L’État, c’est lui ! Ou l’arnaque de la « séparation des pouvoirs »
« L’État, c’est moi ». C’est avec ces quelques mots, que d’ignobles faussaires ont cru pouvoir mettre dans la bouche du grand Roi Louis XIV, que l’idéologie révolutionnaire a jugé bon de faire croire en l’absolutisme du pouvoir monarchique dans la France d’Ancien Régime. Soigneusement répandue jusque sur les bancs de son école, cette citation apocryphe est devenue un étendard de la République, avec quelques autres grotesques inventions, à l’image de celle du riche seigneur piétinant au passage de son cheval les champs de blé des pauvres paysans pour les plaisirs de la chasse. Nul ne devrait pourtant ignorer que jamais l’on ne chasse en été.
C’est que le propre de la perversité consiste à reprocher aux autres les maux dont elle se repaît elle-même. Dans le but de persévérer.
L’objet de cet article sera de démontrer, à l’endroit de la république, l’illustration éclatante de ce principe qui ne devrait tromper personne. Car, ce dont il est question, ici, attrait à un principe dit fondamental pour les républicains, je veux parler de la fameuse séparation des pouvoirs.
Attribué de façon fausse à Charles-Louis de Secondat de la Brède, plus connu sous le nom de Montesquieu, la séparation des pouvoirs fait partie de ces quelques funèbres principes dont les philosophes dits « des Lumières » ont usé pour tromper les esprits.
« C’est une expérience éternelle que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser[1] ».
À partir de ce prédicat, le baron de la Brède et de Montesquieu — paraphrasant largement un autre auteur, d’un demi-siècle son aîné, l’Anglais John Locke — répandit, en France, sa trop fameuse théorie.
John Locke, voilà un bien sombre inspirateur : producteur d’un trop fameux Essai sur la tolérance mais, en même temps, grand défenseur de la traite négrière ! C’est bien lui qui écrivait dans un ouvrage pompeusement intitulé Premier traité de gouvernement civil, que « le titre qui habilite le maître à commander soit aux esclaves, soit aux chevaux résulte simplement d’un achat » puisqu’il en a acquis la légitime propriété « à la suite d’un marchandage et à prix d’argent »[2]. O tempora, o mores ! s’écrieront les adeptes de l’équerre et du compas, dénaturant l’indignation du grand Cicéron, ce n’est pas au premier degré que ces mots devront être pris… Pourtant, Locke sera bien le législateur de l’esclavage dans sa Constitution de la Caroline, n’hésitant pas à disposer que « tout citoyen libre de la Caroline exerce un pouvoir et une autorité sans limites sur ses esclaves noirs, quelles que soient les opinions de ceux-ci ou leur religion[3] » ; dans le même temps qu’il fut l’un des plus grands actionnaires de la tristement fameuse société de traite négrière, la Royal African Company.
Consacrée à l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 aux termes duquel : « Toute société dans laquelle (…) la séparation des pouvoirs [n’est pas] déterminée, n’a point de Constitution », cette théorie dite « de la séparation des pouvoirs » semble trouver une mise en œuvre dans la Constitution de la République. À chaque fois qu’il en est saisi, le Conseil constitutionnel républicain ne manque pas, d’ailleurs, d’en veiller au respect.
Ainsi, forts de leur trouvaille, les républicains ne manquent-ils pas de s’honorer de cette séparation des pouvoirs. Selon eux, elle marquerait la vraie rupture d’avec la conception monarchique d’Ancien Régime en tant qu’elle s’opposerait, en particulier, à cet absolutisme inventé et caractérisé par une soi-disant concentration entre les mains du roi de tous les pouvoirs…
Et pourtant, c’est dès la présentation du projet de constitution devant le Conseil d’État le 27 août 1958, que le « sacro-saint » principe républicain fut entamé. « À la confusion des pouvoirs dans une seule assemblée, à la stricte séparation des pouvoirs avec priorité au chef de l’État, il convient de préférer la collaboration des pouvoirs », insistait le ministre de la justice d’alors et, par ailleurs, père de la constitution, Michel Debré.
Collaborer, on ne pouvait mieux dire… Mais il fallut ensuite faire mieux par l’intermédiaire de l’allègre violation, par tous les présidents de la république, désormais élus au suffrage universel direct, des articles 5 et 20 de cette même constitution. Dont ils sont pourtant les gardiens…
Si l’on s’y attarde, qu’y lit-on ?
ARTICLE 5.
Le Président de la République veille au respect de la Constitution.
ARTICLE 20.
Le Gouvernement détermine et conduit la politique de la nation.
Et, dans les faits, que voit-on ? Que c’est bien le président et non le gouvernement qui, tous les jours que Dieu fait, détermine et conduit la politique de la France. Et que, par conséquent, il ne veille pas au respect de la constitution mais bien à son contraire. Mais, ce faisant, il devient le maître du pouvoir exécutif.
Alors me direz-vous, en période de cohabitation, cette fameuse période où, porté au poste de Premier ministre par une majorité contraire à l’Assemblée, le président ne se retrouve-t-il pas isolé et privé de ses expropriations ? C’est vrai, vous avez raison. Dans cette période, le président se retrouve relégué dans les fonctions que la constitution lui confère et retourne, en quelque sorte, dans ses boxes. Mais qu’à cela ne tienne et l’on fera ainsi d’une pierre deux coups : en alignant la durée du mandat présidentiel sur celui des députés et en s’attachant soigneusement à faire se suivre de peu ces deux élections, l’on fera du Premier ministre, le commis du président et de l’assemblée, un croupion.
