Culture de sécurité ? (2)
La sécurité est un domaine régalien. La république nous l’a dit et répété jusqu’à la nausée sans pour autant apporter le moindre argument pour étayer cette affirmation. De prime abord, cela peut paraître tout à fait normal. Pour autant, quand on veut bien prendre quelques instants de réflexion, ce n’est pas aussi légitime que cela. Certes, il existe des polices municipales. Heureusement d’ailleurs, car très souvent elles permettent de pallier aux problèmes d’effectifs de la police nationale. Tout au moins quand les services ont des effectifs suffisants. Pour autant, elles ne peuvent se substituer à la police nationale car elles ne disposent pas des mêmes pouvoirs, notamment celui de pouvoir auditionner. Par ailleurs, seules 3.500 communes en sont dotées. Enfin, elles sont souvent à la merci du bon vouloir du maire. Certains prennent leurs responsabilités et entendent que leurs services effectuent un véritable travail de terrain, d’autres les ont créées dans un but électoral et les sous-emploient. Aux contribuables d’apprécier.
Je reviens sur la notion régalienne et sa mise en cause. La république, en dépit de la décentralisation, de façade, est un régime extrêmement centralisateur. Or, en matière de sécurité on ne peut obtenir de bons résultats qu’à la condition d’avoir une connaissance fine du territoire sur lequel on travaille. Ce territoire ne peut se limiter à la simple commune car la géographie criminelle, ces fameux « hot spots », s’affranchissent du découpage administratif. Ils existent parce qu’il y a une conjonction entre sources de profits (pavillons, clientèle pour la drogue, victimes, etc.) et vecteurs d’arrivée et de repli. Or, ce n’est pas l’Etat avec sa lourde machine administrative qui peut arriver à une connaissance réelle de la délinquance au plan local, mais bel et bien les élus locaux. Malheureusement pour eux, s’ils disposent de pouvoirs de police, comme leur qualité d’Officier de Police Judiciaire en atteste, ces pouvoirs se limitent à ce qu’on appelle la police administrative (art L.2212-2 du Code Général des Collectivités Territoriales).
Mais revenons à nos moutons. Ainsi donc, c’est la police et la gendarmerie nationales qui sont en charge de la sécurité des citoyens. Pour apprécier les résultats, nous n’avons à notre disposition qu’un outil datant du milieu des années 70 : l’état 4001. Il s’agit d’un outil statistique fondé sur les faits portés à la connaissance de la police ou de la gendarmerie. Il comprend 107 index regroupés par familles :
- Les atteintes aux biens
- Les atteintes aux personnes (ou atteintes volontaires à l’intégrité physique)
- Les infractions révélées par l’action des services
- Les escroqueries et infractions économiques et financières
- Les autres infractions
Figurent aussi des indications les mis en cause (mineurs, majeurs, hommes, femmes) ainsi que le taux de résolution. C’est sur ce document qu’est fondée cette fameuse politique du chiffre régulièrement dénoncée, avec raison. Par exemple, pour obtenir améliorer ses statistiques on préférera aller à la facilité en interpellant des petits dealers plutôt que de passer des mois à ferrer de gros poissons. Le quantitatif au détriment du qualitatif.
Le policier français qui patrouille dans son véhicule a-t’ il une réelle connaissance de son secteur ? A priori on serait tenté de répondre par l’affirmative. Or, la seule connaissance géographique ne suffit pas, pas plus que celle des divers quartiers où cela bouge. C’est de l’information pauvre, car incomplète. Son homologue anglo-saxon dispose depuis un peu plus de trente ans d’outils qui lui permettent d’appréhender correctement le secteur qui lui a été assigné. Il connait le pourcentage de chômeurs, de parents isolés, de mineurs, de délinquants, etc. Ces informations lui sont données par le terminal embarqué. Il a également accès au déroulement en temps réel des crimes et délits qui se déroulent en ville via un logiciel de crime mapping qui lui indique la localisation des « hot spots ».
Par ailleurs, il en est encore à ce qu’on appelle la patrouille de surveillance aléatoire, en dépit du fait que le monde entier que cela ne sert à rien, et ce depuis 1972, année de l’expérience de Kansas City. Dans un souci d’efficacité et de bonne utilisation des fonds publics, il s’agissait de vérifier si la patrouille aléatoire avait un impact sur l’activité délictueuse ainsi que sur le sentiment d’insécurité. Pour ce faire, on divisa la ville en trois secteurs :
- Le premier où rien n’a été changé aux pratiques habituelles
- Le second où les rondes, patrouilles, îlotage ont été supprimés, la police n’intervenant plus que sur appel.
- Le troisième où les rondes, patrouilles, et îlotiers ont été doublés.
L’expérience dura une année entière du 1er octobre au 30 septembre. Le résultat surprit tout le monde : le sentiment d’insécurité ne s’était pas trouvé modifié par quartier, pas non plus l’activité délictueuse. Clairement, la patrouille aléatoire ne sert à rien. Elle mobilise un véhicule et plusieurs fonctionnaires alors que la probabilité pour que la patrouille se retrouve face à un délinquant est infime. A partir de cette expérience, la police se lança dans des investissements technologiques lui permettant d’orienter les patrouilles de manière préventive en cartographiant l’évolution de la délinquance, non seulement par types de délits mais également leur progression géographique respective. Petit bonus, l’expérience montra de manière inattendue un facteur qui influait sur le sentiment d’insécurité de la population : la qualité de l’accueil. Si elle était exécrable, ce sentiment allait croissant, et inversement
Ce type d’expérience parmi des milliers d’autres met en lumière la pauvreté de la sécurité en France. Elle n’est pas du fait des fonctionnaires eux-mêmes qui sur le terrain font le maximum avec les moyens qui leurs sont donnés. On ne peut pas en dire autant de la machine républicaine qui considère la sécurité comme sa chasse gardée. De fait, il n’y a aucune recherche universitaire libre permettant l’évaluation des méthodes utilisées et l’expérimentation de possibles pistes. Au mieux, il existe une recherche fonctionnarisée conduite par des sociologues et des crimino-sociologues qui ne se risqueront jamais à aller contre la doxa jacobine. Quelques-uns s’y sont essayés, ils ne travaillent plus en France, lassés par l’aveuglement idéologique qui privilégie l’idée au pragmatisme. Nous en payons tous le prix chaque jour.
Pascal Cambon