Devenir propriétaire – être maître chez soi, par Paul-Raymond du Lac
Un bon chrétien ne peut que craindre la possession de grands domaines, de belles maisons et de grandes richesses, car il connaît sa faiblesse et il sait que sans l’aide de Dieu il aura tôt fait de s’attribuer ses richesses à lui, alors qu’elles sont données par Dieu, de s’y attacher, au détriment du plus aimable être en ce monde, le bon Dieu, et de se laisser aller à ses passions diverses, de paresse, de pouvoir, de plaisirs…
Les religieux, eux qui tentent d’imiter autant que faire se peut la vie céleste déjà en ce monde, font vœu de pauvreté, et la raison est claire : outre que Jésus était pauvre lui-même (mais pas non plus sans rien posséder, son père putatif avait une maison, il avait une famille, un atelier, et certainement une bonne réputation dans son village ; en ce sens les ordres religieux comme les franciscains qui font vœu de pauvreté absolu vont, matériellement, plus loin que Jésus ; mais l’important est la pauvreté spirituelle, dont la pauvreté matérielle n’est qu’un aide pour son obtention, comme le Seigneur l’a montré ; « Jésus n’avait même pas de quoi reposer sa tête »), on sait que pour aider notre pauvre nature blessée à ne pas s’attacher aux choses de ce mondes, le plus simple est de s’en détacher par obligation.
Refuser la possession, ou du moins promettre la pauvreté, c’est se lier pour s’empêcher d’avoir même la tentation de s’attacher aux richesses de ce monde.
Le lien de possession est en effet comme exclusif, il incarne la puissance de celui qui possède sur le possédé, qui devient comme un instrument dans les mains du possesseur : nous les hommes avons la vocation d’être possédé par Dieu, et Dieu nous possède en effet, mais il est charitable et il ne veut pas nous forcer – sauf que si nous ne convertissons pas, nous tomberons sous sa puissante justice, et nous irons en enfer, déterminant pour l’éternité le joug servile provoqué par notre refus de l’aimer et d’être emprisonné dans l’enfer ; inversement, si nous l’aimons, nous pourrons entrer dans sa gloire, et être complètement possédé par sa grâce dans les demeures du Ciel, château de charité.
Ainsi, un moyen expédient pour assurer le perfectionnement chrétien est bien le vœu de pauvreté, qui force à se détacher du monde.
Cela veut-il dire que la propriété est mauvaise en soi ?
Non, certes. Elle est même nécessaire. Car Dieu dans sa Sagesse a voulu que l’ordre politique, l’ordre parmi les hommes, imite son ordre providentiel et son ordre divin : il nous délègue ainsi une certaine puissance, et à chacun de façon différente en fonction de sa place et de son âge et de sa fonction dans la société. Il est naturel de posséder, et d’avoir dans ses mains certaines personnes et certaines choses : cela nous permet d’exercer à bon escient notre liberté, cela permet d’exercer aussi notre charité et produire de bonnes œuvres – plus on est puissant et riche, plus on peut œuvrer en bien, dans le domaine politique et matérielle (les religieux, eux, abandonnant les richesses temporelles, gagnent les richesses spirituelles, et deviennent si riches qu’ils parviennent à faire de grandes œuvres bonnes pour la conversion des âmes). En même temps, le maître, le propriétaire, celui qui possède même une chose infime, peut aussi mieux comprendre in fine la position de Dieu, et la valeur du sacrifice de Jésus sur la Croix : celui qui possédait tout, celui qui pouvait commander à tous, transformer les pierres en pain, faire cesser l’existence de ses pires ennemis juste par une pensée, et bien tout cela il ne l’a pas fait, montrant déjà qu’il nous aime : mieux, il a tout sacrifié pour nous, alors que nous ne le méritons pas du tout. Mieux : il s’est fait homme, mystère ineffable ! C’est comme si nous nous faisions ver de terre pour sauver les vers de terre…
Le commandement et l’autorité politique, en ce sens, sont très proches de la propriété et d’être maître chez soi : le dirigeant commande à ses subalternes, et les a sous sa puissance – il peut les forcer le cas échéant par la police, l’armée, la menace. Comme des parents sur des enfants, comme des maîtres sur leurs esclaves, comme un propriétaire sur ses richesses.
Mais alors comment être bon chrétien et maître chez soi ?
Il suffit d’imiter Jésus-Christ, et de savoir que nous ne possédons rien en propre, mais que Dieu nous délègue cette puissance, pour faire le bien, et pour le bien de ceux et ce qui est sous notre puissance.
Pour les choses matérielles, évidemment, elles nous sont données aussi pour notre perfectionnement et notre bien – mais même dans la relation politique, la puissance donnée aux chefs est aussi faite pour la perfectionnement personnel des chefs, en plus du devoir de perfectionner les subalternes. Mais même pour les choses matérielles, cette puissance est aussi faite pour s’occuper de ce qui nous est confié : s’occuper de la petite proportion de Création qui nous est donné, la parfaire par notre raison et notre travail. Regardez tous ces beaux paysages français par exemple, ou une belle maison : tout cela est dû au travail des humains, les maîtres par délégation de la Création, et tout cela est plus beau qu’à l’état sauvage. Dieu veut comme nous montrer ce qu’il fait lui-même dans nos âmes : comme nous sommes des cultivateurs de jardins, Dieu est le jardinier de nos âmes. Comme nous devons user de notre puissance avec raison, justice et charité, en connaissant et aimant ce qui nous est donné, Dieu agit en nous avec une délicatesse immense, sans que cela ne remette en cause sa toute puissance.
