La Fédération Nationale Catholique : un exemple d’action sociale au XXe siècle
Nous republions ici, avec l’aimable autorisation de l’auteur, un article de la dernière revue « Le Sel de la Terre » n°130 de décembre 2024.
« Le Sel de la Terre » est une excellente revue catholique de sciences religieuses et de culture chrétienne tenue par les pères dominicains d’Avrillé. La revue souhaite travailler au bien commun de la Tradition catholique, sous l’égide de St Thomas d’Aquin. Visitez leur site pour plus d’informations : http://www.seldelaterre.fr
La Fédération Nationale Catholique du général de Castelnau
par Martial François
« DIEU, FAMILLE, PATRIE », « Catholique et Français toujours ! » : tels sont les mots d’ordre du général de Castelnau – l’un des grands chefs militaires de la Grande Guerre – qui s’efforce d’unir, dans la Fédération Nationale Catholique (F.N.C.) qu’il fonde en 1924 et qu’il dirige jusqu’à sa mort en 1944, sa foi catholique et sa ferveur patriotique.
Cette organisation, aujourd’hui totalement méconnue, joue un rôle considérable durant l’entre-deux-guerres, puisqu’elle représente le mouvement officiellement reconnu par la hiérarchie ecclésiastique pour grouper l’ensemble des hommes catholiques.
Nous présenterons tout d’abord la F.N.C. et son œuvre, puis nous verrons en quoi elle a échoué, en vue d’en tirer une leçon pour aujourd’hui.
Nature et organisation de la F.N.C.
La F.N.C. est créée en 1924 pour faire échec au programme anticlérical du Cartel des Gauches *, qui a décidé d’introduire les lois laïques en Alsace et en Moselle, régies par le Concordat de 1801. La rapidité avec laquelle elle se constitue prouve qu’elle répond à une attente **.
La position de la F.N.C. est définie dès son assemblée générale constitutive : la F.N.C. ne constitue pas une association qui réclamerait comme telle sa place sur le terrain électoral et parlementaire, elle n’est pas non plus un groupement assimilable aux œuvres strictement spirituelles placées sous la direction exclusive et directe des prêtres et des évêques. Non, le terrain de la F.N.C. est celui de l’action civique catholique : il ne s’agit pas de créer un parti catholique, mais de grouper les catholiques français divisés par des sensibilités politiques diverses, puisque certains sont monarchistes et d’autres républicains, en une force compacte et disciplinée capable de mener un combat efficace contre les doctrines antichrétiennes, condamnées par les souverains pontifes : communisme, socialisme, libéralisme. Surtout, il s’agit de lutter contre la franc-maçonnerie, pouvoir occulte qualifié de « contre-Église » et d’ « anti-France ».
Pour encadrer et former ses 2 500 000 adhérents, la F.N.C. possède une organisation fortement structurée, très hiérarchisée et calquée sur celle de l’Église. A la base, on trouve les Unions paroissiales et les Unions cantonales ; au-dessus, des Ligues diocésaines – Ligue des catholiques du Rouergue, Ligue des catholiques de l’Anjou, par exemple. Au sommet, se place la Fédération Nationale Catholique elle-même, intégrée en 1931 à l’Action Catholique Française, avec la Ligue Patriotique des Françaises. Les responsables du mouvement catholique sont proches des milieux royalistes : ainsi, le général de Castelnau est issu d’une vieille famille légitimiste ; son dauphin, Jean le Cour Grandmaison, est député royaliste de la Loire-Inférieure ; Xavier Vallat, est membre de l’Action Française. De même, le général de Brantes, qui dirige la F.N.C. dans le diocèse de Blois, intervient en 1928 par une lettre à Mgr Audollent pour lui demander de se montrer indulgent envers le journal local d’Action Française. L’aumônier général de la F.N.C. est le R. P. Janvier, dominicain.
L’œuvre de la F.N.C.
Défendre la religion catholique persécutée : tel est le premier objectif de la F.N.C. Cette mission de combat est celle qui obtient les résultats les plus immédiats et les plus visibles : c’est sur elle que la F.N.C. bâtit sa réputation. Par les imposantes démonstrations de force – manifestations, pétitions – qu’elle organise dans toute la France, regroupant des dizaines de milliers de fidèles catholiques, la F.N.C. parvient à contraindre les forces de gauche à renoncer à leurs funestes décisions : projet d’introduction des lois laïques en Alsace et Moselle en 1924 ; suppression des émissions religieuses sur Radio-Paris en 1934, etc. Ces démonstrations de force sont destinées, d’une part, à montrer à l’ennemi socialiste et communiste la détermination des catholiques et la menace qu’ils peuvent représenter en cas de guerre civile et, d’autre part, à inciter les libéraux à se montrer conciliants (aux élections législatives de 1929, la F.N.C. obtient un engagement écrit à soutenir son programme à l’assemblée, de la part de 277 députés, soit 44 % des élus).
La F.N.C. ne se contente pas d’un combat défensif ; elle passe aussi à l’offensive en menant une action de reconquête intellectuelle :
– par ses journées d’études, comme celle des 26 et 27 octobre 1936 sur le thème du communisme et de la rénovation corporative à lui opposer ;
– par ses conférences, en moyenne 15 000 par an ;
– par ses journaux, comme l’hebdomadaire France Catholique et le mensuel Credo ;
– par ses brochures, notamment celles d’A. G. Michel, La dictature de la franc-maçonnerie en France et La France sous l’étreinte maçonnique, et de Georges Viance, Faillite du communisme soviétique et Un ordre corporatif français.
