Social et économie

Vers une révolte paysanne

Devant les multiples opérations coup de poing organisées par la paysannerie française depuis plusieurs semaines, que pouvons faire ou conseiller ? De tirer un enseignement de l’histoire d’un mouvement nommé Défense Paysanne, créé en 1934.

Ce mouvement visait à améliorer les conditions de vie des paysans. Leurs ennemis appelaient ses membres « fascistes » parce qu’ils étaient corporatistes, religieux, attachés à leur terre, au patrimoine agricole français et aux traditions familiales. L’éducation nationale ne nous apprend pas leur existence.

Un mouvement droit, proche du peuple paysan  et viril devant les puissants.

Ils considéraient que la « légalité n’était pour [eux] respectable que dans la mesure où elle respectait la justice. »

Au plus fort de sa popularité, avant la seconde guerre mondiale,  plusieurs centaines de milliers de cotisants se mobilisaient, dans toute la France. Le corps paysan existait sur le terrain.

Henri Dorgères, leur plus combatif porte-voix, expliquait que Défense Paysanne n’était pas favorable à un coup d’état, une « chimère », mais par contre, « il fallait créer une situation telle, que pour les députés, la somme des inconvénients du métier soit beaucoup plus forte que la somme des avantages. » La prise de pouvoir par l’humiliation. Il voulait imposer « sur le terrain syndical, ce tiers-parti, fier de ce qu’il a su réaliser, dans la fraternité des sillons, d’être précurseur de l’ordre corporatif de demain. »

 Ainsi les paysans se rassemblaient entre eux, pour convaincre le plus de leurs confrères possibles et pour interpeller victorieusement les autorités. Ils défiaient les méprisants.

Invités à venir débattre avec eux, presque systématiquement, les députés tombaient malades, comme ce fut le cas d’Henri Guernut, élu de l’Aisne. 

Quand les communistes se sentirent plus audacieux que jamais, proches de conquérir le pouvoir, les paysans surent se protéger et leur faire barrage.

Une autre fois, ils versèrent un sot de purin sur les têtes d’amateurs du roman d’Emile Zola, La terre, qui s’étaient permis d’insulter de « sale paysan » l’un des leur.

Ils dénonçaient le pouvoir politique et industriel , cette « nouvelle féodalité, avec cette différence qu’autrefois, les grands féodaux trouvaient, parfois, à qui parler (comme Louis XI) tandis que maintenant, ils n’ont plus qu’à commander aux ministres et aux parlementaires dont ils sont les véritables maîtres. »  Défense Paysanne déplorait que les petits soient condamnés à « l’absorption ou à la destruction méthodique. »

Des revendications protectionnistes très audacieuses.

Défense Paysanne voulait que chaque culture soit protégée, intégrée dans un système équilibré.

Napoléon III, expliquait Henri Dorgères, avait voulu développer une politique libérale industrielle. La France était un pays capable de vivre en parfaite autarcie grâce à la diversité de ses productions. L’empereur a affranchi de tout droit les matières premières indispensables à l’industrie. Cette décision a joué un rôle dans la chute du modèle agricole français. Contemporain de Défense Paysanne, Jules Méline, ministre, a instauré un régime de protection fragmentaire, considérant certaines cultures comme secondaires car plus rentables par l’importation. Il provoqua leur régression, leur disparition presque totale. Il critiqua Aristide Briant qui avait retiré la franchise de nombreux produits agricoles au nom de «l’amitié entre les peuples ».

Le paysan est le premier à subir la sur-fiscalisation.

