Article II Chapitre II Des sacrifices humains (1)
Éclaircissement sur les sacrifices
[Au fil des classiques Série Joseph de Maistre – 19]
Paul de Beaulias– Au fil des classiques
Série Joseph de Maistre
Maistre, Joseph de (1753-1821). Œuvres complètes de J. de Maistre (Nouvelle édition contenant les œuvres posthumes et toute sa correspondance inédite). 1884-1886
Articles précédents:
1-Joseph de Maistre, une figure traditionnelle prise dans les tourments de l’époque
2- Joseph de Maistre vu par son fils
3- Introduction et chapitre I « Des révolutions » [Considérations sur la France-1]
5- Chapitre III « De la destruction violente de l’espèce humaine. »[Considérations sur la France-3]
6- Chap.IV « La république française peut-elle durer ? » [Considérations sur la France-4]
7- Chap. V « De la révolution française considérée dans son caractère antireligieux.— Digression sur le christianisme. » [Considérations sur la France-5]
8- Chap.VI « De l’influence divine dans les constitutions politiques. » [Considérations sur la France-6]
9- Chap.VII « Signes de nullité dans le Gouvernement français. » [Considérations sur la France-7]
10- Chap.VIII « De l’ancienne constitution française. » (première partie) [Considérations sur la France-8]
11- Chap.VIII « Digression sur le roi et sur sa déclaration aux Français du mois de juillet 1795. » [Considérations sur la France-9]
12- Chapitre IX « Comment se fera la contre-révolution, si elle arrive? » [Considérations sur la France-10]
13- Chapitre X « Des prétendus dangers d’une contre-révolution. »
[Considérations sur la France-11]
14- Éclaircissement sur les sacrifices [Éclaircissement sur les sacrifices -1]
15-Article I Chapitre Premier Des sacrifices en général (1) [Éclaircissement sur les sacrifices -2]
16-Article I Chapitre Premier Des sacrifices en général (2) [Éclaircissement sur les sacrifices -3]
17-Article I Chapitre Premier Des sacrifices en général (3) [Éclaircissement sur les sacrifices -4]
18- Article I Chapitre Premier Des sacrifices en général (4) [Éclaircissement sur les sacrifice -5
Les fondements du sacrifice posés, son abus amène au sacrifice humain, terrible, mais bien symptomatique de ce qu’est l’erreur : une vérité abusée ou ignorée :
« La doctrine de la substitution étant universellement reçue, il ne restait plus de doute sur l’efficacité des sacrifices proportionnés à l’importance des victimes ; et cette double croyance, juste dans ses racines, mais corrompue par cette force qui avait tout corrompu, enfanta de toute part l’horrible superstition des sacrifices humains. En vain la raison disait à l’homme qu’il n’avait point de droit sur son semblable, et que même il l’attestait tous les jours en offrant le sang des animaux pour racheter celui de l’homme ; en vain la douce humanité et la compassion naturelle prêtaient une nouvelle force aux arguments de la raison : devant ce dogme entraînant, la raison demeurait aussi impuissante que le sentiment. »[1]
Sentiment et raison vont contre le sacrifice humain, mais pourtant, contre toute attente, l’abus émerge ici et là, c’est bien le phénomène du bouc-émissaire devenu rituel. C’est bien ce que dit superstition, une base juste trop crue, surdéveloppée, qui donne un monstre. Le manque de mesure qui ouvre la rupture de l’équilibre et la chute vers l’excès ritualisé. Joseph de Maistre précise ensuite ce que signifie véritablement l’erreur, comme dans d’autres écrits : une vérité partielle qui ignore le tout et qui devient complètement prégnante constitue l’erreur, c’est un abus de vérité partielle ; ou bien l’erreur vient de l’ignorance de la vérité. Le principe sous-tendant cet axiome provient simplement de l’aversion envers le faux que l’homme possède naturellement ; ainsi une erreur complétement fausse ne pourrait jamais convaincre personne, c’est bien par son côté véridique qu’elle attire et trompe, en faisant accepter aussi son application fausse ou déformée, et sa part fausse. Cette définition classique de l’erreur est lumineuse et précieuse pour comprendre comment on en arrive à l’erreur, et comment la contrer – en rappelant les parts de vérité oubliées, en dénonçant les parts de faux qui se mêlent quand les deux sont mêlés :
« Il est bien démontré, je crois, que tout tenait au dogme de la substitution dont la vérité est incontestable, et même innée dans l’homme (car comment l’aurait-il acquise ?), mais dont il abusa d’une manière déplorable : car l’homme, à parler exactement, n’adopte point l’erreur. Il peut seulement ignorer la vérité, ou en abuser ; c’est-à-dire l’étendre, par une fausse induction, à un cas qui lui est étranger. »[2]
Soulignons l’emploi du mot dogme, non pas dans une quelconque intention de dénonciation ou de dépréciation par rapport au sublime dogme catholique, mais par analogie : la vérité de l’instinct naturel du sacrifice inscrit dans l’homme à travers cette « loi de substitution » ou de la « réversibilité des peines » est à proprement parler un dogme, en tant que vérité universelle qui se vérifie partout et de tout temps, même si ce n’est pas un dogme à proprement parler de la Foi. De la même façon qu’une hérésie va tordre et abuser d’un dogme au point d’arriver à l’erreur invétérée, par exemple affirmer l’humanité du Christ, qui est réel, au point de nier la divinité du Christ pour l’arianisme par exemple, le sacrifice humain participe du même genre d’abus. L’auteur nous donne d’ailleurs un bon critère de jugement face à certains principes ou théories, ou plutôt de leur usage : quand l’on commence à appliquer des principes ou des théories (logique mathématique, évolution, etc) hors de leur champ « par une fausse induction », l’erreur arrive très vite.
[1] Ibid, p.305
[2] Ibid, p.306