Réplique à Pierre Bordage !
Pierre Bordage est un grand écrivain de science fiction… même s’il est certains domaines qu’il mériterait d’étudier plus attentivement avant de les mettre en scène dans ses livres. C’est en tout cas, la conclusion qui nous viendra à l’esprit en refermant « Ceux qui sauront », l’un de ses romans.
L’intrigue se déroule en 2008 dans une France monarchique. En effet, dans cette uchronie, en 1882, le « Parti de l’Ordre » dirigé par les Orléans réussit un coup d’Etat qui lui permit de renverser la République de Gambetta et de restaurer la monarchie. Depuis, la France, dirigée par une minorité d’aristocrates, est un régime dictatorial où l’instruction est interdite aux gens du peuple, les « cous noirs ». Les richesses sont monopolisées par l’aristocratie et la grande bourgeoisie et les militaires font régner un climat de terreur sur la population afin de prévenir tout esprit de révolte. Les tentatives d’insurrection étant, en effet, fréquentes et à chaque fois réprimées dans le sang.
La monarchie dépeinte par Bordage dans son roman est détestable à tous les niveaux : totalitaire, injuste, terroriste, maintenant le peuple dans l’ignorance et la misère… Le lecteur sera pris dans un choix manichéen entre la dictature du roi Jean IV d’Orléans et le combat pour la démocratie occidentale mené par les rebelles. Qui donc pourrait choisir le camp royaliste en lisant cette histoire ?
Pourtant, pour les connaisseurs, ce « roman » dénote une ignorance flagrante de la part de Pierre Bordage tant de l’Ancien Régime que du royalisme.
Les aberrations sont nombreuses et elle heurtent toute sensibilité royaliste. S’il fallait commencer par un point de détail, signalons que, dans ce roman, la France a pour emblème le drapeau blanc. Or, en 1882, date à laquelle les Orléans sont supposés prendre le pouvoir par un coup d’Etat, ces derniers étaient favorables au drapeau tricolore.
On aura également envie de signaler qu’à cette époque, les Orléans appartiennent non pas à la famille politique réactionnaire mais à la famille politique libérale, bien éloignée du « Parti de l’Ordre » décrit dans le roman.
Pour aller bien plus dans le vif du sujet, Pierre Bordage, dans son roman, part du principe que l’Etat royal interdit l’instruction aux plus pauvres. C’est oublier que l’instruction gratuite existait sous l’Ancien Régime, que c’est notamment l’Eglise qui la prodiguait aux enfants même des classes les plus modestes. C’est oublier en revanche que c’est Voltaire, l’un des artisans des Lumières, dépeintes comme un mouvement fantastique dans le roman, qui fustigeait cette instruction offerte aux jeunes paysans.
Pierre Bordage ne craint pas non plus les incohérences. Dans une France qui possède des ordinateurs, un réseau Internet, des tanks et des voitures, il est absolument illogique de penser que l’Etat cherche volontairement à maintenir le peuple dans l’ignorance et dans l’analphabétisme, ce qui est le cas dans le roman. Le progrès technique ne peut en effet s’accompagner que d’une hausse de la qualification des classes laborieuses, l’exemple de l’Inde étant à ce titre particulièrement criant, elle qui s’impose sur le marché international en formant des ingénieurs et des informaticiens.
Mais, au-delà de cette analyse de simple bon sens, il faut une certaine mauvaise foi à Pierre Bordage pour décrire une monarchie à l’origine d’un analphabétisme forcé, alors que c’est bien sous la monarchie qu’a été inventée l’école pour tous (et encouragée par plusieurs rois, notamment Louis XIV), c’est bien sous la monarchie que l’analphabétisme a commencé à disparaître (la majorité des hommes savaient lire et écrire à la veille de la Révolution.) Mais c’est sous la république, libérale et consumériste, que le niveau scolaire s’effondre peu à peu, que les professeurs perdent peu à peu leur autorité, que l’enseignement perd tant en qualité qu’en quantité, que la violence s’installe tranquillement dans les écoles, et que le goût du savoir disparaît, car jugé ringard, remplacé par le goût d’une génération entière, notamment chez les classes pauvres, pour la violence, l’argent facile et une sexualité dégradante… largement diffusé par le rap et un certain cinéma dit « jeune. »
Pour Pierre Bordage, la monarchie ainsi restaurée aurait cherché à maintenir le peuple dans une situation d’extrême misère, et lui de décrire ainsi un état miséreux qui n’est pas sans rappeler les caricatures de la propagande républicaine sur la monarchie, propagande battue en brèche par l’historiographie qui a depuis longtemps démontré que la France était l’un des royaumes les plus prospères d’Europe avant la Révolution… et que cette prospérité bénéficiait largement au peuple.
