Le Malawi, un exemple pour l’Afrique
Combien existe-il de pays en Afrique ? 53 ? 54 ? Depuis l’indépendance du Soudan-du-Sud en 2011, je ne suis plus sûr de leur nombre exact. Parmi tous ces Etats, j’ai vécu et travaillé dans huit d’entre eux. J’en ai visité une dizaine d’autres. Cependant, il en est un qui, depuis mon arrivée sur ce continent à la fin des années 80 demeure mon favori. C’est un pays quasiment inconnu en France, très peu connu ailleurs, même dans le monde anglophone dont il fait pourtant partie.
Il s’agit du Malawi, appelé Nyasaland avant son indépendance en 1964. Un petit pays en forme de patate douce, glissé entre de grands voisins, la Tanzanie, la Zambie et surtout le Mozambique dans lequel il s’enfonce profondément, tel un coin. J’ai effectué deux séjours prolongés au Malawi. Le premier devait durer quatre années, alors qu’il subissait encore le joug, tout à la fois paternaliste et féroce, de son père fondateur Son Excellence le président à vie Ngwazi Dr Hastings Kamuzu Banda.
Plus d’une décennie après mon départ, j’y effectuais un second séjour, de deux ans cette fois-là, dans le « cœur chaud de l’Afrique », tel que le Malawi est qualifié dans les prospectus touristiques officiels du gouvernement. Le pays était devenu une démocratie multipartite, et deux présidents avaient été élus successivement après les trente années de règne sans partage du président à vie qui n’était pas parvenu à mourir dans l’exercice de sa fonction.
Le Malawi est l’antithèse de l’image négative de l’Afrique solidement ancrée dans l’imaginaire de la plupart des Français. C’est un pays pacifique qui n’a pas connu un seul conflit armé depuis son indépendance. Un pays qui a vu plusieurs transitions politiques, toutes pacifiques. La première eut lieu au début des années 60, alors que le Nyasaland tentait de s’affranchir de la tutelle britannique. Le colonisateur avait essayé de l’intégrer au sein d’une « fédération » qui regroupait la Rhodésie du Sud et la Rhodésie du Nord, où les nombreux grands fermiers blancs avaient un poids déterminant. Le petit Nyasaland refusait résolument cette intégration, préférant suivre son propre chemin qui allait le faire accéder à l’indépendance sous le nom de Malawi. Les trente années qui suivirent furent celles de la dictature d’un seul homme, d’un culte de la personnalité démesuré, démentiel, de type nord-coréen, de l’omniprésence du Malawi Congress Party, le parti unique dont tout citoyen se devait d’être membre, y compris les enfants, même ceux à naître. Faute de carte du parti, pas d’accès possible à l’hôpital, au marché, à l’école ou aux transports en commun. La dite carte tenait d’ailleurs lieu de pièce d’identité, susceptible d’être vérifiée à tout moment par les féroces chemises rouges, les « jeunes pionniers ». Le pays ne comptait pas d’opposants : ils étaient tous morts ou en exil. Des centaines d’entre eux croupissaient dans des conditions inhumaines dans des camps ou des prisons sordides. Parmi les malheureux qui languissaient dans ce goulag malawien figuraient les Témoins de Jéhovah qui n’étaient pas parvenus à fuir le pays quand la secte, refusant le culte du président à vie, avait été interdite et ses adeptes persécutés.
J’ai vécu la fin de cette époque délirante. Certes, j’étais secrètement indigné par les excès du régime. Mais il était hors de question pour moi d’en discuter avec qui que ce soit, et surtout pas avec des Malawiens. Cela les aurait mis en danger, tout en me faisant risquer l’expulsion sous 48 heures.
Partout, le pouvoir avait ses grandes oreilles, les indicateurs étaient légion. Je fus le témoin des premières fissures de ce régime de fer et de l’automne du patriarche. Ce dernier était devenu quasiment sénile, son entourage immédiat le manipulait et dirigeait dans l’ombre. Les premiers à se risquer à critiquer les abus furent les évêques catholiques qui, en 1992, rédigèrent une courageuse lettre pastorale diffusée dans toutes les églises du pays. Puis, un téméraire leader syndicaliste du nom de Chakufwa Chihana dénonça à son tour la dictature, avant d’être emprisonné dès son retour au pays. Des manifestations durement réprimées s’ensuivirent. La guerre froide s’étant achevée, ainsi que le régime d’apartheid, la politique férocement anticommuniste de Banda, de surcroit allié de Pretoria, n’avait plus d’utilité aux yeux de ses parrains occidentaux et sud-africains. Les pressions de ces derniers contraignirent le gouvernement à organiser un référendum sur l’introduction du multipartisme. 63% des votants optèrent pour la fin du parti unique, malgré toute la propagande et les pressions. En 1994, le président qui n’était plus à vie fut battu lors des premières élections libres, et Bakili Muluzi fut élu (et réélu en 1999).
