Sermon sur la concupiscence des yeux
Saint Jean nous dit dans sa première lettre : « N’aimez pas le monde, ni les choses qui sont dans le monde. Si quelqu’un aime le monde, l’amour du Père n’est point en lui. » (1Jn 2 ;15). Le monde signifie l’ensemble des plaisirs sensibles, des richesses et des honneurs qui existent dans la vie humaine sur terre. Saint Jean appelle l’amour désordonné des plaisirs sensibles, la concupiscence de la chair. Dans l’Épître de dimanche dernier, Saint Paul nous a mis en garde contre elle. Saint Jean appelle l’amour désordonné des richesses « la concupiscence des yeux ». Dans l’Épître d’aujourd’hui, Saint Paul nous met en garde contre elle en disant : « aucun avare, ce qui est une idolâtrie, n’a d’héritage dans le royaume du Christ et de Dieu » (Eph 5 ;5). Je vous parlerai donc aujourd’hui de la concupiscence des yeux, et du moyen de la réprimer.
Ce qu’est la concupiscence des yeux
Dieu a créé l’homme avec un corps et une âme. Parce qu’il a un corps matériel, l’homme a besoin des choses matérielles pour entretenir sa vie corporelle : il a besoin de nourriture, d’eau, de vêtements, d’un abri pour se protéger, etc. Il a aussi besoin de choses matérielles pour exercer son activité physique : il a besoin de moyens de transport pour se déplacer, de matériaux pour construire sa maison, d’instruments pour cultiver son champ, etc. Dieu a créé l’univers physique pour que l’homme puisse y trouver tout ce dont il a besoin, et a donné à l’homme le droit de propriété. Ainsi, selon l’ordre naturel établi par Dieu dans sa création, les biens matériels sont pour l’homme des moyens de vivre sur terre et d’exercer son activité de telle sorte à mériter le bonheur éternel. Il nous est donc parfaitement légitime de désirer posséder les biens matériels dont nous avons besoin.
Ce désir légitime cependant a été vicié par le péché originel. Lors du péché originel, Adam et Ève se sont détournés de Dieu pour manger le fruit défendu, autrement dit pour posséder injustement un bien qui non seulement ne leur était pas nécessaire, mais en plus qui leur était interdit. La conséquence en est chez tous les hommes, descendants d’Adam et Ève, un désir désordonné de posséder des biens matériels, même quand ils n’en ont pas besoin, même s’il faut désobéir aux Commandements de Dieu pour les obtenir. La possession des biens matériels n’est plus un moyen pour atteindre un but, mais devient un but en soi. Concrètement ce désir désordonné se traduit surtout par l’avarice et la curiosité. Saint Jean appelle ce désir désordonné « la concupiscence des yeux ». Pourquoi des yeux ? Parce que c’est par le regard qu’on convoite et se rassasie des biens matériels. Ainsi l’avare entasse des biens sans les utiliser, simplement pour rassasier ses yeux.
St Paul dans l’Épître d’aujourd’hui appelle l’avarice « une idolâtrie ». Pourquoi cela ? Parce que l’avare, ou celui qui se laisse aller à sa concupiscence des yeux, met tout son espoir de vie dans ses richesses. Autrement dit, ses richesses sont alors comme une sorte de dieu duquel il pense tirer sa vie et tout ce qu’il faut pour vivre. L’avarice est une idolâtrie parce que l’avare aime son argent, comme les idolâtres aiment leurs idoles d’or et d’argent. L’avarice est une idolâtrie parce que comme le culte des idoles accapare toute la vie et l’activité des idolâtres, ainsi le désir d’accumuler toujours plus des biens accapare tout l’esprit et l’activité de l’avare. Saint Jean Chrysostome disait ceci : « Comme les idolâtres vénèrent leurs idoles et n’osent pas les toucher par crainte, ainsi l’avare n’ose pas toucher son argent et se délecte à le regarder. »
Illusion des richesses
À l’instar de la concupiscence de la chair, la concupiscence des yeux est cause d’une grande illusion. Elle nous pousse vers la possession des biens matériels comme si nous trouverions en eux le bonheur parfait. C’est une illusion. La possession de richesses, plus particulièrement de l’argent, donne l’illusion de pouvoir acheter et donc posséder tous les plaisirs et les biens de la terre ; elle donne l’illusion de la puissance ; elle donne l’illusion de garantir une longue vie. Les gens qui ont l’amour de ce monde essaient donc de nous faire croire que plus nous serons riches, plus nous serons heureux. C’est un mensonge, et c’est facile de le voir.
