Disparition du ministère de la culture : phantasme ou réalité ?
Raymond Boudon disait « les intellectuels français n’aiment pas le libéralisme parce que, dans un régime libéral, ils seraient payés à leur vraie valeur ».
Bien que n’étant pas libéral, j’utilise cette citation car elle a le mérite de poser le problème de l’existence d’un ministère de la Culture.
Ce ministère ne cesse de subir des diminutions de crédits, les actions sont de plus en plus prises par les régions (on reviendra là-dessus plus bas), les meilleurs administrateurs de la culture fuient le ministère pour se diriger vers les établissements publics. Les ministres successifs ne cessent de pérorer sur la nécessité de pérenniser ce ministère au nom de la sacro-sainte diversité de la production artistique qui serait uniformisée si le marché était seul décideur. Or, que voit-on en réalité ? Une administration qui couve sa petite cour d’artistes largement surévalués, n’existant que grâce à la commande publique et qui n’exposent que peu, voire pas, à l’étranger. Il suffit d’être allé à Londres ou à New-York, pour ne parler que des places les plus importantes, pour avoir une idée de la vigueur du monde des arts sous ces latitudes. Ceci dit, le marché et le ministère ont un point commun, ils partagent une vue à court terme et produisent des événements qui n’ont que peu à voir avec l’art mais plus avec le business.
Ensuite vient l’antienne sur l’accès du plus grand nombre à la culture. La fête de la musique, les nuits blanches ont-elles quoi que ce soit à voir avec la culture ? Force est de constater que non, ce sont des manifestations qui relèvent du festif, de l’événementiel. Tout comme les expositions de Jeff Koons et autres faisans du même ordre à Versailles qui n’ont eu d’autre intérêt que de faire monter artificiellement leur cote. Petits services rendus à quelques galeristes amis sans doute, si on en croit ce qui se dit dans le milieu. Qu’elles aient contribué à dégrader l’image de la culture française à l’étranger n’intéresse pas ces messieurs, que le poids de certaines œuvres ait causé quelques dégâts ne les a pas plus intéressés d’ailleurs. Pour reprendre le propos de Jean Clair, ce ne sont pas là des manifestations qui relèvent de la culture mais du culturel, c’est-à-dire du festif, du business. Permettre au plus grand nombre d’avoir accès à la culture est un noble but. Néanmoins, en chemin une notion a été perdue de vue. Se cultiver est avant tout un désir et en aucune façon un droit. De fait, la culture est avant tout le domaine de l’étude, du travail personnel pour s’enrichir. Laisser croire que l’on peut se cultiver en descendant dans la rue ou en achetant un billet de musée à prix modique, c’est entretenir une illusion. Le Louvre actuel, même si c’est un magnifique établissement ne permet pas au public réellement intéressé d’approfondir sa connaissance des œuvres. La foule bigarrée et bruyante empêche le recueillement nécessaire à l’amateur. Le Louvre de temple de la culture est devenu un outil du business culturel. En douteriez-vous que la vente de la marque “Louvre” à Abu-Dhabi, pour environ 668 millions d’euros, finirait par avoir raison de vos préventions. Adieu culture, bienvenue dans le monde festif et mondialisé du culturel, c’est à dire du panem et circenses.
Selon Mario Vargas Llosa «La menace qui pèse sur Flaubert et Debussy ne vient pas des dinosaures de Jurassic Park mais de la bande de démagogues et de chauvinistes qui parlent de la culture française comme s’il s’agissait d’une momie qui ne peut être retirée de sa chambre parce que l’exposition à l’air frais la ferait se désintégrer».
De fait, l’action du ministère contribue à stériliser la culture française en favorisant artificiellement un certain type d’artistes, d’art contemporain, ce qui ne peut que nuire au jaillissement de la créativité. On peut discuter de la valeur de ce qui est produit par les États-Unis, néanmoins, force est de constater que bien que dépourvus d’un ministère de la culture, ils produisent 50% de l’offre culturelle mondiale sans que le moindre théâtre, le moindre opéra, etc. ne touchent un seul cent de subventions de la part des États et de l’État fédéral.
La vérité, c’est que ce ministère est un outil de la politique jacobine conduite par la république. Il ne sert qu’à promouvoir une culture officielle qui n’a que peu, pour ne dire rien, à voir avec la culture. Le but étant de reléguer dans les poubelles de l’histoire les cultures régionales, effacer cette vieille idée des peuples de France au profit d’une fiction suprémaciste hors sol, née des délires républicains. Berlioz, Gounod, Offenbach, Balzac, Daudet, Gautier, Bouguereau, Cézanne, Delacroix, etc. ont-ils eu besoin de l’aide d’un ministère pour créer et vendre leurs œuvres ? Plus près de notre époque, Camus, Aron, Jouvenel, Sartre, Foucault, Mauriac, Revel, Girard, Ellul, Renoir, Tati, Pagnol, Carné, Brassens, Ferré, Brel, Piaf, ont-ils eu besoin de l’aile protectrice de ce ministère pour produire et diffuser leurs œuvres ? Bien évidemment non. La célébrité de tous ces artistes tient à leur talent, à leur opiniâtreté et à leur rencontre avec un public qui n’avait jamais eu de formation aux choses de la culture mais qui savait d’instinct reconnaître le talent. D’ailleurs lorsqu’on compare la richesse de la vie artistique française des siècles passés avec celle des temps présents, on ne peut qu’être affligé par la pauvreté actuelle. Les grands artistes du passé viendraient-ils à renaître que leurs créations seraient jugées comme peu dignes d’intérêt par les inspecteurs de la création du ministère, appointés à 3.745€ par mois.
Courbet disait ; « L’État est incompétent en matière d’art », force est de constater qu’il avait raison. On débourse 68,5 millions d’euros pour subventionner le spectacle vivant, on abonde le palais de Tokyo à hauteur de 20 millions d’euros afin soi-disant de promouvoir la diversité culturelle alors que cela ne profite qu’au petit cénacle des zélés zélateurs de Marcel Duchamp, maître escroc parmi d’autres. On produit des films dits d’auteurs qui ne font pas plus de quelques milliers d’entrées. Pendant ce temps-là, le patrimoine culturel de notre pays est en train de tomber en ruines faute d’une ambitieuse politique d’entretien et de restauration. Plus de la moitié des églises de Paris sont en danger, sans parler des dizaines de milliers qui ponctuent les paysages de nos régions. Des milliers de châteaux sont à l’abandon, sans parler de certains joyaux comme Chambord, dont j’ai pu constater de visu le triste état il y a quelques années, suite à l’effondrement d’un plancher. Faute d’assurer la sécurité des musées, des centaines de toiles volées sont allées alimenter le marché noir des œuvres d’art et sauf miracle resteront à jamais cachées, perdue pour le public.
La seule tâche qui devrait revenir à l’État en matière de culture, se limite à l’entretien rigoureux du patrimoine artistique de notre patrie ainsi qu’à l’accroissement des collections de nos musées. Les créateurs retrouveraient alors une liberté depuis longtemps perdue. L’État, dégraissé d’une ribambelle de fonctionnaires nuisibles pourrait faire de substantielles économies. Quant aux monuments chers à nos cœurs, ils pourraient bénéficier de cet argent public capté par des artistes quasi-fonctionnarisés, pratiquement inconnus du marché national, et totalement du marché international.
Pascal Cambon