Le producteur agricole, selon lui, est « à la base et supporte le faix écrasant de la fiscalité. Lepaysan ne connaît pas son prix de revient, il est soumis, pour la vente de ses produits, à la loi de l’offre et de la demande. Lorsqu’un industriel ou un commerçant subit la hausse d’un nouvel impôt, il incorpore ces charges à son prix de vente, et c’est le consommateur qui paie. Mais en période de crise, le consommateur voyant son pouvoir d’achat affaibli regimbe. Le commerçant ne peut plus augmenter son prix sous peine de mévente. Il compresse ses frais généraux parmi lesquels figure au premier chef le prix de la matière première qu’il chicane au producteur. »

Quand Sophie Poux, responsable de l’association des producteurs de lait indépendants et elle-même productrice de lait bio dans le Tarn-et-Garonne réagit à l’annonce du blocus des céréaliers, dénonçant la sur-fiscalisation dont ils sont l’objet sur Sud Radio, elle s’insurge de la même façon :


« [Les éleveurs] sont en train de mourir, on leur dit de produire plus toujours plus, mais résultat, quand je vois toutes les interviews qu’il y a par rapport à l’écotaxe, personne ne parle du revenu du producteur. Plus il fera, plus il perdra d’argent. Pour le lait, les prix ont remonté un peu, tout le monde dit que c’est fantastique, mais c’est pas vrai. »

La lutte paysanne : le rôle des consommateurs, des producteurs et des provinces.

Alors que Henri Dorgères s’exprimait sur la nécessité de faire changer le cours des choses, en mobilisant la province avant la capitale et de faire la synthèse des problématiques de toutes les productions, Sophie Poux dénonce l’absence d’unité au sein de la paysannerie française, le pouvoir des centrales franciliennes sur les fédérations locales.

« [Les participants à l’opération escargot] vont bloquer tout, ils vont faire un petit barbecue, ils vont rentrer à la maison, ils auront emmerdé tout le monde. Ça n’a jamais servi à rien. Ils manifestent tous pour une chose qui a déjà été mise en place. Ils savaient que cela allait arriver. Les manifestations tout le monde y va en courant. Enfin tout le monde… c’est encore à voir. Il y a deux mondes dans les agriculteurs. On est en train de monter les céréaliers contre les éleveurs. La FNSEA fait très bien ça. Il y a de très grands lobbies pour les céréaliers qui exportent. On ne peut pas défendre un céréalier, un mec qui plante les betteraves, un mec qui fait des fleurs dans le Var, un mec qui fait du lait dans le sud-ouest, un mec qui fait autre chose dans l’est, c’est pas possible. Les céréaliers veulent vendre leur céréales le plus cher possible. Les éleveurs veulent l’acheter le moins cher possible. C’est pas un secret, la FNSEA est dirigée par les céréaliers. »

Henri Dorgères appelait de ses vœux à l’union avec le consommateur.

« Lorsqu’il saura que les fruits qu’il achète sont des fruits de première qualité (…) il délaissera le producteur individualiste non organisé, au profit du groupement corporatif. » 

Quant à Sophie Roux, elle explique la volonté de son association de toucher l’opinion publique par des actes positifs.

« Nous, on a bloqué personne, on a bloqué le lait chez nous, on n’a jamais autant parlé de nous que quand on a fait ça. On a fait des dons de lait dans toutes les villes de France, on a touché les consommateurs, on leur a expliqué. Maintenant aller bloquer les mecs qui vont bosser dans les bouchons, qui ont fait huit heures à l’usine, qui ont les gosses à la garderie, ou chez les nourrices, je trouve ça hallucinant (…)  La FNSEA, syndicat agricole pourtant majoritaire à l’époque, n’a pas suivi une grève de producteurs de lait qui a jeté sa marchandise. Ils nous ont dit qu’on ne jette pas sa production (…) Ils ont bien jeté du chou-fleur (…) Ils parlent de primes et pas de prix. »

Henri Dorgères parlait de la nécessité de s’unir avec les autres professions, tout en combattant les campagnes de propagandes politiques sur la vie chère qui rend hostiles les ouvriers à leur cause. Par ailleurs, il s’étonnait qu’aucun des représentants au Palais Bourbon ne soit paysan ou ouvrier.

Le combat de Sophie Roux et de toute une génération de paysans isolés, ruinés, oubliés a beaucoup à voir avec celui mené par Défense Paysanne et Henri Dorgères. Pouvons-nous croire que le mouvement des Bonnets Rouges prendra les mêmes chemins que les Chemises Vertes, sans en connaître la même issue ? Les faits nous montrent qu’ils ne sont pas parvenus à mobiliser de nouveau leurs adhérents après la fin de la seconde guerre mondiale.

Jacques Jouan

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