[Conte de Noël] La prière de Pierre
Il s’appelait Pierre. C’était un très gentil petit garçon, que tout le monde dans le village appréciait. Cette année, il avait demandé à ses parents pour cadeau de Noel d’aller à la cathédrale Notre-Dame de Paris afin d’adresser à la Vierge une prière spéciale à propos de son grand-père très malade. Il avait économisé toute l’année pour allumer autant de cierges qu’il le pourrait avec son petit pécule.
Arrivé sur le parvis de Notre-Dame, il regardait autour de lui toutes les boutiques remplies de robes plus belles les unes que les autres. Il était fasciné par les centaines d’abeilles qui étaient cousues sur les robes et qu’il pouvait admirer derrière la vitrine d’un grand magasin parisien. Pourquoi des abeilles et en or ? En tout cas c’est ce qu’il croyait voir. Sa maman semblait elle aussi émerveillée par cette vision. Pierre osa alors poser toutes les questions à sa maman qui devait avoir toutes les réponses évidemment. Sachant que son fils ne se contenterait pas de vagues réponses, Mme Desapin décida d’entrer dans une pâtisserie pour être à l’aise et répondre le plus sereinement du monde. Elle pensait que ce serait aussi un moment magnifique pour parler de l’histoire de la France et de Noël.
La maman de Pierre, Mme Desapin, avait la chance de côtoyer une personne qui fréquentait de très près les ruches et qui lui avait confié bien des secrets concernant ce milieu des abeilles. Marie Ducoteau, apicultrice, avait par exemple raconté que le lever du soleil cuivrait les pépites de la résille bourdonnante dans la clairière, s’incrustant sous les ailes des abeilles qu’il rougissait, projetant d’éblouissantes étincelles à la lisière des sapins couronnée de luminosité. L’abandon des larves pondues par la Reine dans les ruches, par les ouvrières parties voleter sur les nectars et les pollens qui, se mélangeant à leur salive, devenaient miel des alvéoles de cire, n’était que provisoire. Alors respirent les frondaisons et les fleurs butinées comme autant de danses au-dessus des murmures des galets. Plus tard, l’apicultrice extrait le fruit de sa récolte qu’elle entrepose dans des gargoulettes* d’argile fermées hermétiquement à l’abri des nuisances extérieures.
Ayant fait les beaux-arts, Marie avait décidé de modeler l’image de Jésus dans la cire malléable tout en respectant la proportion privilégiée du nombre d’or des artistes de la Renaissance. Ses mains agiles ont pétri une forme d’œuf, avec la matière tiède au creux des paumes, l’ovale prend forme de couleur jaune mielleux adhérant à la chair. Marie sculpte d’abord la proéminence du nez. Puis, elle creuse de chaque côté des joues les orbites d’où émerge toujours la compassion de l’envoyé de Dieu sur Terre. Elle plisse le front qu’elle perle de rubis tombés de la couronne d’épines, miracle de l’Amour pour le rachat des hommes imparfaits et la victoire de l’espérance d’une éternité au paradis. Une fois l’œuvre achevée, elle la protège dans une gargoulette.
Mme Desapin évoque pour son fils le prestigieux passé historique de la royauté française pour s’intéresser à l’Empereur Napoléon Ier, que Pierre connaît un peu, mais il ignorait que Napoléon Bonaparte intronisé et proclamé Empereur de tous les Français portait un manteau de velours pourpre resplendissant de mille cinq cents abeilles filées d’or par des petites mains de l’atelier royal.
Ce sont d’autres petites fées qui ont tissé les lys des autres prédécesseurs monarques. Ces fleurs emblématiques de la Vierge protectrice du royaume de France, font référence au Cantique des Cantiques puisque la Vierge Marie est comparée à “un lys au milieu des épines”. Il renvoie à une symbolique cosmique, au ciel étoilé soulignant les origines divines des armoiries royales. Sa forme a varié selon les époques : mince et élancée sous saint Louis, aux formes généreuses sous Louis XIV. Bien plus qu’une allusion à la blancheur florale, la représentation schématisée de la colombe du Saint-Esprit, descendant sur Clovis, figurant traditionnellement dans son iconographie, est aussi la couleur du deuil du Roi et la continuité de la dynastie : le Roi est mort, vive le Roi !
