De l’importance de la sociabilité au-delà de la haine (justifiée) de la mondanité
Lettre d’un émigré
La satanée modernité trop longtemps incrustée dans la société française donne des effets déplorables. Certes, les conséquences directes et visibles, les plus néfastes aujourd’hui et les plus évidentes, sont aujourd’hui la dissolution avancée du lien social, et l’explosion de la société, après avoir passé le stade de sa déstructuration et de l’inversion des principes. Le résultat est dramatique : la société n’est plus qu’une « masse » de gens qui ne vivent plus ensemble, si ce n’est par force et par obligation, dans une défiance généralisée et un empoisonnement mutuel quotidien, jusque même dans le sein des familles – et cela ne date pas d’hier. Le trait est certainement grossi, des exceptions existent, mais l’idée est là et la règle malheureusement trop souvent vérifiée.
Ce drame moderne, par réaction naturelle et compréhensible, « agrège » ce qui reste de forces vives en petites communautés traditionnelles, souvent exiguës – heureusement pour notre temps, le fond semble avoir été enfin touché, et le rebond, certes encore peu sensible car dans ses premiers mouvements, est néanmoins bien réel – qui ont tendance, face à cette satanée société, à s’en couper un maximum pour sauver l’âme de ses enfants. La situation et les diverses expériences forcent le plus souvent, de façon assez logique et naturelle, à la mise en place d’un cordon sanitaire de sécurité envers l’extérieur, en marge de la société si agressive et nuisible, pour en fonder, ou en « conserver » dans le meilleur des cas, qui deviennent si rares, une société « saine ».
Il semble effectivement que les affres révolutionnaires et modernes sont souvent associées à un certain esprit « mondain ». En réaction à cet esprit, il apparaît bien ancré une certaine détestation « cristallisée-qui-ne-voit-plus-que-cela » de la mondanité, qui dure depuis lors jusqu’à aujourd’hui. Cet esprit de méfiance et de détestation de la mondanité poussé à l’extrême entraîne des conséquences déplorables : elle fonde une tendance nuisible qui consiste à se méfier systématiquement de toute relation sociale, de toute sociabilité, et, parfois, d’instiller ce qui s’apparente à l’envie ou la jalousie même dans les cénacles ou cela ne devrait pas exister – ce qui montre incidemment que bon gré mal gré l’on est toujours tributaire de la société dans laquelle on vit, et il est un véritable défi, qui ne semble pas résolue encore, que de s’isoler des mauvaises influences et des véritables nuisances sans pour autant faire semblant de les ignorer et de préparer ses enfants à les affronter et à les rendre suffisamment forts pour que ces nuisances soient indolores et facilement surmontables.
Bref, tout cela pour dire que trop souvent dans notre France contemporaine, quel que soit le milieu et la personne, on détruit la sociabilité, et on la déteste, en se trompant de cible, pour ne laisser exister, finalement et par défaut, que la mondanité, là où elle devrait être l’objet de haine. C’est une grande et terrible erreur d’attaquer à son insu la sociabilité en croyant s’attaquer à la mondanité.
Le révolutionnaire déteste en effet la sociabilité, car la société sociable est par force traditionnelle, et il veut détruire toutes les structures ; mais il affectionne la mondanité car il a besoin d’un réseau pour son profit et d’user des autres comme il se fait d’ailleurs utiliser ; de plus, la mondanité instille le mauvais esprit et la petitesse, ce qui donne de l’eau au moulin révolutionnaire insidieux de corrosion de la société.
Le traditionnel abhorre la mondanité, et il a raison, mais il oublie trop souvent la chaleur hautement précieuse de la sociabilité, qui permet de s’unir, de créer le lien social, premier fondement de la restauration, et de refonder communautés, liens d’entraides et de solidarité, qui ne sont jamais mondains tant qu’ils sont vécus dans la charité au mieux, sans arrière-pensées étranges au pire.
