisés, de familles explosées, avec toutes les souffrances concomitantes, etc.
Notre temps n’admet pas les « tortures » réglées et régulées de l’ancienne justice, qui en pratique n’avaient aucune conséquence physiques quand le droit était respecté, et l’ancienne justice refusait catégoriquement toute torture morale, toute pression sur la famille, tout chantage, là où ce genre de procédé, sinon encore légal, le devient en pratique déjà dans la cinématographie, mais aussi dans certaines campagnes anti-terroristes et dans le champs médiatique, ce dernier n’hésitant jamais à attaquer une personne via ses proches ou les gens aimés…
Peut-on encore appeler cela un monde civilisé ?
Vivement la restauration d’une monarchie très chrétienne, qui remet l’ordre et soulage les douleurs de toutes sortes, sans faire ni dolorisme, ni « adolorisme » – si on me passe ce néologisme ».
Le temps des souffrances et des douleurs est de retour, plus personne ne peut le nier.
Les illusions d’une génération qui ne voulait jamais souffrir s’effondrent, et les soixante-huitards vieillissants voient bien leur corps s’avilir, et subissent aussi les souffrances morales, même si elles le nient… Chercher à éviter absolument de souffrir, c’est se condamner à devenir comateux à terme, à devenir comme une pierre insensible et froide, sans charité… La plupart ont le sceau du baptême en plus : cette situation est plus que dangereuse pour leur âme.
Alors, même à 80 ans, surtout à 80 ans, on peut encore se convertir, et offrir ses souffrances au Christ, les unir au Christ, au lieu de tout le temps essayer de les fuir, et de fuir ses croix…
Pour Dieu, pour le Roi, pour la France
Paul-Raymond du Lac
1Saint Joseph semble être la grande exception : la tradition veut qu’il soit mort paisiblement aux côtés de Jésus et de Marie. Qui sait néanmoins s’il n’avait de grandes souffrances physiques, qui ne sont pourtant rien comparés au bonheur d’être avec Jésus et sa Mère…