Ex-libris. « Charles X ou le sacre de la dernière chance », par Landric Raillat
Landric Raillat, Charles X ou le sacre de la dernière chance, 1991.
« Le sacre, s’il ne confère pas le pouvoir royal, en définit l’esprit. Il est la pierre d’angle de la monarchie. Il est la cérémonie par laquelle tous ces principes se matérialisent, le lien entre la doctrine et les institutions. Lors de chaque accession au trône, le sacre consacre la légitimité du souverain qui a régulièrement reçu son pouvoir en vertu de la loi salique. Chaque sacre est l’occasion de réaffirmer l’origine divine du pouvoir. Le pacte de Tolbiac est chaque fois renouvelé : le roi des Francs prend l’engagement solennel de servir le Christ, dans l’union à l’Église. Il représente aussi une garantie de catholicité : le roi ne saurait communier ni recevoir la couronne de la main d’un prélat s’il n’avait confiance en l’Église catholique. Par le serment du sacre, il promet de gouverner selon certains principes fondamentaux qu’il ne peut violer. Le sacre constitue donc pour le peuple un rempart contre la tyrannie. Durant la cérémonie, de façon implicite ou explicite, le roi affirme sa soumission à la doctrine de charité et de justice enseignée par l’Église. »
Cette précision de Landric Raillat permet de mieux comprendre l’absolutisme. L’absolutisme ne signifie pas que le roi peut faire absolument tout ce qui lui plaît. Richard A. Jackson écrit dans Vivat Rex :
« S’il n’est pas limité par des loi humaines (leges), le roi est soumis à certaines jura — le droit naturel, divin, et (en France) fondamental — et peut-être par la même occasion à certaines leges isolées et indispensables. »[1]
Le sacre confirme également le principe d’inaliénabilité du royaume : le souverain s’engage à conserver intactes les bases juridiques et économiques de son pouvoir. Le sacre atteste de l’union organique de la société. Le chef (la tête), chargé de guider le peuple (le corps) contracte avec lui une alliance mystique : le roi épouse la France ! La volonté du roi EST celle de ses sujets. Comme l’écrit Jean Barbey :
« Le royaume, corpus mysticum, est un ensemble organique dans lequel le caput et les membres participent d’une indissoluble unité faite de l’obéissance des uns à la volonté des autres. »[2]
Surtout, la cérémonie du sacre, suite d’actes matériels, affirme le caractère sacré du pouvoir et de son dépositaire. S’il ne « fait pas le roi », en revanche c’est lui qui confère au roi son caractère sacré. C’est de ce caractère que découle l’aspect inviolable du roi.
On voit bien ici à quel point la Charte de 1814 est pleinement enracinée dans les principes d’Ancien Régime. L’article 13 réaffirme que « la personne du roi est inviolable et sacrée » :
« Cette attestation est d’autant plus lourde de sens que le régicide venait d’attenter trente-deux ans auparavant à ce double caractère royal. Le sacre était pourtant censé conjurer les risques d’attentat à la vie du monarque en le plaçant sur une sorte de piédestal, en le faisant l’objet d’un culte quasi-religieux. Cela relève d’une dimension spécifique de la monarchie française, le développement au cours des siècles d’un mythe royal, sorte de religion du pouvoir. »[3]
Nous présentons aujourd’hui un livre coup de cœur, œuvre d’historien assez méconnue malgré sa grande justesse sur le sujet traité : Charles X vu au prisme du sacre.
Pourquoi recommander un second livre sur le sacre après notre recension du livre de Patrick Demouy ? Outre l’importance du sujet que constitue le sacre en lui-même, l’œuvre commise par Landric Raillac permet de mieux connaître un sacre particulier, et non des moindres : celui de Charles X, en 1825. L’ouvrage permet notamment de remarquer à quel point la continuité est essentiellement respectée malgré une pause marquée par les affres révolutionnaires et la singerie napoléonienne, pâle imitation du sacre de toujours.
