ActualitésChretienté/christianophobie

Homélie pour les obsèques de Daniel Hamiche, par le R. P. Augustin Pic

père Augustin pic obseques daniel hamiche

Ce samedi 5 décembre 2020, en l’église Notre-Dame-du-Travail, le Révérend-Père Augustin Pic, o. p., Grand Aumônier de France, a prononcé le sermon suivant lors des obsèques de Daniel Hamiche, ardent serviteur de Dieu et du Roi :

« C’est pour remettre à la divine miséricorde un être bien cher qu’en ce lieu saint, qu’il fréquentait en paroissien fidèle, nous sommes rassemblés. Cher aux siens ici présents ou avec nous de cœur, cher à ses amis, eux aussi venus l’entourer ou de chez eux unis à nous.

A la divine miséricorde. Car il n’en fut pas de cet homme autrement que de tout bon chrétien. Je veux dire que dans l’enchaînement de ses jours et de ses ans ne manquèrent pas de se croiser en lui comme en nous bassesse et grandeur, ombre et lumière, sainteté et péché. Mais laissant son passif ignoré de nous au Juge infaillible et souverain, édifions-nous plutôt en rappelant ce qu’il y eut de grandeur, ce qu’il y eut de lumière, ce qu’il y eut de sainteté en ce Daniel que nous avons aimé.

Enfance et adolescence chrétiennes en famille puis formation intellectuelle de qualité. Mais, par la suite, éloignement de la foi, et cela jusqu’à la militance dans la plus extrême des gauches. Quoique sans jamais perdre ni l’ouverture ni la rigueur de l’esprit, spécialement dans les grandes disciplines que sont histoire, philosophie, morale, politique, littérature et, même, comme opposant, religion. Égarements de haut niveau, comparables, toute proportion gardée bien sûr, à la décennie manichéenne de saint Augustin, entre les écrits de Cicéron qui lui firent désirer la vérité et les sermons de S. Ambroise qui à moitié malgré lui la lui firent trouver enfin.

Égaré, notre Daniel le resta jusque vers 1980 où, travaillé du dedans depuis quatre ou cinq ans déjà, il revint comme adulte au Dieu de son enfance puis, peu à peu ou du même coup, je ne sais, découvrit l’identité historique et surnaturelle de sa nation, reconnut la vocation de notre France, une France infiniment éternelle et infiniment temporelle, les deux, ainsi que le chanta la plume inspirée que l’on sait.

De là ses combats, comme catholique d’abord, comme français ensuite, comme royaliste enfin. Jamais l’un sans l’autre puisqu’à ses yeux ces trois ne faisaient qu’un mais toujours dans cet ordre-là. Ceux qui l’ont connu savent d’ailleurs quel art il avait, au besoin, de remettre à l’endroit les esprits portés aujourd’hui comme hier à inverser cette hiérarchie constitutive — catholique, français, royaliste — hors de laquelle ne serait que paganisme en sous-main…

Sans tout redire – on n’en finirait pas – rappelons que ce fervent Fidèle défendit la Messe de toujours, défendit envers et contre presque tous la belle Passion de Mel Gibson, illustra et promut par des articles impeccablement renseignés et conçus le renouveau et le grand passé de l’Église aux États-Unis, collabora avec compétence et brio au catholique et vaillant journal qu’on ne nomme plus et tint longtemps l’antenne avec autant de courtoisie à la radio du même nom, que de force et de brillant.

Que ce français et royaliste convaincu voulut notre pays comme une société ouverte mais fondée en séculaire identité, sous un chef légitime, alors don Alphonse, aujourd’hui Louis son fils, chef né pour tirer les leçons de l’histoire en préservant l’acquis du passé, pour reprendre l’idée-maîtresse et bien connue d’Henri V.

Qu’animal social s’il en fut, c’est par définition qu’il aimait la société, se plaisant infiniment à prendre et à susciter la parole, à écouter, répondre et écouter encore. Car société et vérité allaient dans son esprit — en lui je l’ai toujours senti — naturellement ensemble.

Que cet inimitable convive changeait les repas à plusieurs en moments inoubliables de culture et de réflexion, moins souvent de spiritualité comme telle, à vrai dire, étant donné sa pudeur extrême en la matière ; les changeait aussi en moments d’irrésistible plaisanterie, féroce un peu parfois, fine et judicieuse toujours.

Si jadis on gravait souvent sur la tombe des gens tout donnés à autrui ce verset tiré des actes des Apôtres transiit benefaciendo — il a passé en faisant le bien — je mettrais bien, moi, sur celle de notre ami transiit nos laetificando. Pourquoi ? Parce que les nombreuses manières que Daniel avait de faire le bien trouvaient leur synthèse dans la joie, la laetitia, le laetari, qu’il communiquait de bon matin et jusqu’au soir, et parfois, au temps de sa santé, tard encore dans la nuit, redonnant l’entrain, ou le sens profond des choses, autrement dit de la Providence, à qui un moment le perdait. Transiit nos laetificando – il a passé, oui, en nous rendant joyeux.

