Luc Boltanski et Arnaud Esquerre, Vers l’extrême – Extension des domaines de la droite
La popularité n’est pas un gage de qualité. Nous autres royalistes le savons bien : le suffrage universel a beau flatter le nombre, ce n’est pas de saints qu’il enfante. De même, la foule devant le Christ, il y a deux millénaires, criait : « À mort ! ». L’opuscule[1] de Luc Boltanski et d’Arnaud Esquerre, professeurs à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales, figure parmi les « meilleures ventes universitaires », il n’en est pas moins un très mauvais ouvrage.
Ce dernier est d’abord une entreprise commerciale, et non une œuvre littéraire : le rôle du critique consciencieux est d’en avertir les éventuels lecteurs, pris par les deux auteurs « intellectuels » pour de vulgaires « consommateurs ». Si vous voyez chez votre libraire préféré, sur un présentoir, cette couverture bleutée, fuyez-la :
Le « volume » est bien chiche ; d’une incroyable maigreur. 16,8 centimètres sur 11,6 (à glisser dans sa poche de pantalon), pour une épaisseur de 80 pages, dont une bonne partie de blanches ou de photographies sans aucun rapport avec le sujet traité (du pleine page, qui plus est…). Et ce ne serait rien si cette maigreur physique ne se conjuguait pas avec une étouffante maigreur intellectuelle. Nulle philosophie dans ce verbiage, ou de la très mauvaise : les définitions des concepts et des mots employés font cruellement défaut : « bobo », « pensée unique », « peuple », « morale », « valeurs », « identité », « sécurité », etc. C’est une particularité de la gauche en général, beaucoup plus large que ce que beaucoup de Français veulent bien croire, que de subvertir le langage. Pour arriver à des conclusions fausses et aberrantes, il faut bien partir de fondations rongées : ce sont les concepts erronés, ou travestis.
Quelques exemples ? Écrit à la va-vite, à quatre mains (ou quatre pieds ?), Vers l’extrême (extension des domaines lucratifs) regorge de tautologies propres à l’extrême gauche, mais aussi de contradictions, d’autant plus ridicules qu’elles peuvent se confronter sur une seule et même page : « Quoiqu’il [sic] en soit, et bien que des experts [sic, il faut bien en croire sur parole les auteurs] le plus strictement positivistes [sic, en voilà une qualité ! Plutôt que de faire dans l’innovation, l’extrême gauche préfère reprendre les vieux poncifs du XIXe siècle] aient pu montrer, chiffres à l’appui [sic, il serait trop demander que d’exiger d’avoir ces fameux chiffres… une note infrapaginale n’était pourtant pas bien difficile à réaliser, si lesdites références existaient véritablement…], que la proportion des étrangers au sein de la population nationale n’avait pratiquement pas augmenté au cours des trente dernières années, ces inqualifiables sont supposés envahir la France » (p. 39). Notez bien le terme « étrangers » car, trois lignes auparavant, Luc Boltanski et Arnaud Esquerre critiquent vertement le Front national (censé incarner l’extrême droite – ce qui est curieux pour un parti républicain) qui taxe d’ « immigrés » jusqu’aux naturalisés (« étrangers ? Mais la plupart d’entre eux sont citoyens français », p. 39) qui, de facto, sont officiellement de nationalité française et ne font donc plus partie « des étrangers » dont il est question au sein du magnifique passage que nous avons cité supra… Vous suivez ? Quel génie pour écarter les problèmes et déplacer les discussions afin de mieux s’épargner d’avoir à les résoudre ou soutenir !
Luc Boltanski tourne en boucle autour de « l’extrême droite » censée être représentée par le FN. Mais quid du légitimisme, « extrême droite » d’il n’y a pas si longtemps encore ? Autres temps, autres mœurs…
[1] BOLTANSKI (Luc) et ESQUERRE (Arnaud), Vers l’extrême. Extension des domaines de la droite, Bellevaux, Éditions Dehors, mai 2014, 80 p., 7,50 €.