Les abus des pécheurs qui vont commencer à devenir tyrans en politique, mauvais maîtres à la maison, mauvais parents, ou destructeurs des choses matérielles qui leurs sont confiés, montrent et démontrent la réalité de cette puissance, et ses limites – car elle n’est qu’une délégation, et nous ne pouvons pas faire beaucoup plus de mal que de détruire matériellement les choses, tuer autrui, mais sans pouvoir agir jamais directement sur l’âme d’autrui, domaine réservé à Dieu seul.
Dieu, lui, n’abuse jamais, mais nos abus le conduise en toute justice à forcer les méchants malgré eux à faire sa gloire : les damnés de l’enfer démontrent la toute puissance divine, par leur incapacité à sortir de leur situation, par leur haine impuissante et leur exclusion définitive de la gloire du ciel. Ils sont vaincus à tout jamais.
Alors, que devons nous faire pour être de bons propriétaires chrétiens ? De bons maîtres chrétiens ? De bons parents chrétiens ? De bons chefs chrétiens ?
Agir en tant que vicaire et ministre, à qui Dieu a confié des choses et dont il faudra rendre des comptes.
Il suffit d’user de toutes ces choses sans en jouir, pour ne jouir que des choses du ciel, sans en user.
Il faut se détacher de ce que l’on possède, et en user pour le bien des âmes qui nous sont confiés – et si on est chef politique, que se soit au niveau de la famille, ou plus, il faut aussi savoir user des âmes qui nous sont confiés pour un bien plus grand, le bien commun et le bien spirituel, sachant que, comme un bon chef d’orchestre, cette bonne direction profite à tous mais surtout à chacun des membre de ce bel orchestre, de cette fière armée ! Vous possédez une maison ? Elle doit être ouverte au prochain, et pas seulement être pourvous. Vous avez une famille ? Ils doivent oeuvrer pour le prochain, et pas seulement se recroqueviller dans le cocon familial. Vous avez une entreprise ? Elle doit ooeuvrer au bien politique du pays, et pas seulement cercher son profit. Evidemment, le « pas seulement » ne singifie pas qu’il faut mépriser la mission première, qui est nécessaire et importante, mais le chrétien va plus loin.
En ce sens, le laïc riche et puissant, comme un saint Louis et bien d’autres, qui se détache de tout ce qu’il possède et les abandonne dans son cœur pour ne s’attacher qu’à Dieu mérite bien plus que le religieux, car il a du vaincre beaucoup de tentations.
C’est pourquoi tout le monde n’est pas grand chef puissant, et Dieu donne les grâces nécessaires à son état. En même temps Dieu fait en sorte que nous soyons tous chefs de quelque chose à un moment, même de façon infime, pour nous faire participer de son gouvernement divin.
Si Dieu a décidé de vous rendre propriétaire, alors usez de ces richesses comme un vicaire, comme un ministre, comme gardien, comme un général : vous pouvez conquérir, faire fructifier, rendre grand, comme Joseph rend son pays puissant pour le Pharaon, tout en restant esclave ! Tant que ce n’est pas pour vous, tant que vous ne vous y attachez pas, tant que vous êtes prêts, comme Job, a perdre tout du jour au lendemain, tant que vous gardez l’essentiel, Dieu, alors vous pouvez être tranquille.
Sachez plutôt que plus vous êtes riches et puissants plus le jugement sera sévère, et plus la mission qui vous est donné va être difficile, plus les tentations seront grandes : comme des soldats d’élite qui auront un entraînement sévère, et un matériel de haut niveau, le chef puissant a cette puissance pour une certaine mission, et gare s’il ne l’utilise pas pour la mission qui lui a été confiée.
Plus la mission est dangereuse, plus il faut être bien équipé, donc mieux vaut ne pas être trop fier d’être bien équipé, avant que la mission commence, car qui a envi de se retrouver en première ligne dans une mission impossible à réaliser avec ses petites forces d’hommes ?
Personne, mais nous savons que Dieu rend l’impossible possible, qu’il nous donne ses grâces, qu’il n’exige rien au-dessus de nos forces, et comme une mission spéciale bien préparée, toute une phalange de soutiens est là, et tout est planifié dans le plan providentiel, avec en réserve les renforts, les informations : nous avons une myriade d’anges et de saints nous aidant sans cesse au ciel ! Nous, à notre niveau, nous n’avons pas conscience de l’ensemble du plan, dont nous n’avons que la bribe nécessaire pour accomplir la mission, mais nous savons que le plan est là, et qu’il est fait parfaitement vue que c’est Dieu qui le fait : voilà qui devrait nous rassurer !
Si nous ne pouvons pas vraiment apprécier l’idée de se retrouver au milieu de la mêlée, plein de sang et de sueurs, voyant notre mort prochaine toujours sous les yeux, voyant nos camarades tomber sous les balles, on peut du moins désirer la mort sur le champ d’honneur pour la gloire de notre maître du Ciel, et cachant que cet mort au monde et par le monde nous apportera la seule vie véritable, la vie éternelle en Jésus-Christ.
La Croix répugne à notre nature douillette, mais nous la désirons plus que tout, et chacun a ses croix propres.
Le puissant comme le faible, le riche comme le pauvre ont leur croix. Et ne croyons pas que la croix des puissants et des riches est plus petite que celles des pauvres et des faibles…
Que Dieu fasse que nos enfants deviennent religieux ! C’est la voie royale pour le salut, évitant bien des écueils de ce monde. Mais que la volonté de Dieu soit faite, pas la nôtre.
Pour Dieu, pour le Roi, pour la France
Paul-Raymond du Lac.