Il y a vingt-cinq ans : tombait le mur de Hegyeshalom
En mai 1989
Tombait le mur de Hegyeshalom
Paris, mai 1989. Sous la présidence d’un François Mitterrand plus arrogant et plus aveugle que jamais, la France s’apprête à célébrer, de façon baroque et à grand frais, le bicentenaire de la Révolution mais elle s’entête à ignorer l’aspiration à la liberté des peuples d’Europe centrale. Ses gouvernants ne croient pas à l’écroulement de l’Union soviétique. Ils ont tremblé de peur lorsque Ronald Reagan a dénoncé « l’empire du mal », ils se précipiteront, deux ans plus tard pour être les premiers à féliciter le communiste orthodoxe Guennadi Ianaïev de son putsch contre Gorbatchev. « Rien oublié ni rien appris » : une formule assez fausse pour qualifier les immigrés revenus en France en 1814 mais très juste pour dépeindre les socialistes français qui vont fêter les deux cents ans de la chute de la Bastille.
Ils n’auront pas prévu celle du mur de Berlin. Leur vieux chef aura même essayé de se mettre en travers de la réunification allemande. « Homme du passé » comme disait Valéry Giscard d’Estaing, incapable de comprendre qu’on n’était plus sous la IVe république, ni que la guerre froide s’achevait, ni que le communisme était mort.
Les responsables de la destruction du mur de la honte sont aujourd’hui bien connus. Il en fut de puissants : Ronald
Reagan, déjà cité, et son fameux « Mr Gorbatchev, open the gate ! ». Il en fut de téméraires : Lech Walesa et son sublime combat pour la dignité des travailleurs polonais. Il en fut de spirituels : Jean-Paul II redonnant espérance et courage à l’Occident chrétien. Il en fut de facétieux : Mathias Rust posant son petit avion d’aéro-club, le 28 mai 1987, sur la place Rouge, au nez et à la barbe de tous les radars de l’armée russe. Il en fut de plumitifs : Alexandre Soljenitsyne ouvrant les yeux des bien pensants par son monumental Archipel du Goulag. Il en fut même de comédiens : Patrick Dewaere – probablement malgré lui – apprenant aux jeunes Moscovites, dans Mille milliards de dollars, qu’à l’Ouest on pouvait prendre une chambre d’hôtel sans un contrôle de police préalable.
On pourrait en citer bien d’autres, mais aucun ministre français … On pourrait, en revanche, citer cinq garde-frontières hongrois dont, hélas, l’Histoire n’a pas retenu les noms et à peine le geste.
Dans la nuit du 11 au 12 mai 1989, les oreilles pleines de la glasnost(signifiant transparence de la vie publique et liberté d’expression) et de laperestroïka (signifiant rénovation, notamment sur le plan économique) dont les médias se gargarisent alors d’abondance, ils décident, peut-être avec l’aide de quelques verres de schnaps, d’avancer un peu les choses et de passer à l’action.
À la pointe nord-est de la Hongrie, le village de Hegyeshalom, de 3 000 habitants, se situe au croisement des frontières de l’Autriche et de ce qu’était alors la Tchécoslovaquie. Le rideau de fer se limite ici à quelques miradors, surveillant les allées et venues, et à des barbelés dissuadant les passages clandestins. Les cinq gardes frontières, s’étant munis de pinces, de tenailles et d’explosifs de faible puissance, ne rencontrent aucune difficulté à convaincre leurs trois collègues alors de service, sinon de se joindre à eux, du moins de fermer les yeux. À une heure trente du matin, le rideau de fer est par terre, la voie est libre.
Cette première brèche était évidemment symbolique mais, dès l’aube, les populations frontalières des trois pays se mirent, non à fuir l’Est pour l’Ouest mais à se visiter les unes les autres, à se congratuler, à s’embrasser, à se reconnaître : le vieil esprit multinational et tolérant de l’ancien empire des Habsbourg, tant décrié par nos responsables républicains dont le teigneux Clémenceau, se reformait spontanément. Comme si ces peuples, que l’on avait tant dit ennemis, éprouvaient la joie de se retrouver enfin. Les autorités socialistes hongroises, fatalistes, laissèrent faire. Quelques semaines plus tard, Otto de Habsbourg prononcerait sa fameuse réponse à un journaliste qui lui demandait son pronostic sur le match de football du soir entre l’Autriche et la Hongrie : « Autriche-Hongrie, contre qui ? » Et Helmut Kohl, dans son premier discours après la réunification de l’Allemagne, se souviendrait des gardes frontières de Hegyeshalom : « Le sol sur lequel repose la porte de Brandebourg est hongrois. » L’Histoire n’avance pas seulement à coup de canons et de traités. Parfois, d’humbles pionniers contribuent à changer le monde.
Daniel de Montplaisir