Souhaitant rompre avec la monarchie de l’Ancien Régime, l’Empereur Napoléon s’est vu conseiller un diagramme représentatif du pouvoir royal. L’abeille fait référence à l’Antiquité, à Virgile qui voyait dans la ruche l’organisation d’un modèle social parfait pour l’homme avec un chef. Déjà, dans l’Égypte ancienne, l’insecte utile s’identifiait au pouvoir suprême en tant que représentation du peuple obéissant à son Roi. Symboles d’immortalité et de résurrection, les cigales puis les abeilles sont choisies afin de rattacher la nouvelle dynastie aux origines de la France royale.
Quand Marie retire le bijou de son écrin, à l’air libre, la cire se ramollit et la clarté qui se faufile accentue la douleur du crucifié à tel point que l’unique goutte de sang rédemptrice s’écoule et enfle sous l’œil gauche de l’objet de culte. Des volutes de vapeur à peine perceptibles se font escorte d’ailes angéliques accompagnant le Sauveur. C’est l’aura de l’insecte divin qui porte le chant sacré et s’éloigne au milieu du jardin d’Éden. Les alvéoles des essaims ne forment qu’un seul corps : celui de Dieu. Sa tête, celle de la Reine, est celle du Roi des chrétiens appelant à l’unité. Et l’abeille représentant l’âme entre dans le chalet, se love sur l’insigne royal dans le tissu impérial, comme pour relier la Terre au ciel, en colombe, pour vivre une éternité au Paradis.
Les premiers flocons de neige prédisent l’ouverture de l’événement tant attendu par les enfants : le marché de Noël ! Les invitations sont lancées pour la fête religieuse de la Nativité, les artistes peuvent dévoiler leurs chefs d’œuvre : les crèches artisanales ! Elles seront exposées au pied du sapin décoré devant la cathédrale de la paix universelle.
Marie façonne toujours à cette période de l’année des figurines en cire d’abeille représentant : l’enfant Jésus, la Vierge Marie, Joseph, les bergers et leurs moutons, le bœuf et l’âne gris, les Rois Mages. Elle les place dans des gargoulettes pour le voyage sur une planchette de bois surmontée d’un grillage d’alvéoles en fer ouatées. Ces figurines sont appelées à être achetées sur les marchés.
Lors de sa dernière cueillette, l’apicultrice avait eu droit à un étrange phénomène, une vision qui ne la quitte jamais et s’accentue au moment de Noël. Des lueurs emprisonnées dans un rayon alvéolé des bois du rucher dessinaient le visage émacié du Christ, tandis qu’au loin des anges annonçaient la naissance du Sauveur du monde envoyé de Dieu : Joyeux Noël ! Feliz Navidad ! Merry Christmas ! Feliz Natal ! Hyvää Joulua !
Mais un miracle est en train de se produire : toutes les abeilles d’or des costumes royaux viennent de se détacher, le temps d’une minute, pour recouvrir le petit Pierre au moment où celui-ci suppliait dans son cœur le Seigneur de maintenir en vie son grand-père jusqu’à l’arrivée des rois mages. Sa prière est si forte, si sincère que là-haut dans le ciel Jésus a inscrit sur son livre d’or l’accord qu’il offre à ce petit Pierre. La prière triomphe toujours et l’enfant a tellement prié au cours de l’année qu’il mérite bien d’être exaucé.
Claude-Sylvie Felgerolles
*Il s’agit d’une cruche poreuse qui permet par évaporation de rafraîchir l’eau ou plus rarement le vin léger qu’elle contient. C’est pourquoi elle est parfois placée en plein soleil, souvent à l’extérieur en un lieu chaud. Le bec étroit permet de diriger le jet directement au fond de la gorge, tout en maintenant en général le bec à distance de la bouche. Il en est venu l’expression boire à la gargoulette, synonyme de boire à la régalade.