Du cardinal Mazarin et du Jansénisme (10)
Les actes des communications des sessions du centre d’études historiques paraissent une fois par semaine, chaque samedi. Les liens des communications en bas de page.
Centre d’Etudes Historiques
1661, la prise de pouvoir par Louis XVI.
Actes de la XVIIIe session du Centre d’Études Historiques (7 au 10 juillet 2011)
Collectif, Actes dela XVIIIe session du Centre d’Études Historiques, 1661, la prise de pouvoir par Louis XIV, CEH, Neuves-Maisons, 2012, p.119-162.
Par l’abbé Christian-Philippe Chanut
Même si la plupart des jansénistes se rallient à la position d’Antoine Arnauld, le parti n’est pas unanime : certains pensent que, pour sauvegarder la doctrine de saint Augustin, il faut résister, même au risque d’un schisme (Angélique de Saint-Jean Arnaud d’Andilly[1], Marie-Madeleine Du Fargis, Françoise-Agathe de Sainte-Marthe et Jacqueline de Sainte-Euphémie Pascal[2]) ; d’autres professent qu’il faut abandonner la défense de la vérité à Dieu lui-même, acceptant les condamnations (M. Barcos, M. Singlin, M. Le Maître de Sacy[3]).
Après la
mort du cardinal Mazarin (9 mars 1661), Louis XIV qui a bien des raisons de
suspecter le loyalisme monarchique des jansénistes[4],
et qui craint de nouveaux troubles dans le climat de misère qui frappe alors la
France[5],
est bien décidé à en finir : « Je
m’appliquai à détruire le jansénisme, et à dissiper les communautés où se
fomentait cet esprit de nouveauté, bien intentionnées peut-être, mais
ignoraient ou voulaient ignorer les dangereuses suites qu’il pourrait avoir. »[6]
Avant la mort du cardinal Mazarin, l’Assemblée générale du Clergé, le 26
janvier 1661, reprenant la décision de celle de 1655 (réitérée à celles de 1656
et de 1657) qui est restée inappliquée, prescrit la signature du « Formulaire » qu’elle étend à tous
les ecclésiastiques, jusqu’aux religieuses et aux maîtres d’école, sous peine
d’être tenus pour hérétiques. Un arrêt du Conseil du Roi, daté du 23 avril
1661, rend exécutoire les décisions de l’Assemblée générale du Clergé, les
laissant cependant « à la discrétion
des évêques ». La vingtaine de petites pensionnaires de Port-Royal
sont expulsées le 23 avril 1661 ; les quatorze novices et les postulantes
sont expulsées le 14 mai 1661 (il est désormais interdit d’en recevoir). Les
confesseurs et directeurs de Port-Royal quittent l’abbaye, le 12 juin 1661, et
doivent se cacher pour échapper à la prison ou à l’exil[7].
Antoine Arnauld se déclare prêt à signer le Formulaire,
à la condition qu’on admette sa distinction du droit et du fait. Les deux
vicaires généraux[8]
qui administrent le diocèse de Paris en l’absence de l’archevêque (le cardinal
de Retz), favorables au parti janséniste, publient (8 juin 1661) un mandement,
rédigé probablement par Pascal, qui admet la distinction faite par Arnauld. La
plupart des religieuses de Port-Royal, craignant que, même dans ces conditions,
on donne à leurs signatures un sens abusif, sont encore réticentes (Angélique
de Saint-Jean Arnauld d’Andilly et Jacqueline de Sainte-Euphémie Pascal,
sous-prieure de Port-Royal-des-Champs). Attaqués violemment, les grands
vicaires administrateurs de Paris rétractent leur mandement (condamné par
l’Assemblée du Clergé le 9 juillet 1661), et prescrivent la signature pure et
simple du Formulaire (31 octobre
1661) ; les religieuses de Port-Royal qui ont déjà accepté de signer avec
une clause explicative (23 juin 1661 à Port-Royal de Paris, le 24 juin 1661 à
Port-Royal-des-Champs), refusent toujours la signature pure et simple (28
novembre 1661 à Port-Royal de Paris, le 29 novembre 1661 à
Port-Royal-des-Champs).