En 1997, Kamuzu Banda, plus que centenaire, décéda dans un hôpital sud-africain, après trois années de résidence surveillée à Blantyre. Aujourd’hui, de nombreux Malawiens regrettent son époque, malgré tous les excès de son régime. Une époque qui, à leurs yeux, évoque la stabilité, un coût de la vie moins élevé, un pays où il y avait moins de chômage et moins de corruption.
En 2004, le pays connut une nouvelle transition, lorsque le successeur de Banda ne parvint pas à faire modifier la constitution afin de pouvoir se représenter pour un troisième mandat. Aussitôt élu, l’homme de paille qu’il avait choisi pour lui succéder rompit avec son mentor. Réélu en 2009, Bingu wa Mutharika sombra dans une dérive autoritaire et la corruption s’accrut.
En 2012, le Malawi connut une quatrième transition, lorsque le président Bingu mourut d’une crise cardiaque. La vice-présidente, qui était devenue opposante (le président ayant préféré favoriser son frère cadet pour prendre la relève), parvint à lui succéder et à devenir la seconde femme présidente du continent africain, après Ellen Johnson Sirleaf, présidente du Libéria.
La dernière transition s’est produite en juin 2014 : lors des élections présidentielles, Joyce Banda, candidate à sa propre succession, arrive en troisième position, derrière Peter Mutharika, le frère du défunt président, et le candidat du MCP, l’ancien parti unique de Kamuzu Banda ! A-t-on jamais vu, en Afrique, un président sortant arriver en troisième position à des élections présidentielles ? Le Malawi a de nouveau donné une grande leçon au reste du continent : un président sortant peut être battu, et il (elle en l’occurrence !) peut accepter sa défaite ! Une grande leçon en vérité, pour des dinosaures africains tels que Paul Biya (Cameroun), Yoweri Museveni (Ouganda), Omar Hassan al-Bachir (Soudan), Blaise Compaoré (Burkina Faso) ou bien encore et surtout Robert Mugabe, le nonagénaire et inamovible président du Zimbabwe ! Tous ces présidents sont arrivés au pouvoir dans les années 80.
Il est à regretter que, au lieu d’encourager et de soutenir la démocratie malawienne, la France semble bien au contraire lui tourner le dos. A l’époque de la dictature, il existait une ambassade à Lilongwe ainsi qu’un consul honoraire à Blantyre, la capitale économique du pays. Il existait aussi une Alliance Française à Lilongwe et un Centre Culturel à Blantyre. Cette dernière institution était d’ailleurs devenue l’un des principaux centres culturels du pays, dépassant largement le British Council de l’ancienne puissance coloniale. Aujourd’hui, il n’y a plus d’ambassade de France depuis des années, celle de Lusaka (Zambie) couvrant le Malawi. L’Alliance Française n’existe plus et le Centre Culturel Français de Blantyre a été vendu et transformé en élevage de poules! La coopération entre les deux pays est désormais inexistante. La langue française est pourtant la première langue étrangère enseignée dans les écoles secondaires et les universités de ce pays de quinze millions d’habitants !
Je viens d’effectuer un nouveau mais trop bref séjour au Malawi. J’ai retrouvé avec bonheur ce pays hospitalier, ses habitants chaleureux, ses paysages de montagne majestueux et surtout son magnifique et immense lac éponyme, véritable mer intérieure. Alors que je rentrais à Lilongwe après une tournée dans les endroits que j’aime par-dessus tout, ma voiture de location est tombée en panne en pleine campagne, à un barrage de police. Qu’est-il alors advenu ? Les policiers se sont immédiatement mis en quatre pour tenter de faire redémarrer le véhicule, n’hésitant pas à ouvrir le capot et à plonger leurs mains dans la graisse, et même à le pousser. Ailleurs sur le continent, les policiers se seraient plutôt empressés de m’extorquer de l’argent, quitte à m’imposer une amende pour avoir utilisé une voiture en mauvaise condition mécanique! Qu’il me soit permis ici de rendre hommage, par le biais de cet article, aux sympathiques policiers malawiens qui me permirent de regagner la capitale sans encombre !
Mes lecteurs comprendront sans doute mon affection pour ce pays inconnu des Français qui, le 6 juillet, a célébré un demi-siècle d’indépendance. Je souhaite que ce modeste papier leur permette de s’intéresser à ce pays d’Afrique et, pourquoi pas, à le visiter ! Ils ne regretteront pas.
Hervé Cheuzeville