Apprenons à faire partie d’un groupe, par Rémi Martin
Le plus grand ennemi de la restauration est à n’en pas douter l’esprit d’indépendance et une certaine habitude pratique « de n’en faire qu’à sa tête ». Le monde contemporain est en fin de compte le monde institutionnel qui enferme chaque individu dans ce carcan d’égoïsme pratique et d’indépendance forcée.
Ce mal nous atteint tous et rares sont les secteurs de la société qui ne sont pas profondément atteints, et encore plus rares les personnes qui ont pu grandir sans ces influences délétères. Au point que, malheureusement, nous avons tous peu ou prou intériorisés cet esprit d’indépendance.
Il se matérialise par exemple par l’habitude délétère de notre société moderne de toujours faire bouger, de faire changer, de faire déménager. A l’entreprise, on fait changer de poste, à l’université, d’études, dans le monde physique, on déménage, dans les loisirs, on change de club – et si le club ne change pas, comme ceux sont des associations, les gens changes toujours, et les chefs aussi. Les curés mêmes changent trop souvent.
Même la famille, ce bastion, normalement, de la stabilité inchangeable est aujourd’hui complètement mouvante, recomposée, décomposée, déchirée, massacrée.
L’instabilité est partout, et le fait de ne pas être obligé de devoir vivre avec sa famille – qu’elle soit de sang, spirituel ou politique – rend très difficile la pratique de la vertu.
Pourquoi ?
Car on sait bien que devoir supporter sa famille (dans tous les sens charnels, spirituels ou politiques) est le début du travail et du combat pour la vertu : être patient avec les défauts des autres, être patient avec ses propres défauts, que la communauté de vie met forcément en lumière, se faire violence pour lisser les explosions de ses passions, et pour apprendre d’autre part à agir au-delà de nos répugnances ou nos attirances naturelles. La charité s’apprend très vite en famille. Et la société traditionnelle apprenait cette charité par la multiplicité des sociétés-familles : la famille de sang évidemment, mais aussi la paroisse, puis l’atelier, ou la boutique, ou l’office peu importe.
Cette vie politique à proprement parler est d’autant plus importante pour apprendre la vertu qu’elle apprend aussi par définition la nécessité de l’autorité et sa qualité bienfaisante : dans une famille sans autorité c’est tout de suite l’enfer… La société démocratique l’a bien compris : elle dissout l’autorité pour rendre toute vie politique un enfer, et faire croire que cette vie politique bien ordonnée est mauvaise…chacun joue « solo » et joue pour soi. La société républicaine donne de plus des tentations horribles en offrant à tout moment des possibilités de s’échapper : de faire comme si ces prochains qui nous sont proches ne comptent pas. Après tout, du fait d’un déplacement professionnel ou autre, ou du fait juste de sa propre décision d’éviter le prochain – dans des villes immenses qui rendent ce genre de fuite très aisée – on peut ne plus voir à vie telle personne… et faire comme si nous n’avions plus de devoirs envers elle. Encore des facteurs ralentissant la restauration et la pratique de la vertu.
Il faut pourtant apprendre à faire avec ce que l’on a. Et il faut apprendre à respecter l’autorité, et à se dire, en son for intérieur, je me fais « homme de telle personne », et de jouer le jeu de la vie politique : il faut savoir dès le départ qu’il n’y a pas de magie, que personne n’est parfait dans ce monde – ni même les saints-, que la nature est blessée, et que donc forcément il y aura accrochages et épreuves, et que tout ne se passera pas bien. Tout dépend de nos vertus : plus nous serons vertueux, plus les épreuves seront surmontées avec facilité, et permettront au contraire d’affermir cette amitié politique et spirituelle (les deux étant nécessaires pour faire vraiment une société solide).
Amitié spirituelle et politique. Dans la famille, le sang doit être sanctifié par la vie de prière commune, et scellé par l’acte politique (petites attentions, entraide gratuite sans attente de retour, etc). Dans l’amitié politique sans le sang aussi, il faut tout affermir par la prière commune, et les actions communes. Idem en entreprise, et encore plus en paroisse. En paroisse c’est encore plus important : comme l’objet de la paroisse est avant tout le culte divin et le salut des âmes, il pourrait sembler évident que la ^prière est commune ; en fait non, on pourrait facilement se laisser aller à une sorte de facilité, voire de confort, en croyant que cette prière commune est bien faite car elle est première dans la paroisse. Pas forcément ! Comme cette prière est centrale, il faut justement redoubler d’effort pour cultiver l’action commune (dans la prière ou autre) et les attentions montrant la charité en action les uns et les autres – surtout qu’en paroisse comme ailleurs, par force, on a des gens qui nous sont beaucoup moins compatibles : évertuons-nous à nous occuper d’eux, pour notre mortification, notre édification et notre progrès.
L’autorité dans notre société moderne est la réalité la plus attaquée.
Alors pour restaurer soyons des plus obéissants face à toutes les autorités réelles qui ne disparaissent pas. Et soyons bons chefs quand nous sommes dépositaires de l’autorité – tout en sachant la faire respecter quand il le faut, avec tact et douceur, mais avec fermeté.
Laissons la parole à Richelieu, qui savait ce que cela voulait dire d’être chef :
« Il faut vouloir fortement ce que l’on a résolu, puisque le seul moyen de se faire obéir, est qu’ainsi que l’humilité est le premier fondement de la perfection chrétienne, l’obéissance est le plus solide de celle de la sujétion si nécessaire à la subsistance des états que si elle est défectueuse ils ne peuvent être florissant. »
L’humilité est le fondement de la perfection chrétienne.
L’obéissance est le fondement de la perfection politique.
Appliquons-nous à pratiquer dans nos vie quotidiennes, et c’est déjà un pas pour la restauration.
Pour Dieu, pour le Roi, pour la France
Rémi Martin