[1] Angélique Arnaud d’Andilly (1624-1684) dite la Mère Angélique de Saint-Jean, était la fille de Robert Arnaud d’Andilly et la nièce de la première Mère Angélique. Religieuse à six ans, elle vécut toujours à Port-Royal où elle montra une intelligence précoce et remarquable ; la marquise de Sévigné dit que « c’était la chère fille de M. d’Andilly et dont il me disait : Comptez que tous mes frères et tous mes enfants et moi, nous sommes des sots en comparaison d’Angélique » (lettre du 29 novembre 1679). Malgré cet esprit et un peu à cause de lui, elle figure au premier rang dans l’histoire agitée et douloureuse du monastère de 1664 à la paix de ‘Église (1669). Après un exil au couvent des Annonciades, elle revint à Port-Royal, trois semaines avant sa mort (29 janvier 1684).
[2] Jacqueline Pascal (1625-1661), soeur Jacqueline de Sainte-Euphémie, est la sœur de Blaise. Enfant prodige, elle remporta le prix de poésie au palinod de Rouen en 1640. Plus tard elle écrivit, en prose, des pensées sur la mort du Christ et un règlement pour les novices de Port-Royal où elle était entrée après la mort de son père qui y était réticent (1652). Le 22 juin 1661, de Port-Royal-des-Champs, elle écrit à la sœur Angélique de Saint-Jean : « Je sais bien qu’on dit que ce n’est pas à des filles à défendre la vérité ; quoi qu’on pût dire, par une triste rencontre du temps et du renversement où nous sommes, que puisque les évêques ont des courages de filles, les filles doivent avoir des courages d’évêques. Mais ce n’est pas à nous de défendre la vérité, c’est à nous de mourir pour la vérité. »
[3] M. de Barcos dénonce chez les résistantes « leur manque de simplicité, leur mépris de l’autorité des supérieurs » et M. Arnauld lui-même les accuse pour leur « fausse générosité ».
[4] « L’Église, sans compter ses maux ordinaires, après de longues disputes sur des matières de l’école, dont on avouait que la connaissance n’était nécessaire à personne pour le salut, les différends s’augmentant chaque jour, avec la chaleur et l’opiniâtreté des esprits, et se mêlant sans cesse de nouveaux intérêts humains, était enfin ouvertement menacée d’un schisme par des gens d’autant plus dangereux qu’ils pouvaient être très utiles, d’un grand mérite, s’ils en eussent été eux-mêmes moins persuadés. Il ne s’agissait pas seulement de quelques docteurs particuliers et cachés, mais d’évêques établis dans leur siège, capables d’entraîner la multitude après eux, de beaucoup de réputation, d’une piété en effet digne d’être révérée tant qu’elle serait suivie de soumission aux sentiments de l’Église, de modération et de charité. Le cardinal de Retz, archevêque de Paris, que des raisons d’État très connues m’empêchaient alors de souffrir dans le royaume, ou par inclinaison ou par intérêt, favorisait toute cette secte naissante et en était favorisé. » (Louis XIV « Mémoires »)
[5] Après la médiocre récolte de 1660 où les blés ont été souvent gâtés par la nielle, le nord, le centre et l’est du royaume, au cours de l’année 1661 sont durement frappés par des épidémies à quoi s’ajoutent des pluies torrentielles, au printemps et à l’été, qui entraîneront la disette ; les autres provinces qui n’ont pas été touchées par ces fléaux, sont appauvries par les réquisitions organisées au profit des autres. En Anjou, le prix du boisseau de blé passe de 20 à 70 sols, tandis qu’au-dessus de la Loire, les prix quadruplent. La population, a-t-on pu évaluer, a diminué de près d’un million et demi par rapport à 1660. Si quelques accapareurs s’enrichissent, comme le dira Louis XIV dans ses « Mémoires », en rendant les marchés vides de toutes sortes de grains, la misère devient générale et, témoigne Guy Patin, on meurt de faim et de froid jusque dans les rues de Paris. La petite paysannerie, réduite à la mendicité, se réfugie dans les villes où elle porte les maladies que la mauvaise nourriture mène après elle ; envahis de miséreux, les milieux urbains où plus rien ne s’achète, connaissent à leur tour la pauvreté et le chômage. Cette famine de 1662 que l’État n’avait pas encore les moyens d’enrayer, a tant marqué les débuts du règne personnel de Louis XIV que, dans la galerie des Glaces de Versailles, Lebrun lui consacrera une évocation.