C’est par une tendance naturelle, certes, que j’explique cette joie. Mais je l’explique aussi comme la saine réaction, jaillie de l’intime justement parce qu’elle lui était naturelle, à l’angoisse qui l’habitait, autre aspect de sa belle âme. Car, dites-moi, comment eût-il échappé tout à fait à ce sentiment devant la folie grandissante de nos sociétés infidèles ? Accroissement de folie commencé au long d’un certain septennat dont la fin en 1981 fut à peu près le temps où lui revint à la raison. Ainsi, la joie sanctifiait cette angoisse, comme aussi la nôtre à son approche, mais cette angoisse en retour donnait à cette joie je ne sais quoi de noble et de poignant sous le rire et les facéties. Transiit nos laetificando, oui, un peu comme le pieux Énée de Virgile, qui répandait courageusement dans ses guerriers certains jours, pour le retrouver en eux, le courage qu’il n’avait plus …

Mais je l’explique avant tout et ultimement, cette joie, par la profondeur et la solidité de sa foi. Profondeur et solidité. De sorte que s’il fallait, sur son marbre, ajouter quelque chose à transiit nos laetificando, c’est le cri de Saint Paul en fin de vie, scio cui credidi — « je sais en qui j’ai cru » —, que j’inscrirais volontiers.

Je poursuis et achève. Il s’était fait de la France une certaine idée. Et comme tous ceux qui veulent grand et vrai, fut déçu. Mais alors qu’en l’homme ordinaire la déception produit le dépit, la tristesse et parfois le désespoir, lui entrait un peu plus chaque jour en abandon et sérénité de chrétien. Et cela en raison même des déceptions. Qu’est-ce à dire, mes bien chers Frères ? Que l’échec a toujours comme une épée deux faces. L’une est l’échec même, toujours regrettable et toujours réparable, au moins en principe et en droit. L’autre, infiniment plus mystérieuse, est le détachement. L’échec en effet, a ceci de bon, et n’a que ceci de bon que je vais dire, que par lui Dieu nous retire, lentement mais sûrement, de ce monde et de l’histoire. Pourquoi ? Sont-il mauvais ? Non puisque Il est le créateur de l’un et le gouvernant de l’autre et qu’Il demandera compte de la manière dont on y aura vécu, preuve de leur grande valeur, mais parce que ce monde reste provisoire intrinsèquement et que pour la raison même l’histoire un jour aura sa fin. L’épître aux Hébreux le dit fort bien, nous n’avons pas ici-bas de demeure permanente et n’en aurons jamais : royaumes, empires, modèles anciens ou nouveaux de société, systèmes meilleurs ou pires, tout passera. De quel droit, donc, rester attaché à ce flux ? Et que faire sinon s’en détacher même lorsqu’on doit s’y engager généreusement, par le double commandement de l’amour, comme le fit celui que nous pleurons ? Mais comment s’en détacher sinon par les épreuves ? Et quelle épreuve sera plus sanctifiante, outre la maladie gravissime humblement supportée, que de voir, au moins à vues humaines car avec Dieu rien n’est jamais perdu, sombrer de nobles espérances ?

Oui, il entra jour après jour, nous l’avons constaté et sen sommes édifiés, en abandon et sérénité de chrétien.

Voilà ce que je crois que fut votre parent, chère famille, et notre ami. Évocation que je soumets, bien sûr, à Celui qui seul sait le fond de nos cœurs et le secret de nos vies, comme aussi je la soumets à ceux d’entre vous, nombreux, qui ont connu Daniel depuis plus longtemps et bien mieux que moi.

Si notre mémoire était un marbre, je proposerais d’inverser les formules que nous avons méditées et d’y faire inscrire, par le graveur à l’or que serait chacun de nous, en premier :

Scio cui credidi

Je sais en qui j’ai cru.

En second, car on ne réjouit le prochain qu’à la mesure de sa propre foi :

Transiit nos laetificando

Il a passé en faisant notre joie.

Mais notre burin pourrait ajouter cette invitation, que tout cœur aimant ne saurait entendre d’avance sans battre plus fort :

Serviteur bon et fidèle, entre dans la joie de ton maître

Serve bone et fidelis intra in gaudium Domini tui.

Oui, cher Daniel, entrez s’il plaît à Dieu, à la prière de Marie, Joseph et Paul, de Louis, Jeanne et tous les Saints de France, et puissions nous, en imitant tout ce qu’il y eût en vous de grand, de lumineux et de saint, et en nous humiliant comme vous pour le reste, vous retrouver un jour… »

Père Augustin Pic, o. p.
Aumônier de Sa Majesté le roi Louis XX
Grand Aumônier de France



Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.