L’ivresse du savoir, par Paul de Beaulias
On pourrait croire que l’ivresse ne vient que de l’alcool, que l’ivrognerie n’est que l’attachement inconsidéré à la boisson.
Que nenni.
Il existe de nombreuses formes d’ivrognerie, et d’ivresses subséquentes, dont celle qui a pour objet la boisson alcoolisée. Quoique toujours racine de nombreux péchés, et débilitante pour le travail de la vertu, ce n’est peut être que la moindre de ces ivresses, sur le plan des dégâts causés à l’âme.
J’ai en effet été témoin d’une forme d’ivrognerie tout à fait particulière : l’ivresse du savoir. Et cela en monde païen.
Cette ivresse conduit aux mêmes désordres que les autres ivresses, quoiqu’elles revêtent des formes différentes, selon l’objet.
L’homme ivre du savoir va tout faire pour s’y noyer, dans sa spécialité. Il est certainement malheureux habituellement, et comme l’ivre de vin, l’ivre de savoir cherche un doux oubli dans l’étude et la recherche. Le vide ressenti après ces si courts moments de relâchement est d’autant plus sidéral que ne le sont la subtilité et la noblesse de l’activité intellectuelle.
Ces professeurs païens des universités emmènent leurs élèves dans un hôtel de villégiature dans la montagne japonaise, les faisant profiter de leurs privilèges acquis par de nombreux sacrifices. Cette façon de faire est assez commune au Japon.
Ainsi les désordres vont commencer.
D’abord, on attribue deux chambres pour quatre personnes ; mais au lieu d’une répartition deux par deux, le professeur a sa chambre pour lui, et l’un des élèves, vieil homme de 75 ans, doit dormir avec deux jeunots de 25 et 34 ans (dont votre serviteur). Ce vieil élève a des petites manies en série, il allume la télévision au moindre temps mort… Ce n’est pas le plus agréable des séjours, ni pour lui, ni pour les autres.
Le professeur, ivre de savoir, fait son possible pour retenir son ivresse…mais sans succès. Les trois élèves vont présenter les fruits de leurs recherches sur trois jours : l’un le premier, l’autre le second et un autre le troisième.
Le premier, le vieil homme, doit faire une répétition de 20 minutes pour sa présentation lors d’un colloque quelconque. Ainsi, sa présentation, la plus courte et normalement la plus aboutie, se fait le premier jour à partir de 16h… mais les 20 minutes deviennent plus de 3 heures, sans vraie justification.
Toutes ces présentations se font dans la salle de tatamis de la chambre, et on a tous bien mal aux jambes à l’issue des 3 heures… mais qu’à cela ne tienne, si c’est pour la science !
Passons sur le dîner pris à l’extérieur de l’hôtel pour manger moins cher, malgré un excellent restaurant dans l’hôtel.
Le lendemain part très lentement. Il se trouve en effet que j’ai déçu mes collègues quand ils ont compris que je me couchais tôt et que je me levais tôt, là où tous commencent à être actifs et efficaces à partir de 20h, en se couchant rarement avant minuit… Passons. Il faut attendre 8h30 pour prendre le petit-déjeuner car le caprice du professeur nous impose d’attendre que sa série du matin – ridicule à souhait – se termine…
Il nous prévient ensuite qu’il vaut mieux bien manger au buffet du petit-déjeuner…car il est peu probable que l’on mange à midi… et il a tenu sa promesse.
Vers 10h30, le second élève présente. Vers 12h30, clairement, tout le monde décroche, le présentateur est aussi fatigué… je propose de faire une longue pause et de reprendre dans l’après-midi… que nenni, après 10 minutes de pause, nous sommes repartis pour 3 heures de présentation aussi longues qu’inefficaces, le grand professeur comme les autres ne parvenant à tenir l’attention si longtemps.
Mais c’est l’ivresse du savoir, il aime être « à fond » pour le savoir, en l’imposant à ses élèves aussi, même si cela est ridicule et ne donne que peu de résultats – et empêche de prendre du temps pour lire par exemple.
Résultat des courses, vers 16h30, nous sommes enfin libérés de ce purgatoire, complètement lessivés et affamés.
Et voilà que le professeur nous fait comprendre qu’on va aller manger vers 17h30… et reprendre une séance après, même si visiblement le troisième présentateur n’a pas envie de présenter la nuit, sachant qu’en plus il était prévu que ce soit le lendemain.
Mais bref, il faut bien céder à l’ivresse du savoir.
Au passage, l’ivresse tout court était aussi présente, car dans l’esprit païen habituel, le vieil élève se mettait une bonne cuite chaque nuit. Le premier jour il s’est retenu, car un catholique était là, mais pas pour longtemps. Au Japon, il faut savoir “se mettre la mine” avec les collègues pour relâcher la pression… là où en France, on aurait honte de faire cela, surtout à cet âge avancé.
Bref, après un repas sympathique, le troisième présentateur présente, légèrement forcé, mais il décide d’abréger et de ne tenir que les propos liminaires : commencé à 19h, il coupe court à la présentation et aux discussions à 21h30.
Ouf, quelques heures de sommeil sauvées !
Le troisième jour, tout commence encore plus tard.
Et le professeur promet un déjeuner…qui ne viendra jamais, car encore une fois, le repas sera sauté pour l’ivresse du savoir…
Pire, encore plus de 4h, qui ont failli nous mettre en retard pour le train.
Et dernier caprice, on l’accompagne chercher des légumes du coin…
Je ne vous dis pas la sinécure ! Nous voilà enfin libérés une fois dans le train, et lessivés.
J’ai pu faire toutes mes prières et dévotions sans être malséant, mais que c’est désagréable… de même que de toujours devoir faire attention à ce que l’on dit.
Il est assez triste de voir ce genre d’ivresse, qui de plus s’impose aux autres, comme si l’ivrogne d’alcool forçait les autres à boire pour ne pas se sentir trop seul.
Résultat des courses, j’ai attrapé un sacré rhume.
Avouons que ces païens se perdent dans des passions, plus ou moins subtiles, mais toujours délétères : j’ai été forcé à jeûner, veiller, à faire de nombreux sacrifices – que j’ai détourné pour Jésus – mais faits au nom de la science…
Et tout ce désordre amène des conséquences : rhume, inefficacité, oubli du souci de la vérité, grossièretés et impolitesses derrière le vernis de la politesse japonaise…
Le monde païen est d’une tristesse terrible.
Vivement qu’ils se convertissent à Jésus !
Priez pour eux, chers lecteurs.
Pour Dieu, pour le Roi, pour la France
Paul de Beaulias