Avec les saints de France, en avant…
… pour la reconstruction de la fille aînée de l’Église 1/3
Par Frère Clément-Marie*
Pour répondre à la demande de nombreux lecteurs, passionnés par la vie des saints de France, nous sommes allés interroger Frère Clément-Marie de la Famille Missionnaire de Notre-Dame, un grand spécialiste de la question que nous remercions vivement de son analyse.
« Cette année 2017 est une année importante pour la France en raison des élections qui vont se dérouler dans quelques semaines. Au-delà de ces échéances électorales, c’est la vision de la France qui est en jeu. En cette période de Carême, nous voulons approfondir l’Histoire de France à travers les saints. La France a de très nombreux saints. Nous ne les connaissons pas assez, or ce sont eux qui ont donné à notre pays la physionomie qui est la sienne.
Les Papes Jean-Paul II et Benoît XVI ont beaucoup parlé de la richesse de notre pays. Ainsi, lorsque Benoît XVI a reçu en 2012 les évêques français en visite ad limina, a souligné « les racines chrétiennes de la France qui, dès ses origines, a accueilli le message de l’Évangile. » (BENOÎT XVI, Discours aux évêques de France, 21 septembre 2012). Plus tard, il dira aux évêques de France : « Vous êtes en charge de régions où la foi chrétienne a très tôt pris racine et porté des fruits admirables. » Et il mentionnera la « longue lignée de saints, de docteurs, de martyrs et de confesseurs de la foi », « de Pothin et Blandine à Irénée, Vincent de Lérins, Bruno, Bernard, François de Sales en passant par Jeanne d’Arc, Jean-Marie Vianney et Thérèse de l’Enfant-Jésus. » Il concluait : «Vous êtes les héritiers d’une grande expérience humaine et d’une immense richesse spirituelle. Or, si cette « longue histoire chrétienne de votre nation ne peut être ignorée ou diminuée », c’est parce qu’elle « configure encore aujourd’hui sa vocation singulière. » BENOÎT XVI, Discours aux évêques de France, 17 novembre 2012
Ainsi, parler des racines chrétiennes de la France n’est pas du triomphalisme ni du colonialisme. C’est tout simplement la réalité historique ! Nous allons revivre rapidement maintenant, à l’aide des saints, la véritable histoire de France, celle que l’on n’apprend plus à l’école. Celle que l’on cache même, parce qu’elle dérange. Mais il est essentiel que nous nous replongions dans cette véritable histoire qui constitue nos racines profondes, et donc notre identité de Français.
L’évangélisation de la France, jusqu’à Clovis : commençons par les débuts de l’évangélisation sur notre terre. Elle est alors peuplée par les Gaulois, qui étaient des celtes dont les tribus se faisaient la guerre. Il n’existait pas alors d’unité politique avant la Gaule romaine sur notre terre. Les conquêtes de Jules César ont permis d’intégrer la Gaule à l’Empire romain. Notre pays prend le nom de Gaule romaine. Et, c’est un fait, l’empire romain, par son unité, va favoriser l’expansion de l’Évangile.
La première évangélisation
La divine Providence a permis que soient envoyés en Gaule les plus proches amis de Jésus : Lazare, Marie-Magdeleine et Marthe, ainsi que les Saintes Marie de la mer (Marie de Cléophas et Marie Salomé). Les ennemis de Jésus voulant éliminer ces témoins gênants, ils furent, quelques temps après la Résurrection, mis sur un radeau afin de périr en mer, mais ils accostèrent miraculeusement en Provence. Ces traditions bien attestées nous montrent Lazare premier évêque de Marseille (où est gardé son crâne), Marie-Magdeleine à la Sainte Baume (son crâne est vénéré aujourd’hui à Saint Maximin), et Marthe à Tarascon.
Un peu plus tard, saint Pierre envoya en Gaule des évangélisateurs, dont plusieurs faisaient partie du groupe des 72 disciples de Jésus. Dans la cathédrale de Sens, on vénère ainsi les reliques de Saint Potentien et Saint Savinien. Grâce à ces messagers de l’Évangile, le christianisme s’est implanté dès le Ier siècle dans plusieurs régions de la Gaule, notamment dans la vallée du Rhône, en Aquitaine et à Sens. Le christianisme n’a d’abord pénétré que les villes. Il y eut rapidement de nombreux martyrs, comme saint Pothin, sainte Blandine et leurs compagnons, martyrisés à Lyon en 177, ou sainte Colombe à Sens en 274. Ce sang sera semence de nombreux chrétiens.