Est-ce que la possession des richesses donne la santé ? Non. Est-ce qu’elle donne la connaissance de la vérité dont notre intelligence a faim ? Non. Est-ce qu’elle donne l’amour sincère dont notre cœur est si assoiffé ? Non. Est-ce qu’elle nous donne la vie éternelle ? Non. Est-ce que la possession des richesses empêche la maladie ? Non. Est-ce qu’elle empêche d’avoir des soucis ? Non, bien au contraire. Est-ce qu’elle empêche de mourir ? Non. Est-ce qu’elle empêche d’aller en enfer ? Non, rappelez-vous l’histoire de Lazare et du mauvais riche.
Mais alors, à quoi servent les richesses ? Elles ne servent à rien d’autre que de subvenir à nos besoins personnels, familiaux et professionnels, et à faire des œuvres de charité pour mériter le bonheur du Ciel. En dehors de cela, les richesses ne servent à rien. Si Dieu bénit le travail de quelqu’un et lui donne des biens matériels en abondance, plus que ce dont il a besoin pour vivre, cela signifie que Dieu fait de cette personne son administrateur lui confiant la mission d’utiliser sagement ces biens pour soutenir matériellement l’œuvre de l’Église et pour soulager la misère des pauvres. Saint Basile disait d’une façon lapidaire : « Le superflu du riche est le bien du pauvre, et que celui qui retient ce superflu est un voleur ». Cela signifie que selon les desseins de la Providence, le superflu du riche est destiné à soulager les pauvres.
Répression de la concupiscence des yeux
Le temps du Carême est un temps de réforme spirituelle profonde. Réforme spirituelle signifie identifier ce qui nous empêche ou retarde dans notre progrès de l’amour de Dieu, et prendre les moyens de l’éliminer. La concupiscence de la chair est un obstacle, c’est pourquoi en Carême l’Église nous demande de jeûner pour la réprimer. La concupiscence des yeux est un autre obstacle, c’est pourquoi en Carême l’Église nous demande de faire l’aumône pour la réprimer.
Dans la Bible, de nombreuses fois, Dieu recommande l’aumône. D’abord pour obtenir le pardon de ses péchés. Ainsi l’Archange Raphaël dit à Tobie : « La prière accompagnée du jeûne est bonne, et l’aumône vaut mieux que d’amasser des monceaux d’or. Car l’aumône délivre de la mort, et c’est elle qui efface les péchés, et qui fait trouver la miséricorde et la vie éternelle » (Tobie 12 ;8-9). L’aumône est nécessaire pour obtenir le bonheur du Ciel : ainsi Notre-Seigneur Jésus nous a averti dans l’Évangile qu’Il nous jugera sur les œuvres de miséricorde que nous aurons faites pendant notre vie sur terre. L’aumône est nécessaire pour obtenir des grâces particulières de Dieu, ainsi l’Ange dit au centurion Corneille « Ta prière a été exaucée, et tes aumônes ont été mentionnées devant Dieu » (Act 10 ;31). L’aumône est nécessaire pour avancer dans la sainteté, ainsi Notre-Seigneur dit au jeune homme riche : « Si tu veux être parfait, va, vends ce que tu as et donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans le Ciel ; puis viens, et suis-Moi. » (Mt 19 ;21).
Voyons maintenant la question pratique : comment chacun doit-il déterminer la quantité d’aumône à faire ? Pour cela il faut considérer deux choses : les moyens dont on dispose, et la nécessité de celui qui a besoin d’aide.
Pour déterminer les moyens dont on dispose, il faut diviser ses biens en trois parties : ce qui est nécessaire à notre vie propre et celle des personnes qui dépendent de nous forme la première partie ; ce qui est nécessaire pour assurer le bon fonctionnement de sa vie familiale et professionnelle forme la deuxième partie ; ce qui reste forme la troisième partie qu’on appelle le superflu. C’est ce superflu qu’on utilise pour faire l’aumône. Est-il obligatoire de donner tout son superflu en aumônes ? Non. Mais c’est bien la volonté de Dieu que nous utilisions au moins une partie de ce superflu pour faire des aumônes. La quantité dépend de la générosité de chacun.
Ensuite il faut considérer la nécessité de celui qui a besoin d’aide. C’est évident que si quelqu’un est dans une extrême nécessité, c’est-à-dire un danger de mort prochain, nous avons l’obligation grave de lui apporter les secours essentiels. Rappelez-vous la parabole du bon Samaritain. Si quelqu’un est dans une pauvreté ordinaire, on doit l’aider de notre superflu comme on a dit. Faut-il aider tous les pauvres qu’on rencontre ? Non, mais c’est la volonté de Dieu que nous en aidions au moins quelques-uns.
Conclusion
Chers Fidèles, pour conclure ce sermon rappelons simplement cette parole de Notre-Seigneur Jésus Christ : « Bienheureux les pauvres en esprit car le Royaume des Cieux est à eux » (Mt. 5 ; 3). Amen.
Un prêtre missionnaire