Bordage oublie également que les royalistes sociaux furent parmi les premiers à se dresser contre les ravages provoqués par la révolution industrielle et le libéralisme outrancier qui jetait dans la misère les masses laborieuses. Il oublie que ces mêmes royalistes sociaux furent à l’origine de très nombreuses lois sociales.
L’auteur dépeint également un monde qu’il tourne en dérision, par exemple en décrivant un cinéma dont les films partageraient une intrigue standard, tournant autour d’un prince légitime détrôné par une bande de conspirateurs et reprenant finalement le pouvoir au terme d’une épopée héroïque.
Pourtant, c’est dans nos démocraties occidentales qu’un cinéma entièrement vendu au politiquement correct biberonne le public de propagande, qu’il s’agisse du cinéma français ou du cinéma américain, avec la légitime démocratie menacée par une bande de terroristes et finalement sauvée au terme d’une épopée héroïque.
En sens inverse, sous la monarchie, l’on n’hésitait pas à jouer des pièces de théâtre authentiquement incorrectes et provocatrices auxquelles il arrivait même au roi d’assister (les pièces de Molière en sont l’exemple le plus flagrant.)
Enfin, dans le roman de Pierre Bordage, les militaires n’hésitent pas à tirer sur les gens du peuple et sur la foule et, ce, sans sommation, afin de faire régner un climat de terreur. Rappelons donc à M. Bordage que la monarchie est un régime qui rechigne à faire tirer sur le peuple, justement, et Bordage le rappelle très bien, parce que le roi est le père des peuples de France. Que c’est justement cette attitude timorée qui a conduit à la chute de la monarchie… quand la République, elle, n’a jamais hésité à faire feu sur les foules, à massacrer des Français : la Terreur sous la Révolution, le génocide de la Vendée, les ouvriers massacrés au début de la IIème République, la Commune… La liste serait trop longue à répertorier tous les crimes de la République, crimes qui se perpétuent aujourd’hui sous la forme d’un régime qui jette notre pays sans défense dans la guerre économique internationale.
Heureusement que Bordage reste un bon écrivain de science fiction, que l’intrigue est prenante (quoique très linéaire) et parvient à captiver son lecteur. Le talent de l’auteur réussit à sauver une histoire dont il n’y a pas grand chose à tirer quant au fond. Un certain nombre de connaisseurs penseront cependant que Pierre Bordage nous avait habitués à mieux, tant du point de vue de l’intrigue que du style.
Sur le quatrième de couverture, Bordage est décrit comme un auteur humaniste, et nul doute qu’il le soit. Il y a effectivement beaucoup d’humanisme qui transpire de cet ouvrage. Dommage que cet humanisme soit empoisonné par le venin de l’idéologie.
L’on pourrait songer à écrire un roman qui serait une réponse, et décrirait une République corrompue, qui laisse peu à peu les classes populaires s’enfoncer dans la médiocrité et l’ignorance à coups de propagande télévisuelle et d’émissions de télévision abrutissantes, une République qui aurait confisqué l’instruction de qualité au profit des grandes écoles accessibles uniquement aux plus riches et laissé les écoles du peuple s’effondrer sous les coups conjugués de l’immigration, du pédagogisme et de la destruction des programmes scolaires, une République où seule une minorité tirerait profit du système économique quand l’immense majorité des Français aurait à subir de plein fouet la concurrence internationale, une République, enfin, où le pouvoir serait jalousement gardé par une petite minorité de politiciens népotiques et de partis politiques, se revendiquant hypocritement de la démocratie quand seule leur technocratie sans âme et irresponsable règnerait sur nos vies.
Mais alors il ne s’agirait plus d’un roman !
Stéphane Piolenc
Pierre Bordage – Ceux qui sauront – Poche : 317 pages – Ed. J’ai lu (8 mai 2010) – Coll. J’ai lu Science-fiction