Il eût mieux valu qu’il n’eût pas existé !
En ce bicentenaire de la mort de Bonaparte, il est de bon ton dans les milieux dits conservateurs d’encenser cette pièce de l’histoire, ce personnage hors norme, comme s’il avait fait la gloire de la France et comme s’il avait œuvré à la paix religieuse, voire — idée saugrenue ! — à l’exaltation de la foi. On en ferait presque un saint martyr, converti sur son lit de mort !
Nous comprenons bien que, dans la situation actuelle de désagrégation du pays et de guerre civile larvée, on se raccroche comme on peut au passé. De plus, face aux enragés d’en face, si stupidement ignorants et hargneux, il peut sembler tentant de fermer les yeux sur le fond révolutionnaire de l’empereur, afin d’exalter un certain militarisme tout à fait révolutionnaire, ou certaines vertus naturelles comme le courage, l’effort et le sacrifice, qui étaient à l’époque encore normales, car nourries par une société chrétienne et soumises à la compétition des saints.
Nous savons bien que l’armée cherche des modèles et que, longtemps, l’illusion Bonaparte fut prégnante, car fournisseur de gloire pas chère et de belles gravures — néanmoins obtenues sur des monceaux de cadavres et une destruction irréparable de l’ordre traditionnel, dont nous subissons toujours les conséquences.
Alors soyons clair, Napoléon fut une calamité. Il ne s’agit pas de dire que tout est à jeter chez lui, mais globalement, Bainville a raison de conclure, dans son étude magistrale sur Napoléon :
« Sauf pour la gloire, sauf pour l’« art », il eût probablement mieux valu qu’il n’eût pas existé. Tout bien compté son règne, qui vient, selon le mot de Thiers, continuer la Révolution, se termine par un épouvantable échec. Son génie a prolongé, à grands frais, une partie perdue d’avance. Tant de victoires, de conquêtes (qu’il n’avait pas commencées), pourquoi ? Pour revenir en deçà du point d’où la République guerrière était partie, où Louis XVI avait laissé la France, pour abandonner les frontières naturelles, rangées au musée des doctrines mortes. Ce n’était pas la peine de tant s’agiter, à moins que ce ne fût pour léguer de belles peintures à l’histoire. Et l’ordre que Bonaparte a rétabli vaut-il le désordre qu’il a répandu en Europe, les forces qu’il y a soulevées et qui sont retombées sur les Français ? Quant à l’État napoléonien, qui a duré à travers quatre régimes, qui semblait bâti sur l’airain, il est en décadence. Ses lois s’en vont par morceaux. Bientôt on sera plus loin du code Napoléon que Napoléon ne l’était de Justinien et des Institutes, et le jour approche où, par la poussée d’idées nouvelles, l’œuvre du législateur sera périmée. »[1]
Nous recommandons cet ouvrage tout à fait profond et juste : dans celui-ci, Bainville ne cherche pas à critiquer Napoléon, mais à comprendre le personnage : pourquoi et comment est-il arrivé si haut ? Quel fut le fond de son action ? Ce travail rendrait presque Napoléon attachant — presque ! — et Bainville ne méprise pas une seule seconde son objet, mais il se doit d’être objectif : Bonaparte fut, au total, une calamité pour la France — et pour le monde — en répandant la maladie révolutionnaire jusqu’aux confins du globe, ainsi que la gloire païenne des épopées meurtrières, au profit de l’orgueilleuse satisfaction de la victoire et de l’hégémonie, plutôt qu’au service de la justice. Nous sommes loin de Saint Louis mais tout à fait dans l’ouverture du monde contemporain, qui fera tant détesté l’Europe de par le monde du fait de son colonialisme, de sa prétention à tout dominer et de ses guerres cruelles. Hélas ! L’Europe n’était supérieure que par sa chrétienté et ses fruits d’humilité, de charité et de justice ! Une fois ces fruits dévorés par la Révolution, le monde donna une supériorité effrayante aux démons à cocarde, le temps d’un court éclat, qui disparut aussi vite qu’une étoupe enflammée…
Les XIXe et XXe siècles laissèrent ensuite place au XXIe siècle, qui ne possède plus ne serait-ce que le coussin catholique qui freinait les pires déchéances. Plus rien ne retient la dérive de notre monde, qui s’enfonce dans un paganisme noir et cruel, terrible par sa technique inégalée et sombre par son caractère apostat et, donc, contre-nature, négateur des réalités les plus communes…
Alors oui, souvenons-nous de Napoléon comme du vecteur catastrophique qui permit à la Révolution de se sauver et de prospérer, pour notre plus grand malheur.
