La mesure, tout dans la mesure, par Paul-Raymond du Lac
La sainteté est souvent caractérisée comme étant une stabilité dans la vertu, qui tombe de moins en moins dans le péché, et qui suit une pente ascendante, s’élevant toujours plus haut dans la vertu.
La mesure et l’équilibre sont ainsi des aspects essentiels de la vertu : comme dit saint Thomas d’Aquin la vertu est un sommet entre un défaut et un excès, constituant tout deux des vices. Ainsi l’obéissance s’oppose tant à la rébellion (manque d’obéissance) qu’à l’obéissance aveugle (excès d’obéissance).
Cette sagesse vient déjà dans l’ancien testament, où nous trouvons le proverbe suivant :
«Celui qui mange beaucoup de miel ne s’en trouve pas bien, de même celui qui veut sonder la majesté divine sera accablé de sa gloire. » (Proverbes, 25, 27)
«As-tu trouvé du miel ? n’en mange que ce qui te suffit, de peur qu’en étant rassasié tu ne le vomisses. » (Proverbes, 25, 16)
Au niveau naturel, c’est évident : la gourmandise est un des vices qui se répercute le plus rapidement et facilement sur l’équilibre corporel, et dont les conséquences très désagréables peuvent heureusement inciter l’homme adonné à ce vice à s’amender.
Ces deux versets possèdent pourtant un sens spirituel bien plus profond, que l’expérience chrétienne met en lumière assez visiblement : le miel, doux, évoque les choses de Dieu et la vérité divine. Elle peut aussi tout bonnement désigner, dans l’ordre humain, les connaissances en général accessibles à la raison humaine, du moins pour le vert 16.
Ce verset 16 semble aussi décrire ces « savants » qui à force de se gaver de connaissances inutiles ne cessent de les vomir avec suffisance, s’enfonçant dans un orgueil délétère et une connaissance stérile.
Ces deux versets néanmoins mettent en garde contre un péché encore plus grand : celui de vouloir sonder la majesté divine, c’est-à-dire de vouloir « saisir » et « comprendre » les mystères de Dieu, qui nous dépasse infiniment, avec notre petite raison humaine. Cela d’autant plus dans l’Ancien Testament où la grâce ne coule pas à flot, et où la raison humaine, si rarement surélevée par la grâce, ne peut que se fourvoyer dans la tentative de « comprendre » Dieu.
Cela veut-il dire qu’il ne faut pas trop chercher à connaître Dieu ? Pas du tout : il s’agit juste d’éviter de vouloir « sonder », et donc réduire Dieu à notre petite raison humaine, notre si limitée intelligence, ni capacités rabougris. La Révélation nous enseigne des mystères à contempler, pour nous préparer à la vision béatifique éternelle, et non pas à comprendre. Dieu le père a envoyé son Fils pour nous clarifier encore cette Révélation, par l’action concrète de Jésus dans son enseignement, ses miracles et la Croix, ainsi que tous les exemples qu’il nous laisse.
La Révélation est ainsi là pour nous aider à contempler, contemplation qui nous aide à mieux connaître Dieu pour mieux l’aimer, mais non pas « à le mettre dans une case ». Plus on connaît Dieu plus on l’aime, mais le connaître ne signifie pas le sonder, comme si c’était nous Dieu, ni chercher à le disséquer, ce qui est impossible pour notre raison ; les théologiens, aidés par la grâce, et laissant tout à la Révélation, ne peuvent que mieux exprimer ces mystères, les éclairer de la lumière divine pour mieux affermir notre Foi, c’est-à-dire notre assentiment, et donc notre confiance, à ce que Dieu, qui ne peut se tromper ni nous tromper, nous dit sur lui, et nous dit sur notre destin terrestre et éternel.
Les proverbes d’ancien testament annoncent déjà cette économie catholique du Nouveau Testament, et nous préviennent aussi du danger terrible de ceux qui se gavent de miel, c’est-à-dire qui réduisent Dieu à leur petite mesure : ceux sont en pratique les innombrables hérésiarques, qui ont fait tant de mal à la majesté divine en ébranlant la Foi des chrétiens dans les âges, et tous ceux qui se mettent avant Dieu. L’hérésiarque, pour oublier son ignorance ultime des choses divines, comme les autres hommes, au lieu de se confier aux mystères et de les contempler, les écorche, les massacre, les réduit à sa mesure et les dénature, s’illusionnant lui-même afin de croire qu’il maîtrise Dieu…
Rien de nouveau sous le soleil : le monde moderne n’est rien d’autre au fond qu’un monde gavé de miel, qui ne cesse de vomir, et qui veut sonder la majesté divine à travers aussi sa Création qu’elle divinise… Mais cette modernité à vomir ne cesse d’être accablé par la gloire de Dieu, car derrière la fatuité et l’orgueil des modernes, il n’y a que la misère bien piteuse de l’homme blessé par le péché.
Alors finissons-en avec cette suffisance, et revenons aux pieds de Dieu, humblement, et de son lieutenant sur terre, le Roi…
Pour Dieu, pour le Roi, pour la France
Paul-Raymond du Lac