Du cardinal Mazarin et du Jansénisme (1)
Les actes des communications des sessions du centre d’études historiques paraissent une fois par semaine, chaque samedi. Les liens des communications en bas de page.
Centre d’Etudes Historiques
1661, la prise de pouvoir par Louis XVI.
Actes de la XVIIIe session du Centre d’Études Historiques (7 au 10 juillet 2011)
Collectif, Actes dela XVIIIe session du Centre d’Études Historiques, 1661, la prise de pouvoir par Louis XIV, CEH, Neuves-Maisons, 2012, p.119-162.
Par l’abbé Christian-Philippe Chanut
Puisque le cardinal Mazarin affermit durablement la monarchie absolue de droit divin, tant dans la personne du Roi que dans les institutions du Royaume, sans extravaguer jamais au-delà du raisonnable et du possible, sa mémoire ralliera toujours contre elle les conjurations désordonnées de tous les ennemis de l’ordre royal chrétien, de sa tempérance et de ses équilibres. Aussi antagonistes et concurrents que puissent être entre eux la plupart des détracteurs du cardinal Mazarin, ils préfèrent, plutôt que de chercher des argumentations, se refiler les pièces douteuses d’un dossier éculé où un dégoûtant amas de ragots et de caricatures sont élevés au rang de preuves historiques, réputées irréfragables, comme des dogmes infaillibles.
À vrai dire, bien plus que les autres hommes publics, les ecclésiastiques qui sont parvenus au faîte du pouvoir, excitent particulièrement la haine inextinguible de leurs ennemis qui ne pourrait cesser que lorsque leur souvenir sera englouti au plus profond des ténèbres de l’oubli, avec leurs confrères méconnus parce qu’impeccables. Tour à tour rigolarde et silencieuse, les légendes qui les font tous hypocrites et manipulateurs, les veulent souvent perdus de mœurs, corrompus et malfaisants, plus avides des jouissances du monde que désireux des grâces éternelles. Pour renfort de potage, elle leur refuse tout intérêt élevé pour la théologie, les réputant volontiers « très ingorantissimes » en la matière ; si d’aventure ils se mêlent à des affaires doctrinales, ce n’est jamais que pour de basses raisons politiques et financières.
Sur ce dernier point qui nous occupera ici, bien davantage que les autres, à propos du cardinal Mazarin, en butte aux jansénistes (pour peu que vous ne succombiez pas à la tentation de le trouver spécieux dès l’énoncé), sans doute que vous en exceptez le cardinal de Richelieu, dont, naguère, du haut de cette heureuse tribune, j’ai décortiqué devant vous les œuvres pastorales et doctrinales, contemporaines de son ministère politique. J’imagine que vous en écartez aussi le pieux cardinal de Fleury que ses ennemis se contentent de décrire comme une vieille bête réactionnaire et obstinée. Si tant est que vous vous souveniez de lui, vous en retranchez aussi Guillaume Du Vair, deux fois garde des sceaux de Louis XIII (16 mai au 25 novembre 1616 et du 25 avril 1617 à sa mort, le 3 août 1621), qui fut longtemps un magistrat si pieux et si instruit qu’il resta édifiant comme prêtre et évêque de Lisieux.
Il se pouvait bien, selon un mot prêté à l’infortuné Louis XVI, que Loménie de Brienne ne crût point en Dieu, mais personne ne pourrait soutenir que, docteur de Sorbonne, il manqua de connaissances doctrinales ni qu’archevêque de Toulouse ou président la Commission des Réguliers, il marqua du désintérêt pour l’Église ; ses idées religieuses n’étaient assurément pas les nôtres, mais elles étaient assez puissantes en lui pour qu’il rentrât d’Italie dans son diocèse qu’il connaissait à peine, quand tant de pasteurs méritants émigraient, et pour qu’il s’y tînt jusqu’à endurer la persécution ridicule dont il mourut.
Au sortir du collège, après des années d’enseignement, d’observances et de pratiques communes, guidé par un ou plusieurs directeurs spirituels, n’importe quel laïc savait sa religion et était bien capable d’en disputer. Ce que nul ne refuse ni à Voltaire ni à Diderot ni à aucun des soi-disant « Lumières » qui parlent à tort et à travers de la religion, ne se doit pas non plus refuser à nos abbés de gouvernement qui, à tout le moins, ont suivi jusqu’au bout les cours du collège à quoi l’abbé Bernis ajouta le séminaire Saint-Sulpice et l’abbé Terray des études de droit canonique et une préparation au diaconat. Quant à l’abbé Dubois auquel je vois bien que vous pensez, si l’on ne saurait se satisfaire qu’il fût élève au collège de Brive, on se contentera peut-être qu’il fut prieur du collège Saint-Michel de Paris ; sans doute qu’il a manqué de vertu et qu’on le surprît à malmener la morale, mais il avait suffisamment étudié pour ne point être soupçonné d’ignorance.