La sociabilité possède en effet non seulement le grand avantage de recréer le lien social et le socle de la restauration de la société via des communautés qui s’entraident dans la charité et qui remettent en place des réseaux de transmission et d’élévation spirituelle, tout en pourvoyant aux besoins matériels, et tout en en fournissant le cadre de sérénité nécessaire pour tout un chacun afin de croître et grandir, mais aussi possède la vertu d’apaiser les dissensions créatrices de déchirures, et la vertu de convertir les mondains à la sociabilité saine, car l’homme est naturellement un animal social, et sa nature l’appelle à la sociabilité ; la mondanité n’étant qu’une version souillée et tordue par le malin d’un élan au départ bon.
Il y aura toujours des frictions dans les relations humaines : la sociabilité est là pour nous aider à se convertir les uns les autres entre personnes de bonne volonté, en désactivant en amont certaines rancœurs et germes qui pourraient dans un contexte mondain tout détruire.
Laissons la parole à un grand contributeur à la restauration de Meiji au Japon, éducateur et journaliste, qui abhorre non pas la mondanité, mais l’envie et la jalousie, et chérit les fruits de la sociabilité et de la société tissée en mailles serrées, enchevêtrées et multiples, dans un « tissu social » solides et résistant capable d’encaisser tant les chocs extérieurs – et intérieurs aussi d’ailleurs – « classiques », ainsi que le poison de la modernité. Voici un exemple de cette tournure de pensée, qu’il serait bon, à notre avis, qu’elle renaisse plus largement chez nous afin de « retisser » encore mieux que ce que nous faisons aujourd’hui le précieux tissu social qui permet de tenir au chaud les âmes et de donner le cadre nécessaire à la croissance du corps mystique de la France et, derrière, de l’union avec Jésus-Christ à travers son corps mystique, l’Église – qui inclut donc nous-mêmes. Notre auteur part de la constatations des maux que provoque un défaut de sociabilité pour en arriver à la conviction suivante – sans qu’il nie la réalité des confrontations violentes qu’il a aussi connu lors des conflits autour de la restauration, mais que le Japon a justement réussi à surmonter en unissant les anciens ennemis autour du roi qui incarne le parangon d’un pratique coutumière de sociabilité qui, répandue dans toute la société, harmonise et apaise les inflammations qui peuvent surgir ici ou là[1] :
« De la même façon, dans les relations humaines, si on ne voit pas en face son interlocuteur en tant que personne, mais qu’on ne voit que ce qu’il fait, ou encore que l’on entende vaguement de loin, de bouches à oreilles, ce qu’il dit, il suffit que quelque chose ne nous plaise pas pour entraver toute naissance de compassion et de charité dans sa propre âme pour cette autre, voire même au contraire faire naître des idées de détestation, qui peuvent devenir haine et faire, souvent, rater [la naissance] des bons fruits [que la relation humaine ne peut manquer de faire naître]. C’est une vérité simple de la nature et des coutumes humaines. Certaines choses qui ne se résolvent pas par messages, ou par lettres interposées, se règlent en douceur, si l’on en discute directement. Et c’est une chose entendue quotidiennement que parfois, « on ne s’entendait pas du tout sur tel ou tel chose, mais, après confrontation physique, en fait tout allait bien, contre toute attente ». En bref, l’esprit de patience se retrouve dans le plus grand esprit de charité de l’humanité. Si l’esprit de patience
[compréhensive]
est bien présent, alors cela veut dire que l’empathie passe entre les interlocuteurs, et toute pensée jalouse ou envieuse ne peut que s’évaporer. Il est vrai que le nombre d’assassinats dans l’histoire n’est pas faible, mais moi je dis souvent que : « Si, par une chance insigne, le tueur et la future victime pouvaient passer plusieurs jours dans un même lieu, et s’épancher mutuellement leur véritable sentiment sans se cacher, alors il est certain qu’ils arriveraient non seulement, et à coup sûr, à calmer leurs différends, même s’ils sont ennemis, et qu’ils deviendraient même les meilleurs amis du monde. » »[2]
Pour œuvrer, restaurer, et agir, il faut des camarades. Cela fait peut-être vieillot, mais « l’union fait la force », c’est une certitude. Mais cette union ne doit pas se comprendre comme cette sorte de calcul mondain des politicards qui « s’allient » momentanément pour leur profit privé – enfin ce qu’il croit être leur profit, mais cela les perd le plus souvent – au gré du vent et prêt à trahir tout de suite, dans le plus pure parangon de la sociabilité dégradée en mondanité, et le cercle vicieux révolutionnaire de l’esprit partisan qui a mangé entier « l’esprit royale », « l’esprit public » qui vise au bien commun, et qui est en quelque sorte la déclinaison sociale habituelle – comme vertu collective- de la charité chrétienne – vertu personnelle.