Finissons en soulignant combien l’homme déchu est inconstant et illogique ! Il s’attache aux paillettes de gloriole, qui le rendent pitoyablement attachant dans sa tentative de ne pas mourir en chérissant ce qui le tue.
La légende bonapartiste a fait beaucoup de mal dans notre pays et dans le monde, justifiant à travers toute la planète les dogmes machiavéliens des relations internationales et le refus de la justice chrétienne pour la domination et la gloire… Alors, sachons nous rappeler à quel point l’empereur fut une calamité !
« Toutefois, près plus de cent ans, le prestige de son nom est intact et son aptitude à survivre aussi extraordinaire que l’avait été son aptitude à régner. Quand il était parti de Malmaison pour Rochefort avant de se livrer à ses ennemis, il avait quitté lentement, à regret, ses souvenirs et la scène du monde. Il ne s’éloignera des mémoires humaines qu’avec la même lenteur et l’on entend encore, à travers les années, à travers les révolutions, à travers des rumeurs étranges, les pas de l’empereur qui descend de l’autre côté de la terre et gagne des horizons nouveaux. »[2]
Alors, face aux adorateurs du Moloch impérial, rappelons ce qu’est la vraie grandeur, c’est-à-dire celle du Roi Très Chrétien faisant justice et protégeant la véritable paix !
Paul-Raymond du Lac
Pour Dieu, pour le Roi, pour la France !
[1] Jacques Bainville (1879-1936), Napoléon, Paris, Arthème/Fayard et Cie, coll. « Le livre de poche historique », 1931, p. 459.
[2] Idem.
J’espère que je ne choquerai personne ici, et à commencer par M. du Lac, dont j’apprécie hautement les articles… mais je pense que le “règne” (j’y inclus son consulat !) de Bonaparte puis Napoléon 1er a été un relèvement de notre pauvre pays ravagé par les désordres et les exactions révolutionnaires. Il a eu l’intelligence de faire cesser l’épouvantable anarchie du Directoire, tout en maintenant les acquis apportés par la révolution, car il faut bien se rendre compte que nos aïeuls en 1789 ne voulaient plus du tout du modèle absolutiste mis en place par Louis XIV (c’est lui, le premier responsable des évènements de 1789)…
Le système fiscal était complètement injuste (l’actuel ne vaut guère mieux !), l’édit malencontreux du maréchal de Ségur, Secretaire d’Etat à la guerre, qui empêchait l’accès à l’épaulette (devenir officier donc) si le candidat n’avait pas ses 8 quartiers de noblesse, et tant d’autres obligations ou interdictions sous couvert de tradition empêchant le “passage” de la robe à l’épée…
Ce n’était pas la monarchie que rejetaient nos ancêtres, mais l’incroyable fratras vermoulu du système absolutiste ! et pour n’avoir pas voulu faire les réformes nécessaires en temps et en heure, tout l’édifice s’est écroulé… Napoléon a relevé l’Etat, l’a consolidé, et oeuvré dans le sens souhaité par une très large majorité de l’opinion publique…
On peut lui reprocher ses guerres interminables, mais ce sont bien les autres pays d’Europe qui nous ont fait la guerre ! avec l’argent de la perfide Albion… mais si l’Europe nous a fait la guerre, c’est à cause des révolutionnaires qui voulaient imposer leur idéologie à toute l’Europe ! les progressistes actuels en sont les criminels héritiers…
Ceux qui n’auraient pas du exister, ce sont tous ceux qui ont empêchés la modernisation de la France au XVIIIeme siècle, et je compte parmi eux les parlementaires si imbus de leurs privilèges (Maupeou et Louis XV avaient bien agi en les exilant en 1770, mais pourquoi donc notre pauvre roi Louis XVI les a rappelés ?), l’incroyable indifférence de la Cour de Versailles à la misère populaire, la regrettable coterie frivole entourant la reine Marie-Antoinette…