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Rwanda: des prêtres accusés

Le titre de cet article est celui de ce que je n’ose qualifier de « documentaire », diffusé mardi 23 avril dernier dans le cadre de l’émission « Pièces à conviction » de France 3. Deux prêtres, l’un Rwandais l’autre Français, ainsi qu’un ancien prêtre rwandais ont littéralement été jetés en pâture aux téléspectateurs dans le cadre de ce programme transformé en tribunal  médiatique. 
 
Il se trouve que je connais l’un des trois « accusés » : le père Wenceslas Munyeshyaka. J’ai eu l’occasion de parler de lui dans mon troisième livre « Chroniques d’un ailleurs pas si lointain » (Editions Persée, 2010). A l’époque des terribles « cent jours » de Kigali, en 1994, il était vicaire  de la paroisse de la Sainte Famille, dans la capitale rwandaise. Des milliers de Tutsi et d’opposants hutu, fuyant les massacres, s’étaient réfugiés autour et à l’intérieur de l’église, ainsi qu’au presbytère. Durant ces terribles journées, Wenceslas mit tout en œuvre pour assurer la survie de ces malheureux. Chaque jour, il bravait les barrages des miliciens pour tenter de trouver de la nourriture. Chaque jour également, il devait faire face aux pressions de plus en plus fortes de ces « interahamwe » surexcités, souvent ivres ou drogués, qui voulaient s’en prendre à ses protégés. Comment faire, lorsque l’on est seul, lorsque mêmes les casques bleus de l’ONU évacuent, pour contenir les assauts de ces chiens enragés ? Oui, Wenceslas a dû se compromettre avec ces gens-là. Il a dû offrir de la bière à leurs chefs, voire même en boire avec eux, afin de tenter de les amadouer, de retarder le plus possible l’inéluctable, dans l’espoir de voir enfin arriver des secours. Le 1er mai 1994, des obus de mortiers s’écrasèrent sur sa paroisse, faisant au moins 13 morts et des dizaines de blessés parmi les déplacés. Les tirs provenaient des positions tenues par le FPR, la rébellion tutsi de Paul Kagame. Le soir même, Wenceslas, choqué, devait témoigner de ce drame sur les ondes d’une radio internationale, n’hésitant pas à en faire porter la responsabilité à la rébellion. Paul Kagame ne devait jamais oublier un tel affront, qui mettait à mal son image de « libérateur ».  Le 17 juin, des miliciens parvinrent à pénétrer en force dans la paroisse et ils y massacrèrent soixante personnes déplacées, malgré la présence de quatre gendarmes chargés d’assurer la protection de ce camp improvisé. Début juillet, la capitale était sur le point de tomber totalement aux mains du FPR. C’est dans ces circonstances que le père Wenceslas prit la décision de tenter de fuir la ville pour aller se réfugier au Zaïre. Le 5 juin, les hommes de Paul Kagame avaient massacré la hiérarchie de l’Eglise rwandaise, à Gakurazo : l’archevêque de Kigali, l’évêque de Byumba, celui de Kagbayi, un vicaire général, un ancien vicaire général, le supérieur général des Frères Joséphites et sept autres prêtres. Tous furent exécutés sommairement. Ils avaient refusé de prendre la fuite, préférant demeurer aux côtés des 30 000 déplacés tutsi qui avaient trouvé refuge auprès d’eux. La nouvelle de ce drame contribua certainement à la décision de Wenceslas de quitter Kigali. Quelques mois plus tard, il fut accueilli en France. Depuis 1995, à l’instigation des nouvelles autorités rwandaises, une campagne médiatique a été menée en France contre ce prêtre, qualifié de « génocidaire ».  Des plaintes ont été déposées contre lui par des réfugiés rwandais. Il fut accusé d’avoir collaboré avec les miliciens hutu, d’avoir élaboré des listes de personnes devant leur être remises, et même d’avoir abusé sexuellement de femmes tutsi. Depuis, Wenceslas a été interpellé à plusieurs reprises, il a même été placé deux semaines en détention provisoire. Les relais français du FPR allèrent jusqu’à organiser des manifestations à l’intérieur même d’une église afin de perturber la messe qu’il célébrait. En 2006, un tribunal militaire rwandais le condamna à la prison à perpétuité, par contumace. L’émission de France 3 se base d’ailleurs essentiellement sur l’acte d’accusation de ce tribunal pour diffamer le père Wenceslas. Ce dernier attend maintenant son procès avec confiance. Il pourrait se tenir en France dans le courant de cette année.
 
Un autre prêtre, Français celui-là, a fait l’objet du procès à charge de « Pièces à conviction ».  Il s’agit d’un ancien missionnaire qui a passé 34 années dans une paroisse rurale de l’ouest du Rwanda. Lui aussi est parvenu à sauver de nombreux Tutsi. Lui aussi a été condamné à la détention perpétuelle par un tribunal rwandais. Lui aussi a été accusé des pires crimes, durant cette émission. Un ancien employé de sa mission a cependant eu le courage de réfuter, en quelques mots chuchotés, les accusations portées contre son ancien patron. Comment prendre au sérieux tous les propos de gens qui vivent dans le Rwanda de Paul Kagame ? Sous le régime de terreur imposé par ce dernier, un reportage de journalistes étrangers ne s’improvise pas. Il a donc été effectué avec la collaboration bienveillante des autorités, qui se chargèrent de trouver tous les témoins à charge qui étaient nécessaires à cette œuvre de désinformation. On est allé en chercher jusqu’en prison, parmi des condamnés à perpétuité qui n’avaient sans doute plus rien à perdre et sans doute tout à gagner d’un faux témoignage. 
 
Tout au long du reportage, il a été question des victimes tutsi du génocide. Jamais n’ont été évoquées les autres victimes. Seuls les crimes des miliciens hutu ont été dénoncés ; jamais ceux des hommes du FPR. Le massacre des évêques et des prêtres du 5 juin 1994 n’a pas été mentionné, ni les assassinats de missionnaires par le régime, depuis l’arrivée au pouvoir de Paul Kagame. Le comportement héroïque de nombreux religieux, rwandais et missionnaires, durant le génocide, n’a pas retenu l’attention de nos intrépides journalistes français. 
 
Enfin, le pire est venu avec le « débat » qui suivit le reportage. Un évêque français, Mgr Jacques Gaillot, y participa et il apporta sa caution au contenu du reportage. Il n’a pas cru devoir s’indigner, lui d’habitude si prompt à l’indignation, des procédés malhonnêtes utilisés pour la réalisation dudit reportage (usage répété de caméras cachées, demandes d’interviews sous de faux prétextes, témoignages uniquement à charge, etc.) D’ailleurs, de débat, il n’y en a pas eu, puisque l’autre invité n’était autre que l’épouse d’origine rwandaise du grand organisateur français des campagnes de harcèlement menées en France contre le père Wenceslas et ses confrères. 
 
Il est désolant de voir une chaîne de télévision de l’Etat français se faire ainsi l’instrument de l’un des pires dictateurs actuellement au pouvoir, un dictateur qui, de surcroît, comme on l’a encore vu à l’occasion du vingtième anniversaire du génocide, n’a de cesse de poursuivre la France de sa haine et de sa vindicte et de s’en prendre à l’honneur de ses responsables politiques et militaires.
 
Hervé Cheuzeville

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