Assumer la royauté de Narnia : deux visions de la légitimité, par Augustin Marie Bréchard

« Bienvenue, prince, dit Aslan. Vous sentez-vous capable d’assumer la royauté de Narnia ?

• Je… je ne crois pas, Sire, répondit [Caspian]. Je ne suis qu’un enfant.

• Bien, dit Aslan. Si vous vous en étiez senti capable, cela aurait été la preuve que vous ne l’étiez pas.¹ » (C.S Lewis, Le Prince Caspian, 1951)

1. La légitimité selon la République

Depuis les élections européennes du 9 juin 2024 s’enchaînent les déclarations de nos personnalités politiques, connues ou inconnues du grand public, avec le même message : leur capacité à assumer « la royauté de Narnia », en l’occurrence le poste de Premier ministre de la République française. François Ruffin déclare : « Je m’en sens capable. Si jamais il y a un consensus qui devait aboutir à un nom, je suis prêt à prendre la place qu’on voudra pour transformer la vie des gens. »² Jordan Bardella, à vingt-huit ans, parle au futur, avant la déconvenue du second tour des élections législatives : « Comme Premier ministre, mon ambition sera de rétablir l’ordre.³ » Jean-Luc Mélenchon déclare sur LCI : « Je me sens capable d’être Premier ministre.⁴ » L’énarque Lucie Castets, inconnue des Français à la veille de son choix par le Nouveau Front Populaire, se dit « déterminée à exercer [l]es responsabilités⁵ » de Premier ministre. Si nous avons le droit ce mois-ci à des déclarations aussi explicites, les fondements même de la démocratie reposent sur ce principe d’auto-détermination. Le seul fait de se présenter à des élections démocratiques revient à dire « je me sens capable. » Plus précisément, cela revient à dire « je me sens plus capable que mon adversaire. »

2. La logique du témoignage rendu à soi-même

Cette logique d’auto-proclamation est d’ailleurs contredite par le Christ dans l’Évangile selon saint Jean, au chapitre 5 : « Si c’est moi qui rends témoignage de moi-même, mon témoignage n’est pas véridique.⁶ » Au verset 34, il rappelle que « ce n’est pas d’un homme que je reçois le témoignage. » Ce n’est donc pas Jean le Baptiste, cité au verset 33, qui rend le témoignage du Christ légitime, mais c’est Dieu Lui-même. Notre situation politique souligne explicitement les fondements mortifères du régime de notre pays. Les déclarations politiques citées plus haut soulignent le fait que les candidats ne sont évidemment pas de droit divin, que leur témoignage n’est pas même rendu par d’autres hommes (comme c’est le cas pour l’Ordre du Mérite ou la Légion d’Honneur par exemple), mais qu’ils se rendent témoignage à eux-mêmes, qu’ils s’auto-proclament donc « capables d’assumer la royauté de Narnia. » C’est là une marque presque parodique de l’orgueil des tyrans, tant il lui manque flagramment la légitimité.

3. La légitimité de droit divin : la réponse de Caspian

La leçon que nous enseigne Aslan dans le Prince Caspian de C.S Lewis semble s’adresser directement aux personnalités politiques de notre République. À la question d’Aslan, qui peut certes paraître un peu piégeuse, Caspian avoue ne pas se sentir capable d’ « assumer la royauté de Narnia. » Dans les chapitres précédents, Caspian a pourtant connu l’orgueil et la concurrence jalouse avec le roi Peter, comme deux candidats agissant moins pour le Bien Commun que pour leur orgueil propre. Cependant, le voilà qui s’humilie devant Celui d’où vient toute autorité. Devant le Roi des Rois, même Caspian, pourtant devenu un prince vertueux en cette fin de roman, n’admet n’être « qu’un enfant. » C’est cette réponse qui, aux yeux d’Aslan, le qualifie pour « assumer la royauté de Narnia » car c’est elle qui le couronne par la plus belle des vertus politiques : l’humilité.

Conclusion

En France, le seul régime qui permet une telle humilité politique est la monarchie de droit divin, selon les lois fondamentales du royaume de France : la loi salique, et l’indisponibilité de la Couronne. Le roi « ne prétend à rien. Il est.⁷ »

Augustin Marie Bréchard