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La singerie du Bien, par le P. Jean-François Thomas (sj)

À moins d’être aveugle, il est désormais bien difficile d’ignorer le règne du mensonge qui nous oppresse et dans les nasses duquel nous sommes tout entortillés et prisonniers. Cependant, les écailles tombent bien lentement de nos yeux puisque, farce démocratique après élection, la majorité de notre peuple continue d’épouser les mêmes mirages ressassés et éculés. La voix tonitruante des prophètes n’a servi de rien, pas plus que la pédagogie du Christ nous avertissant de la multiplication des trompeurs. Les millénaires et les siècles passent et le mouvement se précipite, nous entraînant irrésistiblement vers le gouffre du malheur. Le leurre est efficace car, sans jamais faiblir, le mensonge se revêt des apparences du Bien. Les méthodes ainsi que les apparences changent au cours de l’Histoire des hommes, mais le contenu est toujours aussi empoisonné. Il y a presque trente ans de cela, Philippe Muray publiait son Empire du Bien qui n’a pas pris une ride : « À chaque siècle son Tartuffe. Le nôtre a un petit peu changé. Il s’est élargi, étoffé. Il est membre fondateur de plusieurs SOS-Machin, il a fait les Mines ou l’ENA, il vote socialiste modéré, ou encore progressiste-sceptique, ou centriste du troisième type. Il peut se révéler poète à ses heures, même romancier s’il le faut, mais toujours allégorique, lyrique poitrinaire aujourd’hui comme il a été stalino-lamartinien dans les années 60-70, sans jamais cesser d’être langoureux. Le nihilisme jadis s’est porté rouge-noir ; il est rose layette à présent, pastel baveur et cœur d’or, tarots new age, yaourts au bifidus, karma, mueslis, développement des énergies positives, astrologie, occulto-cocooning. Plus que jamais “faux-monnayeurs en dévotions” (Molière), sa “vaine ostentation de bonnes œuvres” (encore Molière) ne l’empêche pas, bien au contraire, “d’en commettre de mauvaises” (Molière toujours). Partisan du Nouvel Ordre américain, ça tombe sous le sens, c’est-à-dire de la quatrième grande attaque de la Réforme à travers les siècles (après Luther, après 89-93, après Hitler), il ne comprend pas les réticences de certains envers les charmes protestants. Sa capitale idéale est Genève, bien sûr, “la ville basse du monde” comme disait Bloy, “le foyer de la cafardise et de l’égoïsme fangeux du monde moderne”. »

Bruxelles est la petite fille obéissante de Genève et cette dernière n’est plus qu’un squelette symbolique mais fédérateur pour ceux qui mènent le monde en multipliant leurs bonnes œuvres de mécènes, de gardiens de la nouvelle morale, de protecteurs de la démocratie mondiale. Hommes qui demeurent souvent dans l’ombre et qui poussent sous les projecteurs les marionnettes politiques qu’ils dirigent. Nous assistons bien à la victoire de ce « Parti Dévot » nouvelle mouture qui s’offusque désormais devant un sein qui serait encore caché alors que la liberté a brisé les chaînes du vieil homme. Il singe le christianisme, à rebours, mettant en pratique ce que le XIIe siècle avait essayé de créer, une Cité de Dieu, détruisant cette dernière avec une mine gourmande et la remplaçant par une instance mondiale. Le Bien des peuples est désormais les lois contre la vie humaine, les droits de toutes les minorités détraquées, la reconnaissance faciale et l’intrusion dans la vie privée, le bourrage de crâne par les réseaux sociaux, la manipulation de l’information, le féminisme castrateur, le déconstructivisme derridien, la transparence érigée en vérité, l’amoncèlement des lois et des décrets, l’indifférenciation sexuelle, le vote sacralisé, les vacances, les jeux et les fêtes en cascade, le mythe climatique et écologique, la protection des délinquants et des criminels, la religion mondiale etc. Les idoles sont nombreuses et se multiplient, les seules à se perpétuer et à se reproduire au sein d’un monde épuisé par ses excès, ses bêtises, ses erreurs et ses péchés. Dieu s’efface au profit de la Terre Mère. Tocqueville avait déjà noté que l’esprit des peuples démocratiques penchait naturellement vers le panthéisme. Nous y sommes enlisés jusqu’à la racine des cheveux, y compris parfois au sein le plus officiel de l’Église.