En l’espèce, le cas du cardinal de Mazarin est bien différent de tous ces ecclésiastiques de gouvernement que nous venons d’évoquer, non point parce qu’il fut réellement un homme de religion qui aimait la France d’un amour presque charnel, sans cesser jamais d’être « un romain de Rome » au point de mettre le faisceau du licteur dans ses armes. Avant même de les apprendre, il a senti et su les choses romaines qui étaient réellement son univers.
Peut-être m’objectera-t-on qu’il sut faire jouer au profit de l’État autant qu’au sien les multiples ressources de l’Église gallicane. Je n’en disconviens pas, mais je ne vois pas en quoi cela constituerait une atteinte aux droits de l’Église romaine. En effet, le concordat de 1516 n’était pas une concession passagère, mais une décision du Ve concile œcuménique du Latran (constitution « Divina disponente clementia » du 19 décembre 1516).
Il est à parier que, poussant plus loin, le fâcheux me soulignera que le cardinal Mazarin ne craignait pas de s’opposer au Pape. Je n’en disconviens pas non plus, mais je ne vois pas qu’il le fût en ennemi de l’Église. S’il lui est arrivé de s’opposer au Pape, il ne le fit pas en impie ou en anticlérical, mais plutôt dans le jeu compliqué des partis et des factions qui s’affrontaient à l’intérieur des États pontificaux que l’on pouvait jauger chaque fois qu’un conclave était envisagé. Lorsque le cardinal Mazarin fit nommer le cardinal Antonio Barberini (1607-1671), neveu disgracié du défunt pape Urbain VIII, grand-aumônier de France (1651), évêque de Poitiers (1652) puis archevêque-duc de Reims (1657), il ne s’opposait pas au Saint-Siège, en tant qu’institution ecclésiale, mais il faisait montre de sa fidélité aux Barberini contre les Pamphili (Innocent X) puis contre les Chigi (Alexandre VII) qui ne comprenaient pas autrement. Était-il seul à ne pas vouloir laisser irrémédiablement le Saint-Siège aux factions espagnoles ?
Communications précédentes :
Avant-Propos : http://vexilla-galliae.fr/civilisation/histoire/2654-ceh-xviiie-session-avant-propos
La rupture de 1661 (1/3): http://vexilla-galliae.fr/civilisation/histoire/2663-la-rupture-de-1661-2-3
La rupture de 1661 (2/3): http://vexilla-galliae.fr/civilisation/histoire/2664-la-rupture-de-1661-2-3
La rupture de 1661 (3/3): http://vexilla-galliae.fr/civilisation/histoire/2684-ceh-la-rupture-de-1661-3-4
De Colbert au patriotisme économique (1/3)
De Colbert au patriotisme économique (2/3)
De Colbert au patriotisme économique (3/3): http://vexilla-galliae.fr/civilisation/histoire/2693-ceh-de-colbert-au-patriotisme-economique-3-3
1661 : transfert de la Cour des aides de Cahors à Montauban (1/3)
1661 : transfert de la Cour des aides de Cahors à Montauban (2/3)
1661 : transfert de la Cour des aides de Cahors à Montauban (3/3): https://www.vexilla-galliae.fr/civilisation/histoire/ceh-1661-transfert-de-la-cour-des-aides-de-cahors-a-montauban-3-3/
Permanence des révoltes antifiscales, 1653-1661 (1/3)
Permanence des révoltes antifiscales, 1653-1661 (2/3)
Permanence des révoltes antifiscales, 1653-1661 (3/3)
Découverte et esprit scientifique au temps de Louis XIV (1/2)
Découverte et esprit scientifique au temps de Louis XIV (2/2)
Louis XIV au Château de Vincennes (1/3)
Louis XIV au Château de Vincennes (2/3)
Louis XIV au Château de Vincennes (3/3)
1661 et les arts : prise de pouvoir ou héritage ? (1/2)
Monsieur l’Abbé Chanut a ici le grand mérite de nous montrer combien un gallicanisme ancré sur la tradition est bienfaisant pour la France et pour l’Eglise.