La fuite des jeunes cerveaux
La nouvelle revient de temps à autre, coincée entre des affrontements en Ukraine ou un énième discours d’un Président en quête de popularité : nos jeunes diplômés quittent la France.
La Conférence des Grandes Ecoles annonçait en 2013 que 16% de ses diplômés débutent leur carrière professionnelle à l’étranger, 20% de nos jeunes ingénieurs. Et ce chiffre ne cesse de croitre depuis dix ans. Plus de la moitié des deux millions de français expatriés est titulaire d’un doctorat ou d’un master[1]. La Silicon Valley est toujours une zone de prédilection pour nos jeunes élites. Mais d’autres pays ont su progressivement se rendre attractifs comme la Chine, le Sud Est Asiatique, Israël l’Australie et le Canada. Nos jeunes fuient le chômage qui touche 25% des moins de 24 ans, des salaires insuffisamment attractifs, notamment dans le domaine de la recherche, la sur-fiscalité ou encore les difficultés rencontrées pour créer une entreprise; ils fuient un système stérilisant qui nivelle les talents et les espoirs vers le bas.
Leur expatriation est durable, et le retour peu probable, en témoigne le choix d’un contrat local pour 50% d’entre eux, ou leur statut de créateur d’entreprise pour 15% : au total, presque 40% sont expatriés depuis plus de dix ans. Ils ne reviendront pas. A cette jeunesse diplômée fuyant un pays qui castre l’ambition, il faut ajouter l’exil déjà connu des fortunes de ce pays, des capitaux et des capitaines d’entreprise. Ceux qui font tourner la machine de l’économie française par leur génie, par leurs idées, et, ceux qui étaient destinés à leur succéder, les jeunes talents, s’en vont.
La France a connu pareils exodes et ne s’en est jamais remise. Au XVIIe siècle, ce ne sont pas moins de 200 mille huguenots qui ont fui la France qui à l’époque comptait 20 millions d’habitants. On oublie souvent que la Révocation de l’Edit de Nantes est décidée parce qu’en 1685 il n’y a pratiquement plus de protestants en France : ils sont partis en Suisse, aux Amériques, aux Pays Bas ou en Angleterre. Un siècle plus tard, pendant les années de Terreur, 150 mille aristocrates fuient les spoliations, les massacres, le génocide en Vendée et les guerres. Certains reviendront à la Restauration, d’autres pas. Il faudrait ajouter à ces 150 mille émigrés, le million des décimés pour avoir une vision plus précise de la catastrophe humaine que furent les années de la Révolution.
Il est difficile d’évaluer aujourd’hui le cout du non-développement, voire de la récession dont ces disparitions d’élites sont à l’origine. Mais à chaque fois, la France s’est dramatiquement appauvrie économiquement, culturellement, humainement. N’ayons pas peur de le dire l’exil de nos élites, jeunes diplômés, chercheurs, entrepreneurs et cadres dirigeants, est un drame pour notre pays.
En Tartuffe de la politique, les socialistes réussissent à y voir quelque avantage et se félicitent de l’impact possible que cette fuite des cerveaux pourrait avoir sur le commerce extérieur[2]. La droite en chantre des refrains inutiles a fait adopter à l’Assemblée une proposition visant à créer une commission d’enquête[3]… une de plus. Dans la république des partis, il ne se passe rien ; l’un nie la réalité, l’autre attend sagement l’alternance. Comment redonnerons-nous à nos jeunes les plus déterminés le gout de notre terre ?
Pascal Amilhat