Parlons d’abord de l’évangélisation des campagnes
Grâce à l’intense évangélisation des trois premiers siècles, au début du IVème siècle, la Gaule romaine possède déjà de nombreuses églises, mais surtout dans les villes. Au IVème siècle, Saint Martin (317-397), évêque de Tours et fondateur du monachisme en Occident, s’attaqua aux hauts lieux du paganisme rural et évangélisa les campagnes. Originaire de Pannonie (actuelle Hongrie), il est un saint qui marque profondément et durablement l’histoire de France. Moins connu, saint Hilaire de Poitiers (315-367) travailla à la même époque à l’expansion de la foi chrétienne. Né dans une famille païenne, et tourmenté par la question du sens de la vie, il trouve la réponse à toutes ses questions dans la Bible, et en particulier dans l’évangile de saint Jean. À trente ans, il demande le baptême. Devenu évêque de Poitiers, il consacra sa vie à la défense de la foi contre les hérésies et à l’évangélisation. Saint Hilaire rencontra d’ailleurs saint Martin en diverses occasions.
Nous assistons à la conversion et au baptême de Clovis
Au Vème siècle, une bonne partie de l’aristocratie gallo-romaine s’était convertie, et la christianisation est alors complète sur le continent de la Gaule romaine. C’est alors qu’une branche de la race germaine va se greffer sur ce peuple gallo-romain et renouveler sa sève vitale pour bâtir les fondations de la France.
Cette histoire commence avec Clotilde, fille du roi Burgonde Chilpéric et de la chrétienne Carétène, qui naquit vers 474, probablement à Lyon ; elle fut élevée dans la pratique de la vertu et dans la vénération des martyrs lyonnais, spécialement de sainte Blandine. Demandée en mariage par le roi des Francs, Clovis, encore païen, qui voulait trouver dans les Burgondes des alliés contre les Visigoths, elle accepta à condition que les enfants à naître de leur union seraient élevés dans la foi catholique. Le mariage fut célébré à Soissons avec la pompe des coutumes barbares : la grande préoccupation de Clotilde, à partir de ce moment, fut la conversion de son époux.
L’œuvre devait être lente ; elle a vécu avec « patience, persévérance et confiance… » L’auxiliaire envoyé par la Providence fut Rémi, évêque de Reims, qui était apprécié de Clovis. En 487, Clovis approche de Paris, mais les portes lui sont fermées, et Paris, avec à sa tête sainte Geneviève, résiste. Clovis assiège la ville qui ne cèdera pas. En 496, eut lieu la bataille de Tolbiac (près de Cologne). Après un choc terrible, les Francs pliaient, quand Clovis, dans une illumination soudaine, s’écria : « Dieu de Clotilde, donne-moi la victoire et Tu seras mon Dieu ! » Le courage renaît à ses soldats et bientôt la victoire des Francs est complète. Sans perdre de temps, Clotilde fit prévenir l’évêque Rémi, qui se hâta de venir instruire le prince, pour le baptiser ensuite avec 3000 de ses soldats ; ce fut le signal du baptême de la nation entière. Dans cette nuit de Noël, à Reims, Clovis reçut le baptême des mains de saint Rémi, qui lui dit solennellement : « Adore ce que tu as brûlé et brûle ce que tu as adoré. » Alors Geneviève fit ouvrir les portes de Paris qui l’accueillit avec enthousiasme.
Plus tard, en 508, après la guerre wisigothique, comme il était à Tours, Clovis reçut de l’empereur Anastase la nomination de consul… Cela donnait à l’autorité de Clovis un caractère légitime aux yeux des Gallo-Romains, il devenait comme le délégué de l’empereur en Gaule. Ainsi, c’est grâce à sa conversion et à son baptême que Clovis put étendre son pouvoir sur la Gaule, et que son autorité fut acceptée. On peut dire qu’alors commence vraiment la France, unifiée par le christianisme.
