[Saga Autarcie] Article 3 – Les origines du mot d’ « autarcie » au Japon
L’étude suivante se compose de 18 articles se suivant, à paraître à rythme hedomadaire. Articles précédents
Article 1 de la saga: L’autarcie au Japon ou le Sakoku 鎖国, première approche
Article 2 de la saga: Les origines de l’autarcie nipponne
Le mot « Sakoku » lui-même est une appellation en fait postérieure qui n’existait pas au moment de la réalisation de la politique d’autarcie, qui provient, d’une façon surprenante, de l’Occident :
« Depuis quelle époque a-t-on commencé à parler de sakoku et de sakokurei ? Selon Itazawa Takeo, l’expression serait apparue pour la première fois en automne de la première année de Kyôwa (1801), dans le chapitre « Du Sakoku » de la traduction par l’interprète de Deshima, Shizuki Tadao, de l’ « Histoire du Japon » de Kaempfer. Cette première utilisation se place ainsi 160 ans après le commencement effectif de l’isolement du pays. Pendant cette longue période, nous ne parlions ainsi pas de la situation de notre pays par le concept « de pays enchaîné ». »[1]
« Réfléchissons donc à la politique d’interdiction de la mer du gouvernement d’Edo en relation avec la philosophie de la barbarie/civilisation de l’Est Asie. On dit souvent que l’époque fut celle du “Sakoku”, mais commençons d’abord par analyser l’apparition de ce terme. Il fut utilisé pour la première fois par l’érudit en science hollandaise Sgizuki Tadao (1760-1806) qui inventa le mot pour l’occasion de la publication du « du Sakoku » la première année de Kyôwa (1801) – publié en 1850. » [2]
Le mot est ainsi la traduction d’un terme européen, celui d’autarcie, dans un livre dont le sujet est le Japon sous l`ère Edo, et qui fut ensuite traduit en Japonais au début du XIXème siècle, moment où le mot commence à se répandre au Japon et à désigner, dans une prise de conscience postérieure au contact européen, d’une réalité considérée comme normale par les contemporains, soit la réalité de l’isolement du pays.
Là où l’étude de l’autarcie nipponne devient clef se trouve dans l’influence de la description de Kaempfer dans les débats sur l’autarcie en Europe : l’exemple japonais fut une source d’inspiration pour la plupart des penseurs sur le sujet en Europe, et, de façon paradoxale, par la traduction finale en Japonais, les nippons eux-mêmes commencèrent à réfléchir sur cette politique. Kaempfer fut ce docteur allemand qui resta deux ans dans la délégation hollandaise de Nagasaki à Deshima. Il eut la possibilité de participer deux fois à la visite officielle au Shogoun de la délégation hollandaise et eut, via son interprète, beaucoup de description des lois et des mœurs de la société nipponne de l’époque. C’est une des uniques sources occidentales sur le Japon pendant l’ère Edo[3].
Le mot même de sakoku possède une connotation négative dès le départ puisqu’il signifie « pays enchaîné », qui trouve son origine dans les débats occidentaux sur l’autarcie, au moment où le kantisme triomphant et le cosmopolitisme impose une certaine atmosphère intellectuelle peu propice à avancer les thèses de l’autarcie – atmosphère soit dit en passant qui pèse toujours autant aujourd’hui :
« L’érudit de sciences hollandaises, Chôei, pouvait dire « la politique de Sakoku… je n’aime guère ce mot… ». Il sous-entend ici que l’expression même de sakoku, l’enchaînement du pays, contient en lui-même un présupposé négatif sur la politique en question. On peut remarquer de plus que le mot sakoku ne vient pas de l’imagination du traducteur Shizuki, mais est né de l’esprit critique du temps [en occident], dont une partie des penseurs précurseurs aimaient à user pour babiller déraisonnablement. Il faut ici reconnaître à Shizuki sa probité de traducteur qui a choisi le mot adéquat au plus près du sens du texte original. Il est intéressant de remarquer qu’avec les éléments que nous venons de mettre en exergue, on remarque que si le travail de Shizuki allait pour la première fois en ce début de dix-neuvième siècle appeler à la réflexion sur la politique d’isolement au Japon, cette politique a de façon paradoxale influencée l’occident : elle provoqua là-bas tout une réflexion sur la politique d’isolement et se trouva des fervents thuriféraires. »[4]
La réflexion sur la politique d’isolement du Japon au Japon ne se fait donc qu’au début du XIXème siècle via la traduction des débats occidentaux sur l’autarcie, eux-mêmes provoqués par l’exemple japonais.
Le sujet suivant consiste maintenant à mieux situer l’évolution de ce débat en occident et ses enjeux.
[1] Ibid, p.11 « いったい「鎖国令」とか「鎖国」という名称・表現はいつごろから世に現れ、通用するようになったものであろうか。板沢武雄氏によれば、それは享和元年(一八〇一)秋、長崎の元オランダ通詞志筑忠雄がケンペルの『日本誌』中の一章を訳出して『鎖国論』と題したのがその始まりであるという。とすればそれは鎖国体制の実現より百六十年も後のことで、その間我国人は「鎖国」という概念を以てしては自国の現在の体制を理解することはなかったわけである。 »
[2] Akihiro MACHIDA, Histoire du Jôi pendant la fin du Bakufu (攘夷の幕末史), Tôkyô, Kôdansha, 2010, p.29 : « つぎに、このような東アジア的華夷思想にもとつずく、江戸幕府による海禁政策について、考えてみよう。江戸時代は、「鎖国」していたとされるが、鎖国と言う用語の誕生について、最初に述べたい。これは、蘭学者・志筑忠雄(一七六〇~一八〇六)によって、享和元年(一八〇一)成稿(刊行は一八五〇年)の『鎖国論』において、はじめて使用された造語である。 »
[3] La traduction française datant du XVIIIème siècle est disponible sur le site Gallica de la BNF.
[4] Keiichirô KOBORI, De la pensée du Sakoku (鎖国の思想), Tôkyô, Chuko Shinsho, 1974, p.13 « <鎖国の御政道に付、迚も……思ひよらず>という長英の口吻に聴き入れば、ここでは「鎖国」に二文字だきにもすでに鬱屈した批判の感慨がこめられていよう。この表現は志筑の全く独像的な着想から生じたというよりも、むしろ当時の一部の先覚的知識知識人達の胸裡に蠢動していた共通の批判精神の産物とも見ることが可能であろう。更には志筑がこのような訳語を選択したのは原文にそれに当たる概念があったからこそだ、とも見なくてはならない。そしてかく観てくる時、我々としては志筑の訳業を通して十九世紀初めの日本人に鎖国体制への痛切な反省を喚び起すための衝撃的波動を生んだと見えるケンペルの論文、それで居て不思議にも一部の西洋人の日本鎖国肯定論の端緒をもなしたらしいの『鎖国論』という論著に大いなる興味を払わないわけにはゆかなくなる。»