Chretienté/christianophobieHistoire

[CEH] De la religion d’Henri IV, par l’abbé Christian-Philippe Chanut. Partie 2 : Un protestant tolérant et catholicisant (1562-1572)

Henri IV et sa mère, la reine Jeanne d'Albret.

De la religion d’Henri IV

Par l’abbé Christian-Philippe Chanut

Partie 1 : Un petit prince aux rudiments catholiques (1553-1562)

Partie 2. Un protestant tolérant et catholicisant (1562-1572)

Après la mort de son père (17 novembre 1562)1, tout en restant à la cour de France mais sous l’autorité de gens choisis par sa mère, le prince de Navarre2 reçut de nouveau le précepteur protestant que son père avait révoquée (Francis de La Gaucherie, aidé de Pierre-Victor Palma-Cayet3) et revint au culte calviniste ; cependant, Catherine de Médicis garde assez d’influence sur le jeune prince pour, selon l’expression de sa mère, le nourrir « en haine de la religion réformée et des dogmatisants » (mars 1563), en l’envoyant suivre les cours du très catholique collège de Navarre4. De ce chassé-croisé permanent entre des maîtres catholiques et des maîtres protestants de diverses tendances5, Henri de Navarre qui n’était pas un grand lecteur, tant s’en faut, hormis Amadis des Gaules et quelques romans de chevalerie, sortit plus chrétien tolérant et humaniste que théologien partisan et pessimiste. Le protestantisme, à l’époque dont nous parlons, était un antihumanisme qui professait que l’homme, déchu à cause de la faute originelle, « a tellement été infecté et gâté par le péché qu’il en est privé de toute possibilité naturelle de bien et de rendu incapable de coopérer librement avec la grâce »6. Pour ce qui est des choses de la religion, faute de le familiariser avec les dogmes, La Gaucherie lui inculquera une très haute idée de la présence Dieu qui manifeste sans cesse sa volonté aux princes à travers l’Histoire, de sorte que l’on lit souvent, sous plume d’Henri, que rien n’arrivera « si Dieu n’y met sa main toute-puissante ». Jeanne d’Albret a beau dire, dans ses Mémoires, qu’elle l’a trouvé convenablement instruit de sa religion, elle n’en a pas moins écrit à Théodore de Bèze7 que La Gaucherie ne lui « ayant rien appris que par certaines règles mal assurées, en sorte que n’ayant nul fondement aux rudiments, le bâtiment, qui se montrait apparent, par ce qu’il lui avait fort appris par cœur sans art, est tombé en ruine ». Jean-Baptiste Morély, sieur de Villiers, successeur du défunt La Gaucherie8, dont le Traité de la discipline avait été brûlé à Genève (1563) et qui affiche des thèses hardies dans une correspondance compromettante aux yeux de Théodore de Bèze, n’a pas guère dû beaucoup travailler à ancrer la foi calviniste dans l’esprit du prince de Navarre. Pour la suite où l’on verra Henri de Navarre affirmer que, pour sa croyance, il se conformera aux instructions d’un concile général ou national, voire d’une assemblée de notable, il est intéressant de noter que Morély professait que l’assemblée des fidèles était l’instance suprême de la définition dogmatique. Quant à Florent Chrétien, il dira lui-même, à propos d’Henri IV : « Vrai est que mes paroles lui ont fort peu servi. »

Enfin récupéré par sa mère et emmené en Béarn, Henri de Navarre livra ses premiers combats pour ramener à l’obéissance la Basse-Navarre qu’en septembre 15679 le comte de Luxe avait soulevée contre l’ordonnance ecclésiastique donnée par Jeanne d’Albret10 (juillet 1566) pour proscrire la religion catholique à quoi, elle venait d’ajouter l’usure, la mendicité, les jeux d’argent et de hasard, l’ivrognerie, la débauche et la prostitution, non sans bousculer les prérogatives des États de Béarn et réglementer l’accession aux charges et offices.