Non, la véritable union se fait dans les liens de charité via la sociabilité normale, incarnée par la royauté qui concrétise ce lien, et dont la vocation est de (ré-)unir « toute la population » au « tronc commun de la Maison de France, famille des familles et vecteur vertical qui nous tire vers le haut tout en manifestant et incarnant la voie royale des œuvres concrètes sur terre », par analogie à la chrétienté qui a vocation à (ré-)unir tous les hommes au « tronc commun de l’humanité, le Christ, dans l’acceptation de sa nature ».
C’est pourquoi nous ne pouvons que clamer inlassablement à tous le sujets du Royaume de France : retrouvez, cultivez et encouragez la nécessaire sociabilité –saine, soit animée par la charité et dépouillée de toute envie et de jalousie -, comme notre bon Roi nous en montre l’exemple, en nous rappelant l’esprit royal par excellence, qui est une sorte, en un certain sens, d’un esprit familial national, condition sine qua non sans laquelle aucune restauration ne peut se faire, et condition sine qua non pour convertir les cœurs et les aider à retrouver volontairement et activement le giron royal, l’union nationale –la véritable concorde-, que tout le monde, au fond, désire par nature, ré-union. Une sociabilité saine permet de multiplier les points de contact avec tant de gens qui ne connaissent même pas toute cette beauté, et qui ne peuvent ainsi pas du tout profiter de toute cette vérité – l’ardent devoir de combattre l’ignorance passe par cette sociabilité, car l’ignorance n’est pas qu’un manque de connaissances mais elle est aussi un manque d’expériences traditionnelles, si on peut dire et dont la sociabilité est la première – mais aussi de fournir un lieu privilégié d’accueil, d’expérience, d’une société saine à tous ceux qui en ont besoin.
Nous appelons en bref à la mise en place, ou plutôt à l’accélération de ces cercles vertueux qui ne peuvent se développer qu’en se nourrissant de la sociabilité saine – les principes bien solides, s’entend, mais il ne faut pas non plus être trop perfectionniste, et savoir se lancer, sans avoir peur de se souiller, car en gardant l’essentiel au cœur, soit la Charité la Foi et l’Espérance, qui contrecarrent tous les penchants révolutionnaires, à commencer par l’envie et la jalousie, c’est plutôt nous-même qui pourront « purifier » les alentours juste en montrant l’exemple et en agissant bien. Le Roi nous montre la voie, en pardonnant et en appelant à l’union, tout en incarnant l’axe qui met en contact et relie tous les enfants de France, si tant est qu’ils prennent conscience de ce lien à l’axe royal, qui existe toujours par nature, et même chez le plus révolutionnaire – qui ne fait que nier sa nature, mais qui ne peut pas la changer.
Pour Dieu, pour le Roi, pour la France
Paul de Beaulias
[1] Et la société française gangrénée par la révolution souffre d’inflammation chronique, aux accès aigus quotidiens, qu’il est urgent d’apaiser et d’harmoniser…
[2] Yukichi Fukuzawa, Invitation à l’étude, chapitre 13
On le constate encore plus aujourd’hui où chacun est figé derrière sin Iphone, ne voit ni n’entend plus personne. Il y a aussi une certaine méfiance entre les gens. Certains d’entre eux en viennent notamment à tirer sur la laisse de leur chien, de peur qu’on le leur vole; et que dire de leurs réactions quant à leurs enfants!!!