L’Europe nous protègerait des idéologies ?
Confessions d’un président de la République repenti
Dans le fracas des résultats des élections européennes, la tribune de Nicolas Sarkozy publiée dans Le Point le jeudi 22 mai 2014 est déjà de l’histoire ancienne. Eclipsé par l’actualité électorale, le document a finalement fait l’objet de peu d’analyses, et c’est dommage, tant sont rares les initiatives d’hommes politiques pour tenter d’exprimer une vision personnelle de l’avenir.
Un point particulier a retenu notre attention : dans un paragraphe décrivant les possibles dérives idéologiques d’un gouvernement, Nicolas Sarkozy établit un diagnostic surprenant de lucidité tout en proposant un remède surprenant de naïveté.
« Je vois un autre grand mérite à l’Europe et, tout spécialement dans la période que nous vivons : elle nous protège des dérives idéologiques de nos gouvernants et des majorités qui les soutiennent. »[1]
L’ancien président de la République établit donc un constat clair : la République peut laisser s’exprimer des dérives idéologiques graves. Le chef d’Etat et son gouvernement, consacrés par la majorité du moment ont une liberté quasi-totale pour prendre des décisions catastrophiques en matière d’impôt, de dépense publique, etc. gravement contraires à l’intérêt général et aux « réalités du monde du XXIe siècle ».
Pour dresser un panorama fidèle, il aurait pu ajouter que ces dérives ne concernent pas que la politique économique et fiscale de François Hollande. Il aurait pu évoquer Vincent Peillon cherchant à construire une France débarrassée de l’hydre du christianisme, Christiane Taubira mettant progressivement en place des magistrats de douteuse neutralité, soigneusement sélectionnés dans les rangs du Syndicat de la Magistrature, ou encore mettant en œuvre une étrange doctrine consistant à ne plus incarcérer les délinquants. Il aurait pu mentionner que l’ensemble du gouvernement a mis le pays à feu et à sang pour donner des droits iniques à une minorité au mépris des demandes du peuple pour un référendum. Il aurait pu parler de la ‘rumeur’ de l’ABCD Egalité portée par Najat Vallaud-Belkacem, des écoutes téléphoniques, des prisonniers politiques, du soutien aux Femen, de l’impunité totale des délits de christianophobie. Il aurait pu rappeler la saillie de Cécile Duflot menaçant de réquisitionner les bâtiments de l’archevêché de Paris, ou encore la diplomatie russophobe de Laurent Fabius et la hausse de la fiscalité sur les familles nombreuses de Jean Marc Airault… Face au texte de Nicolas Sarkozy, chacun est libre de compléter le réquisitoire avec les exemples qu’il a en tête et qui l’indignent. Ainsi, le diagnostic de Nicolas Sarkozy est véritablement terrifiant si l’on considère qu’il occupa, lui-même, la fonction suprême de président de la République pendant cinq ans.
A cette dérive idéologique, pourtant, Nicolas Sarkozy oppose l’Europe comme contre-pouvoir efficace. Et là, on ne comprend plus. Parce qu’enfin, en quoi le pouvoir républicain d’une nation pourrait-il être efficacement contrebalancé par un autre pouvoir méta-républicain européen ? L’Europe est-elle donc exempte de dérive idéologique ? On se souvient de la ridicule polémique sur la réglementation des fromages au lait cru[2] ou encore de l’interdiction des fessées dans l’éducation des enfants qui sont un « problème de santé publique », « même les petites fessées »[3] ! Plus grave, on se souvient en octobre 2004 de Rocco Buttiglione, ministre italien chrétien-démocrate dont le Parlement européen a refusé la nomination au poste de commissaire européen, suite à des propos sur l’homosexualité et la famille jugés rétrogrades. On se souvient en juin 2007 de la condamnation du royaume de Norvège dans le cas Folgerø[4], pour dispenser des cours de culture religieuse chrétienne aux enfants en école primaire. A Bruxelles, ce sont des armées de lobbies payés par des groupes privés ou des associations qui influencent et soudoient quotidiennement et ouvertement ceux qui vont décider les nouvelles normes industrielles, écologiques ou sociales. L’Europe est en pleine capacité d’imposer ses propres dérives idéologiques aux nations qui la composent, et elle ne peut pas constituer ce garde-fou auquel aspire l’ancien président de la république.
Le quinquennat de François Hollande est une merveille de nihilisme pour les royalistes de toutes sensibilités qui voient la preuve par neuf qu’ils attendaient : la République est un système entropique qui conduit progressivement le pays à sa mise en pièce, la République est un état de guerre civile permanent. Si ce n’est l’Europe, nous allons vous dire, nous, ce qui peut protéger le pays de la dérive idéologique d’un pouvoir qui perd les pédales : l’autorité d’un roi. Un roi légitime.
Pascal Amilhat
[1] Le Point, 26 mai 2014, Nicolas Sarkozy : “L’absence de leadership met l’Europe en danger”
[2] Directive 92/46/CEE du Conseil arrêtant les règles sanitaires pour la production et la mise sur le marché de lait cru, de lait traité thermiquement et de produits à base de lait, 16 juin 1992
[3] Conseil de l’Europe, Rapport sur les punitions corporelles, 8 octobre 2002.
[4] Cour Européenne des Droits de l’Homme, Case of Folgerø and Others v. Norway, 29 juin 2007