Grâce à cet effort de diffusion des idées catholiques, les catholiques français connaissent la doctrine politique et sociale de l’Église – défense de la mère au foyer, de l’école catholique, de l’organisation corporative de la société, patriotisme – et un certain nombre de francs-maçons ouvrent les yeux et commencent à quitter les loges.
L’action sociale est le troisième volet de l’œuvre accomplie par la F.N.C., notamment dans le domaine familial : la F.N.C. apporte son soutien matériel à la création des assurances sociales et des allocations familiales, dans un esprit catholique ; en 1934, elle prépare la constitution des Radio Familles qui deviennent des associations puissantes.
Préparer l’État nouveau : tel est le quatrième axe de l’action de la F.N.C, qui mène une réflexion dans le domaine législatif, grâce à des spécialistes et des juristes catholiques connaissant bien la doctrine politique et sociale catholique (en 1936, Jean le Cour Grandmaison et Xavier Vallat déposent ainsi à la Chambre un plan complet d’organisation corporative de l’économie française).
Le point faible de la F.N.C.
Le seul véritable point faible de la F.N.C. fut son incapacité à former une élite de cadres contrerévolutionnaires catholiques nombreux. Ainsi, sous l’État français, la F.N.C. n’a pu fournir qu’un nombre très faible de cadres catholiques au nouveau régime, qui eut alors recours à des technocrates, parfois francs-maçons. Un projet avait été pourtant mûri à la fin des années 1930 par l’Abbé Choulot, curé de Montalzat, qui avait réuni une documentation abondante, afin de mettre sur pied une sorte d’école de cadres de l’Action Catholique Française, formés à la doctrine politique et sociale de l’Église. Mais ce projet n’aboutit pas durant l’entre-deux-guerres. Ce n’est qu’en 1946 que ce projet est repris par Jean Ousset, avec le Centre d’études critiques et de synthèse, qui devient en 1949 la Cité Catholique (Jean Ousset avait bien connu l’Abbé Choulot dans les années 1935-1939). Ce point est essentiel : toute organisation catholique, pour être un utile instrument de la Providence divine, doit consacrer une partie importante de ses efforts en termes de personnes et de moyens financiers, à cette tâche – certes peu visible immédiatement – de formation rigoureuse et approfondie de cadres à la doctrine politique et sociale catholique.
Conclusion
Le bilan de l’action de la F.N.C. est positif : d’une part, elle a su mobiliser efficacement les catholiques et elle a représenté une force de dissuasion efficace (le Front Populaire n’essaiera pas en 1936 d’introduire les lois laïques en Alsace et en Moselle, ni de revenir sur la loi anti-avortement de 1920 votée par le Bloc National). D’autre part, elle a réalisé un important travail de diffusion et d’application de la doctrine sociale catholique. La F.N.C. fut vraiment l’Action catholique voulue par saint Pie X *, c’est-à-dire une œuvre de mobilisation des catholiques autour de la défense religieuse et de l’action civique et sociale. Par son action, elle est parvenue à faire en sorte qu’un peu partout, les forces révolutionnaires se heurtent à une résistance naturelle, rendant plus difficile, plus lente, plus harassante, leur progression.
Malgré son point faible dans le domaine de la constitution d’une élite de cadres, son exemple nous montre que, s’il n’est pas possible dans l’immédiat de reconquérir le pouvoir politique central, on ne doit pas pour autant déserter le terrain de la vie publique (sans se faire d’illusion certes sur la possibilité de réformer globalement le système : seule une rupture claire avec celui-ci permettra un renouveau). Il importe, autant qu’il nous est possible, de nous organiser, de nous former doctrinalement et d’agir avec méthode, de façon coordonnée et bien préparée, en vue de préserver certains points d’appui, pour permettre aux familles qui le souhaitent de vivre dans la fidélité à leur héritage catholique et français, en attendant l’indispensable restauration politique à la tête de l’État, qui viendra couronner les actions menées et qui interviendra selon des temps et des circonstances qui n’appartiennent qu’à Dieu.
Notes de bas de page :
*En effet, la gauche radicale et socialiste, victorieuse aux élections législatives de 1924, veut reprendre la politique de persécution contre l’Eglise catholique, comme au début du siècle.
**La F.N.C. est l’aboutissement d’un grand mouvement de regroupement des forces catholiques de France, commencé avant la guerre de 1914-1918. Pourtant, la première tentative d’Union Catholique n’atteint entièrement pas le but escompté, car la guerre vient briser net l’élan mobilisateur. Et il faut attendre 1924 pour assister à nouveau à un effort d’organisation du laïcat chrétien.
***La définition de ce que doit être l’Action catholique a été donnée par saint Pie X dans Il fermo proposito.
Bibliographie sommaire
sur la Fédération Nationale Catholique :
– Francis Bergeron et Philippe Vilgier, Les Droites dans la rue : nationaux et nationalistes sous la troisième République, Bouère, Dominique Martin Morin, 1985, 176 p.
– Georges Viance, La Fédération Nationale Catholique, son passé, son avenir, Paris, Fédération Nationale Catholique, 1936, 110 p.
– Recension du livre de B. Chenu : Castelnau, « le quatrième maréchal », 1914-1918 (L’Artilleur, 2021), parue dans Le Sel de la terre 128, p. 178-184.
Source : https://www.seldelaterre.fr/articles/sdt130/un-exemple-d%E2%80%99action-civique-catholique-%3A-la-f%C3%A9d%C3%A9ration-nationale-catholique-du-g%C3%A9n%C3%A9ral-de-castelnau