Après qu’il eut, sans combat, repoussé les troupes des conjurés jusqu’au-delà de Saint-Jean-Pied-de-Port, il revint à Saint-Palais et fit traduire en basque, par le procureur général Etchard, un discours où il se montre moins chef de parti que prince avisé : « s’ils se montraient bons sujets, la reine se montrerait encore meilleure princesse, et n’altérait leurs privilèges, fors, coutumes et libertés ni les forcerait en leur religion (attendant que Dieu par sa grâce les appelât à la connaissance de sa vérité, comme il l’en priait très humblement) et leur promettait qu’encore qu’il fût très bien assuré de la bonne volonté de la reine, sa mère, en leur endroit, il leur servirait néanmoins de bons avocats et meilleur ami envers elle, et voulait qu’en toutes leurs affaires ils s’adressassent à lui sans honte ni crainte de l’importuner, et ils connaîtraient par effet quelle était l’affection qu’il leur portait, et ne se pourraient jamais plaindre qu’il les eut trompés ou repus de la fumée de la cour, comme faisaient plusieurs, qui après avoir longtemps entretenu les poursuivants de vaines espérances et reçu force présents les renvoyaient sans rien. »11 Ce discours du prince de Navarre qui lui acquit l’estime et l’attachement de la Basse-Navarre, tout empreint de tolérance, tranchait très nettement avec les propos de ses coreligionnaires qui n’entendaient pas seulement fuir le catholicisme mais le combattre et le détruire pour imposer aux peuples aveugles la vraye religion. Nul doute que le jeune prince fut circonvenu par le comte Antoine de Gramont12 qui l’accompagnait dans cette campagne et qui, plus politique que religieux, avait su lui montrer, en pratique plus qu’en théorie, combien la tolérance est préférable, pour la prospérité des États, à la dictature religieuse. Après les deuxième13 et troisième14 guerres de religion auxquelles il fut étroitement mêlé sans les commander, Henri de Navarre se satisfit de la liberté de conscience et de la relative liberté du culte qui les concluaient. À vrai dire, si l’on en croit l’Histoire de notre temps, écrit anonyme des années 1570, il ne s’était pas engagé à autre chose que le serment qu’il prêta, avec le prince de Condé : « nous vivons et mourrons avec eux et ne les abandonnerons jusques à ce que les affaires de ce royaume soient réduites en tel état que Dieu y soit servi et honoré, notre roi soit délivré de ceux qui le tenant et le possédant, tyrannisent tous ceux qui en ce royaume font profession de la religion réformée, y puissent vivre en repose et sûreté avec libre et entier exercice de ladite religion ».

Ces deux guerres dont Jeanne d’Albret fut l’âme furent assurément religieuses. En même temps, et la reine de Navarre n’en fit pas mystère, elles avaient pour but de défendre l’aristocratie française contre le gouvernement des étrangers, qu’ils fussent lorrains, comme la famille de Guise, ou italiens, comme Retz, Birague ou Gonzague. Il s’agissait d’imposer les Bourbons, seuls cousins du roi, aux premières places du Conseil et de défendre les droits de son fils, aîné des Bourbons, qui « avait droit de succession après Messieurs les frères du Roi ». Il n’est pas sans intérêt de noter que, dans l’entourage de Charles IX (les ambassadeurs d’Espagne et de Toscane l’on écrit), des gens pensaient que le Prince de Navarre, pour peu qu’on le délivrât de l’influence de sa mère, serait proche de revenir au catholicisme ; Coligny sembla lui-même le redouter lorsqu’il apparut qu’Henri avait désapprouvé la ruine de tant d’églises de la vallée du Rhône. Si Catherine de Médicis tenait tant au mariage d’Henri de Navarre avec sa fille Marguerite, c’était bien pour séparer le prince de sa mère et l’attirer dans son camp où, comme l’on sait, le politique l’emportait sur le religieux. Jeanne d’Albret, contre l’avis de Coligny qui avait retrouvé sa place à la cour, résista longuement, jusqu’à ce que Catherine de Médicis laissât entendre qu’on pourrait inviter le pape, grand adversaire de ce projet matrimonial, à dénoncer la bâtardise d’Henri en déclarant invalide le mariage de ses parents. Ainsi donc, de sa mère mourante15 qui le voulait fermement calviniste, il apprit qu’on pouvait s’accommoder des choses, fût-ce du mariage avec une princesse catholique, si l’on sauvegardait sa position et ses droits au trône.

À suivre…

Abbé Christian-Philippe Chanut


1 Antoine de Bourbon est mort, face aux Andelys, sur un bateau qui remontait la Seine vers Paris, des suites d’un coup d’arquebuse reçu au siège de Rouen.