Aussi dit, aussitôt fait, avec la réduction, à la suite du referendum sur le quinquennat présidentiel du 24 septembre 2000, organisé par le président Jacques Chirac, de la durée du mandat présidentiel de sept à cinq ans par loi constitutionnelle n°2000-964 du 2 octobre 2000[4]. Joli tour de passe-passe qui permit au président, après le pouvoir exécutif, de se rendre maître du pouvoir législatif réduit à une assemblée aux ordres de sa majorité soigneusement sculptée par la mécanique implacable de l’élection au scrutin uninominal majoritaire à deux tours et à laquelle la constitution donne le dernier mot, faisant par là-même des sénateurs, les membres de la chambre basse.
Et de deux !
Mais, me direz-vous encore, il y a encore le pouvoir judiciaire ? Certes, vous évoquerez peut-être, d’ailleurs, ce que d’aucuns appellent le gouvernement des juges[5]. Pourtant, ce gouvernement n’existe pas et cela pour deux raisons. La première tient au fait que la République ne fait pas du « judiciaire » un pouvoir mais seulement une autorité[6]. La seconde tient au fait que la république se distingue de la monarchie royale. La justice n’y consiste pas à donner, ainsi que l’affirmait Aristote, à chacun ce qui lui revient[7]. Bien au contraire, la justice Républicaine se réduit à la seule tâche d’appliquer la règle — fût-elle injuste — au seul motif qu’elle représente « l’expression de la volonté générale[8] ». Ravalant, au passage, les juristes au rang de simples techniciens. Or, les textes ne sont pas faits par l’autorité judiciaire.
Et de trois !
Comment s’étonner, dans ces conditions, que 64 % des Français, soit près de 2 Français sur 3, ont une image négative de la justice de la République ?
Dans ces conditions, qu’une crise majeure survienne, qu’elle soit sanitaire ou touchant à la sécurité par exemple, il lui sera aisé de procéder à la réduction drastique et inouïe de toutes les libertés. Une réduction comme les Français n’en n’ont jamais connu par le passé ! Désormais, il lui est possible, à loisir, de décider, seul ou à peu près, d’enfermer dans leurs murs, la totalité d’un peuple qui pourtant, au moment où la décision fut prise hurlait dans les rues, semaine après semaine, sa colère aux oreilles d’un pouvoir sourd. Enchaînant les unes après les autres, des lois toutes plus liberticides les unes que les autres, instaurant des couvre-feux, multipliant les attestations, les contrôles, les renseignements et les fichiers, institutionnalisant les états d’urgence, asphyxiant littéralement la société, il peut ainsi disposer à sa guise de ce que les Français ont de plus précieux et que, jamais auparavant, aucun pouvoir n’avait réussi à leur confisquer d’une manière comparable… Au point de faire de notre pays, selon l’indice publié chaque année par le groupe de recherche du journal The Economist[9], une « démocratie défaillante », loin derrière nos cousins d’Europe du Nord, l’Irlande, les Pays-Bas, l’Allemagne, le Royaume-Uni, l’Espagne mais aussi, plus loin de nous, Taïwan, le Chili, l’Uruguay, le Costa Rica et la Corée du Sud.
C’est dire !
Néanmoins, l’hiver des asservissements, lui, ne durera pas éternellement. Bientôt — et bien plus tôt que beaucoup ne le pensent — il devra laisser la place au printemps des libertés en la personne de Monseigneur le Prince Louis de Bourbon. La France redeviendra alors, dans la grâce de Dieu, ce qu’elle a toujours été, libre, forte et rayonnante. Et cela sera, pour longtemps désormais, l’été de la France.
François des Millets
[1] Montesquieu, De l’Esprit des Lois, XI, 4.
[2] John Locke, Premier Traité de gouvernement civil, Paris, Vrin, 1997, § 1, p. 112.
[3] John Locke, Constitutions fondamentales de la Caroline in Deuxième Traité du gouvernement civil , Paris, Vrin, 1967, art. 110.
[4] Notons d’ailleurs, au passage, que, lors de ce referendum, l’abstention atteint le score faramineux de 69,81 % des inscrits, ce qui n’empêcha pas, pourtant, d’affirmer qu’il fut approuvé par les Français !
[5] Éric Zemmour, « Le pouvoir des juges contre les droits des peuples », Le Figaro, 25 septembre 2020. https://www.lefigaro.fr/vox/societe/eric-zemmour-le-pouvoir-des-juges-contre-les-droits-des-peuples-20200925
[6] Constitution du 4 octobre 1958 : Titre VIII : De l’autorité judiciaire. Art. 66.
[7] Aristote, Éthique à Nicomaque, V. 1130 b 30 – 1133 b 28.
[8] Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789. Art. 6 : La Loi est l’expression de la volonté générale.
[9] The Economist, Democracy Index 2020: In sickness and in health? 2 février 2021. https://www.eiu.com/n/campaigns/democracy-index-2020/#mktoForm_anchor