L’ouvrage est une mine d’informations concernant l’organisation du sacre dans toutes ses parties. L’analyse est quasi-exhaustive pour tout ce qui tourne autour du sacre et de sa réception. Les pendules sont remises à l’heure, et le sacre à sa place : on a voulu en minorer l’importance, mais il faut bien reconnaître sa place capitale, tant du point de vue royal, que populaire. Le peuple fut présent en grand nombre, des malades des écrouelles furent touchés et des guérisons constatées : le nombre de touchers, certes plus bas que sous Louis XVI, ne fut pas dû à une désaffection populaire, mais aux craintes de l’entourage du roi, qui annonça l’annulation de ce rituel peu avant le sacre. Charles X, contre l’avis de ses conseillers, réalisa quand même le toucher sur les quelques centaines de malades qui n’étaient pas repartis de Reims.
Soulignons en outre les concessions, certes mineures, faites dans la liturgie même. Elles dénotent, là encore, une certaine frilosité des royalistes, même les plus ultras — cela se reflète aussi dans la pingrerie des finances accordées à l’organisation du sacre, jurant avec les largesses de l’Ancien Régime. Au cœur même de la Restauration qui devait tout restaurer, ces petits signes montrent à quel point il est difficile de se débarrasser de l’esprit révolutionnaire ! Le sacre de Louis XVIII, malgré la volonté du roi, n’aura d’ailleurs jamais lieu.
Bref, ce livre bien écrit et bien documenté allie à la fois une fine analyse de la valeur et du sens du sacre — avec une sensibilité tout à fait salutaire pour l’aspect liturgique du sacre, indispensable pour comprendre le sens qui en transpire — et de l’importance du sacré de manière plus générale. Landric Raillat, devenu moine quelques années après l’écriture de ce livre, remet ainsi le sacre de Charles X à sa juste place, c’est-à-dire au centre de son règne.
Tirons un enseignement de cette œuvre : la restauration ne peut commencer que dans le sacre, venant lui-même couronner une restauration spirituelle, prérequis pour toute renaissance temporelle, fruit naturel de principes bons.
Rémi Martin
Sommaire
- Le Roi de France s’est toujours fait sacrer
- Quel sacre possible en 1825 ?
- La Fièvre des préparatifs
- La Montée vers Reims
- Le Régime révélé
- La Kermesse du roi thaumaturge
- L’Enjeu : la France unie
- Beaucoup de bruit pour rien
- Les Français jugent le sacre
[1] Richard A. Jackson, Vivat Rex : Histoire des sacres et couronnements en France (1364-1825), Paris, Ophrys Éditions, 1982. Cet ouvrage est un autre incontournable sur la question, plus aride mais essentiel pour comprendre l’historiographie contemporaine du sacre.
[2] Jean Barbey, La Fonction royale.Essence et légitimité d’après les Tractatus de Jean de Terrevermeille, Paris, Nouvelles Éditions Latines, 1985.
[3] Landric Raillat, Charles X ou le sacre de la dernière chance, Paris, Olivier Orban, 1991, pp. 22-23.
Hélas, en 1825 le sacre du roi très chrétien n’avait plus aucun sens pour les français… la tourmente révolutionnaire était passée par là ! et d’ailleurs, même le sacre de l’infortuné Louis XVI avait suscité des critiques… si un jour il nous est donné de revoir un roi sacré en France, nul doute qu’il devra passer par d’innombrables tentatives d’empêchement !
Si cela était néanmoins accordé à ce royaume, je pense qu’une telle cérémonie devra conjuguer à la fois la simplicité (l’heure n’est plus aux fastes ruineux), la Foi (le roi met son royaume sous la protection de Dieu) et le rôle primordial du titulaire de la couronne (le roi commande au clergé, et non l’inverse… )
Je suis royaliste, patriote, catholique, mais aussi gallican !
Je confirme, excellent ouvrage.