Que se passe-t-il au « moyen-âge » au cours duquel commencent les siècles de la « chrétienté » ? En ces siècles, beaucoup de saints évêques eurent une profonde influence sur l’ensemble de notre pays, ainsi que les moines qui vécurent le ora et labora, et dont les monastères furent à la fois les lieux de transmission d’une culture intellectuelle et du travail de la terre. Nous devons mentionner au XIIème siècle saint Bernard, dont la flamme et la dévotion mariale marquèrent la France. Pour cette longue et féconde période, nous nous arrêterons seulement sur deux saints particulièrement marquants de notre histoire de France : saint Louis et sainte Jeanne d’Arc.
Apparaît Saint Louis, modèle de gouvernant : Au XIIIème siècle, saint Louis fut bien sûr une grande figure de sainteté en France. Fils du roi Louis VIII, il a reçu une éducation à la fois stricte et pieuse de sa mère, Blanche de Castille. Celle-ci lui enseignait : « Je préférerais te voir mort à mes pieds plutôt que de te voir commettre un seul péché mortel. » Il hérite de la couronne de son père alors qu’il n’a que douze ans, et il est sacré en 1226, à Reims. À vingt ans, il épouse Marguerite de Provence ; leur amour sera tendre et fidèle. Quand il part pour délivrer la Terre Sainte en 1248, il s’embarque avec elle. Le roi est fait prisonnier. Une fois libéré et rentré dans son royaume, il y entreprend de grandes réformes. Il introduit dans le droit la présomption d’innocence. Il atténue l’usage de la torture, interdit le duel judiciaire. Il fonde des hôpitaux et des monastères.
Il réalise aussi un grand projet : la construction de la Sainte-Chapelle comme une châsse de lumière et de vitraux destinée à recueillir des reliques, surtout la Couronne d’épines du Seigneur, qu’il a acquise auprès de l’empereur latin de Constantinople. Sous son règne, la France connaît une période de développement culturel, intellectuel et théologique. Saint Louis aime recevoir à sa table saint Bonaventure et saint Thomas d’Aquin. Avec Robert de Sorbon, il fonde la Sorbonne en 1257. Il suit avec attention l’achèvement de la construction de la cathédrale Notre-Dame. Sa réputation de justice dépasse les frontières du royaume, et son arbitrage est sollicité par les différentes monarchies d’Europe Mais il est attentif à ce que les pauvres et les petits puissent obtenir justice eux aussi.
C’est saint Louis qui crée l’institution de contrôle des finances qui deviendra la cour des comptes. Son plus grand souci est de pacifier, de réconcilier les ennemis et d’éteindre les conflits, en particulier entre la France et l’Angleterre (1258). Mais il rêve de retourner en Terre Sainte et de convertir le sultan d’Égypte. Il n’ira pas plus loin que Carthage, l’actuelle Tunis. La maladie a raison de lui le 25 août 1270, après 43 ans de règne. Saint Louis est un modèle pour les gouvernants – modèle dont nous avons bien besoin ces temps-ci… Son intérêt personnel ne comptait pas, mais sa foi lui faisait voir avant toute autre chose le bien de son royaume et de ses sujets ; il savait que c’était pour lui une responsabilité devant Dieu, et que de cela dépendait son salut éternel.
Son règne montre que la foi, loin d’entraver une activité politique au service de la paix et de la justice, est au contraire un puissant facteur de développement, y compris culturel et économique. Saint Louis montre que la dichotomie si souvent invoquée aujourd’hui, qui consiste pour des hommes politiques à rejeter dans la sphère privée leur foi et à ne pas s’en inspirer dans leur mission publique est fallacieuse.
En 1239, le Pape Grégoire IX écrira au futur Saint Louis : « Ainsi Dieu choisit la France de préférence à toutes les autres nations de la terre pour la protection de la foi catholique et pour la défense de la liberté religieuse. Pour ce motif le royaume de France est le royaume de Dieu. »
Nous vous donnons rendez-vous pour le prochain numéro avec l’épopée de Jeanne d’Arc.
* Frère Clément-Marie de la Famille Missionnaire de Notre-Dame en Ardèche
Solange Strimon