2 Henri prend le titre de prince de Navarre à la mort de son grand-père, Henri d’Albret (24 mai 1555).

3 Pierre-Victor Plama-Cayet, disciple de Ramus qu’il avait suivi dans la Réforme, est plus humaniste que protestant, en même temps que très versé dans les sciences occultes. Peut-être n’a-t-il pas communiqué, dès son jeune âge, au prince de Navarre ses étranges conceptions sur l’œuvre de chair en dehors du mariage, mais il faut se souvenir qu’il professait que le sixième commandement de Dieu ne défendant ni la fornication ni l’adultère, il faudrait instituer une prostitution officielle.

4 Ainsi appelé par ce qu’il avait été fondé, en 1309, par Jeanne de Navarre, femme de Philippe le Bel.

5 « Si La Gaucherie fut idéalement cet équilibre qu’un Montaigne n’aurait pas désavoué, ses successeurs représentèrent, aux yeux de l’adolescent, les trois pièges de l’esprit auxquels l’époque était confrontée : l’exaltation mystique des sciences occultes (Palma-Cayet), l’exaltation érudite (Florent Chrétien) et l’exaltation théologique (Jean-Baptiste Morély). Sans doute le jeune Henri, qui n’était pas un contemplatif ni un intellectuel, ne pouvait-il se formuler de telles remarques, mais les leçons de ses trois derniers maîtres lui inspirèrent certainement une connaissance intuitive de ces exaltations et de leurs risques en même temps qu’une défiance à leur égard. » (François Bayrou, Henri IV, le roi libre, Flammarion, 1994).

6 René Bady, Humanisme chrétien dans les lettres françaises, XVIe-XVIIe siècles, librairie Arthème Fayard, collection Je sais, je crois ; Paris, 1972.

7 Théodore de Bèze, né à Vézelay le 24 juin 1519, fit des études de droit à Orléans, en même temps qu’il s’occupait de poésie (il publia le Poemata juvenilia en 1548), passa à Genève où il se maria et abjura le catholicisme. Professeur de grec à Lausanne, il publia, en 1556, la tragédie Abraham sacrifiant qui eut un grand succès. Sa réputation dans les milieux réformés vient de sa traduction du Nouveau Testament (1566). Ministre réformé (1559), il devint l’un des principaux chefs des protestants français et succéda à Calvin (mort en 1564). Mort en 1605.

8 La Gaucherie meurt en 1566.

9 « Jeanne tente d’apaiser les mutins par l’intimidation en leur envoyant le capitaine Lalane, maître de camp de son infanterie, pour faire exécuter ses arrêts de justice, mais les révoltés de Navarre et de Soule mettent la main sur son représentant et le retiennent prisonnier au château de Garris. Cette atteinte directe à son autorité blesse vivement la reine. Puisqu’ils n’ont pas respecté son lieutenant, elle décide, comme le maître de la vigne de la parabole, de leur envoyer son fils. » (Jean-Pierre Babelon, Henri IV, Librairie Arthème Fayard, Paris, 1982).

10 « Pour donc obéir au commandement du Seigneur, satisfaire au devoir et à l’office du chrétien, respondre à la vocation que nous avons de Dieu, procurer tout le salut de notre peuple et sujets, conserver le lien de la police et paix publique en son entier, suivre diligemment l’exemple de nos bons princes et rois, prévenir l’horible fureur du jugement de Dieu. »

11 N. de Bordenave, Histoire de Béarn et de Navarre.

12 Antoine de Gramont, chef d’une illustre et puissante maison (prétendument d’origine royale), qui figurait à la tête de noblesse du royaume Navarre, s’était d’abord distingué au service du roi de France dans la conquête de Calais et du Boulonnais ; chevalier de l’ordre du Roi, capitaine de cinquante hommes d’armes des ordonnances de Sa Majesté, maire héréditaire de Bayonne, seigneur souverain de Bidache, il avait épousé Hélène de Clermont de Traves, sœur utérine de François de Vendôme, vidâme de Chartres, qui était apparentée au prince de Condé, à l’amiral de Coligny et au connétable de Montmorency. Lieutenant général de Jeanne d’Albret, il avait, pendant trois ans, gouverné au mieux le Béarn et la Navarre où il avait suspendu l’application des ordonnances de 1566 jusqu’à l’arrivée de la reine, ce qui lui valut une semi-disgrâce dont il fut rappelé en hâte pour apaiser la révolte de 1567.

13 Commencé en septembre 1568, la deuxième guerre de religion s’achève par la paix de Longjumeau, signée le 23 mars 1568.

14 Commencée en août 1568, la troisième guerre de religion s’achève par la paix de Saint-Germain, signée le 9 août 1570.

15 Jeanne d’Albret mourut le 9 juin 1572, à Paris.

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