Certains s’étonnent des options imposées par l’État, parlant de censure ou de restriction des libertés individuelles (nouvelles entités sacrées). Or nos politiques sont, pour le coup, logiques avec eux-mêmes : ils veulent nous convaincre non seulement qu’ils nous proposent le Bien mais qu’ils sont le Bien lui-même, parfait, réalisé. Celui donc auquel il prendrait la fantaisie de refuser une telle aubaine ne peut qu’être montré du doigt, marginalisé, rééduqué, persécuté. Un régime politique qui s’est construit dans le rejet et la destruction de l’ordre ancien fondé sur la Loi divine ne peut être que simiesque lorsqu’il reconstruit, tant bien que mal, les institutions nécessaires à la marche d’un pays. Il restaure des apparences, -et il les aime ô combien ces apparences dont celles des dorures des palais confisqués et occupés-, mais il est maigre de contenu puisque l’essence des choses lui est insupportable et intolérable.

Le règne de l’Antéchrist s’instaure lentement et utilise bien des acteurs. Une des caractéristiques de l’Antéchrist selon Vladimir Soloviev est qu’il se présente d’abord comme un bienfaiteur de l’humanité, et non point comme un sauveur ou un réformateur. Il donne l’impression d’être bon et de vouloir le bonheur de tous, et pourtant, il déteste Dieu et veut prendre la place du Christ comme Fils bien-aimé en se donnant pour père Satan lui-même : « Il (l’Antéchrist) s’explique tout entier par un seul proverbe, bien simple d’ailleurs : “Tout ce qui brille n’est pas or”. Cette contrefaçon du bien a autant de brillant que l’on veut, mais de force essentielle, point. » (Court récit sur l’Antéchrist) Seul Dieu est essentiellement bon, et les saints qui, à son image, essaient de correspondre à leur véritable nature, s’avancent peu à peu vers cette essence. L’Antéchrist règlera tous les problèmes politiques et sociaux par une gouvernance universelle avant de s’attaquer au religieux pour dissoudre l’Église catholique dans une croyance mondialiste. Au milieu du XIXe siècle, John Henry Newman, se penchant lui aussi sur ce que serait l’Antéchrist, trouve chez les Pères de l’Église des éclaircissements, et notamment l’affirmation que les États nés pour préparer ce chemin de perdition seront des démocraties. Et Newman ajoute : « J’estime que ceci est particulièrement remarquable, considérant l’état présent du monde, la tendance générale d’aujourd’hui à la démocratie, et l’exemple de démocratie qui nous a été proposé ces cinquante dernières années en France. » (L’Antichrist) De tels régimes haïssent le culte au vrai Dieu et instaurent toujours leur propre culte, un « culte étranger », – pour reprendre l’expression du prophète Isaïe. L’athéisme révolutionnaire ne manqua point d’organiser une religion démocratique singeant la vraie Foi, tout comme les loges maçonniques développèrent des rituels utilisant des symboles de la religion révélée, car le Malin et ses sbires ne sont pas capables de créer, mais simplement d’imiter, en d’horribles et terrifiantes grimaces. Philippe Muray note : « Dans notre Pays des Merveilles, le Bien a non seulement recouvert le Mal, mais plus encore il interdit que celui-ci soit écrit, c’est-à-dire ressenti ou vu. » (L’Empire du Bien) Ce Bien officiel pervers interdit aussi que le Mal soit dénoncé par la parole. Le singe imite mais il ne parle pas et il fuit en hurlant à l’annonce de la Parole.

 

P. Jean-François Thomas s.j.

S. Jérôme Émilien, ste Marguerite

20 juillet 2024

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