Qu’avons-nous fait de notre dimanche ?
Certes, nous sommes souvent assez habiles pour reporter sur les autres ce qui nous accuse et, singulièrement, les trahisons de notre pratique religieuse. Or, comme saint Justin l’enseignait aux chrétiens du IIe siècle, le dimanche célèbre le Christ comme notre Dieu et, s’il est réellement notre Dieu, au moins une fois la semaine, il ne doit pas être seulement le premier servi, mais le seul servi.
Nous attendons de notre participation à la messe d’être uni à lui, de voir s’augmenter en nous la vie de sa grâce, d’éprouver l’affaiblissement de nos mauvais penchants et d’être assurés de la vie éternelle, mais, pour obtenir cela, encore faut-il qu’il soit réellement notre Dieu et que nous ne l’ayons pas défiguré à notre image égoïste.
Que venons-nous faire à la messe ? Nous servir ou le servir ? Obtenir notre salut ou œuvrer au salut du monde ? Ne nous a-t-il pas dit que celui qui cherche à sauver sa vie la perd mais que celui qui la perd au service de l’Évangile la sauve (Lc XVII 33) ? À tout le moins, notre dimanche, selon l’institution divine, est le temps privilégié de notre être chrétien, c’est-à-dire de notre qualité de fils de Dieu dans le Fils unique qui se perd lui-même pour sauver le monde. La Didascalie des apôtres, au IIIe siècle, dénonçait ceux qui diminuaient l’Église en n’allant pas à l’assemblée. Diminuer l’Église par notre absence dominicale revient à disperser plutôt qu’à amasser par le Christ, avec lui et en lui. Participer à la messe c’est réaliser l’œuvre suprême que nous proclamons dans la prière reçue du Sauveur et qui conclut la prière eucharistique (le Pater). Si, au jour du Seigneur, il s’agit de manifester que le Christ est notre Dieu et qu’en lui nous sommes et avons tout, le dimanche ne saurait se suffire de la seule messe, d’ailleurs, les commandements de l’Église, reprenant les termes mêmes des commandements du Sinaï, parlent, en outre, de sanctification du dimanche où nous nous attachons, dans la joie de la Résurrection, à ne faire que ce qui est agréable à Dieu et utile à l’édification de son règne, à l’exception de toute autre autre chose, étant entendu que secourir le prochain ne saurait être désagréable à celui qui guérissait le jour du sabbat (Jn VII 23).
Organiser son dimanche autrement que selon la volonté du Seigneur, revient à s’élever au-dessus des commandements divins et s’entendre poser la question que saint Michel archange crie au démon pour le pourfendre : QUI EST COMME DIEU ? Et cela vaut pour ceux qui travaillent à leurs propres intérêts comme pour ceux qui s’adonnent au péché : l’ivrogne vaut le servile. Enfin, il est bel et bien d’être dans l’assemblée comme le sarment est sur le cep, mais veillons à ne pas être de ces sarments secs et morts qui ne produisent pas de fruits car ceux-là sont coupés et jetés au feu (Jn XV 1-8). N’entrons pas dans le dimanche sans être en état de grâce, n’entrons pas dans le dimanche sans apporter à l’autel notre somme hebdomadaire d’observances, de prières, de bonnes œuvres et d’efforts. Alors, dimanche sera réellement le jour du Seigneur où, soucieux d’amasser l’or de notre obéissance, l’encens de notre vie spirituelle et la myrrhe de notre pénitence (Mt II 11), prosternés comme les mages devant notre Rédempteur, nous pourrons invoquer le ministère du saint archange Michel puisque, contrairement à nos premiers parents, nous ne voulons pas être comme Dieu que nous voulons voir, par nous, premier servi.
Abbé Christian-Philippe Chanut (✝)
Grand Aumônier de France de 1979 à 2013
Jean DeWaifhari, Anthologie in memoriam : abbé Christian-Philippe Chanut, le premier Grand Aumônier de France du XXIe siècle, Paris, Exaltare Saint-Louis, 2016 (rééd. 2017), 380 p.