[6] Louis XIV « Mémoires »
[7] Le 7 avril 1661, par lettre de cachet, M. Maignard de Bernières est exilé à Issoudun, et M. Taignier est exilé à Castelnaudary. M. Singlin (supérieur en titre de Port-Royal) est exilé en Bretagne (8 mai 1661) ; il est remplacé par M. Bail (1610-1669, docteur en théologie, sous-pénitencier de Notre-Dame) que la Mère Agnès refuse de considérer comme son supérieur (17 mai 1661) ; M. Singlin meurt, caché à Paris, le 17 avril 1664. M. Le Maître de Sacy (frère d’Antoine Le Maître) sera arrêté le 13 mai 1666, et interné à la Bastille jusqu’au 31 octobre 1668.
[8] M. de Contes, doyen du chapitre cathédral, et M. Hodencq, curé de Saint-Séverin.
Communications précédentes :
Avant-Propos : http://vexilla-galliae.fr/civilisation/histoire/2654-ceh-xviiie-session-avant-propos
La rupture de 1661 (1/3): http://vexilla-galliae.fr/civilisation/histoire/2663-la-rupture-de-1661-2-3
La rupture de 1661 (2/3): http://vexilla-galliae.fr/civilisation/histoire/2664-la-rupture-de-1661-2-3
La rupture de 1661 (3/3): http://vexilla-galliae.fr/civilisation/histoire/2684-ceh-la-rupture-de-1661-3-4
De Colbert au patriotisme économique (1/3)
De Colbert au patriotisme économique (2/3)
De Colbert au patriotisme économique (3/3): http://vexilla-galliae.fr/civilisation/histoire/2693-ceh-de-colbert-au-patriotisme-economique-3-3
1661 : transfert de la Cour des aides de Cahors à Montauban (1/3)
1661 : transfert de la Cour des aides de Cahors à Montauban (2/3)
1661 : transfert de la Cour des aides de Cahors à Montauban (3/3): https://www.vexilla-galliae.fr/civilisation/histoire/ceh-1661-transfert-de-la-cour-des-aides-de-cahors-a-montauban-3-3/
Permanence des révoltes antifiscales, 1653-1661 (1/3)
Permanence des révoltes antifiscales, 1653-1661 (2/3)
Permanence des révoltes antifiscales, 1653-1661 (3/3)
Découverte et esprit scientifique au temps de Louis XIV (1/2)
Découverte et esprit scientifique au temps de Louis XIV (2/2)
Louis XIV au Château de Vincennes (1/3)
Louis XIV au Château de Vincennes (2/3)
Louis XIV au Château de Vincennes (3/3)
1661 et les arts : prise de pouvoir ou héritage ? (1/2)
1661 et les arts : prise de pouvoir ou héritage ? (2/2)
La collection de tableaux de Louis XIV
Du cardinal Mazarin et du Jansénisme (1)
Du cardinal Mazarin et du Jansénisme (2)
Du cardinal Mazarin et du Jansénisme (3)
Du cardinal Mazarin et du Jansénisme (4)
Du cardinal Mazarin et du Jansénisme (5)
Du cardinal Mazarin et du Jansénisme (6)
Du cardinal Mazarin et du Jansénisme (7)