Histoire

L’assassinat d’Henri IV, par Jean-Christian Petitfils. Partie 3 : Le procès de Ravaillac et ses étrangetés

L’assassinat d’Henri IV

Par Jean-Christian Petitfils

Partie 1 : L’énigme de la mort du Roi

Partie 2. La journée du 14 mai

Partie 3. Le procès de Ravaillac

Et l’assassin, qu’est-il devenu ? Remis aux mains des archers de la garde, il a été conduit à l’hôtel de Retz, rue Saint-Honoré. On trouve sur lui de menues pièces de monnaie, un chapelet, un « cœur de coton » servant à ses dévotions, quelques papiers, dont le poème d’un ami parlant d’un criminel que l’on conduit au supplice. Il n’a pas d’autre arme que celle du crime. On l’interroge, on le torture. On place ses pouces entre les chiens de deux carabines, dont on a ôté les pierres, et on tourne les vis. Sous la douleur, il lâche quelques bribes de sa vie. Il s’appelle Jean-François Ravaillac. Célibataire, âgé de trente-deux ans, il est originaire d’Angoulême, où il exerçait le métier d’instituteur-catéchiste. Quand on lui parle du roi très-chrétien, il se met à ricaner. « C’est la question de savoir s’il était véritablement très chrétien car, s’il l’avait été tel, il aurait fait la guerre aux sectateurs de la religion prétendue réformée, qu’il protégeait ! »

On comprend que c’est un de ces ultracatholiques, héritiers de la Ligue, qui reproche au Béarnais d’avoir changé plusieurs fois de religion et de ne pas avoir contraint par la force les protestants hérétiques. Pis encore, il est persuadé qu’en soutenant les princes luthériens dans l’affaire de Clèves et Juliers, en s’attaquant à l’empereur, le roi allait combattre le pape. On lui demande si quelqu’un l’a incité à commettre ce crime abominable, s’il a des complices. Il répond qu’il n’a été « mû ni induit par personne », mais « poussé par une mauvaise et diabolique tentation ». Il avoue qu’il est venu à Paris dans l’intention « d’attenter contre Sa Majesté » et reconnaît avoir volé le couteau dans une hostellerie proche des Quinze-Vingts.

On comprend aussi que c’est un déséquilibré, tourmenté de visions et de pulsions obscures. A l’hôtel de Retz, chacun peut venir le voir, lui parler même. Les curieux ne s’en privent pas. Pierre Coton, confesseur du roi, lui conseille de ne pas mettre en peine les gens de bien. Il craint naturellement pour son ordre, les jésuites, dont certains membres ont été accusés d’avoir encouragé les théorie tyrannicides. Parmi les nombreuses tentatives d’assassinat d’Henri IV, l’une au moins a donné lieu à des attaques directes contre eux, celle de Jean Chastel en 1594, qui avait été leur élève. D’autres jésuites se relayent et l’adjurent de ne pas proférer de calomnies. « Vous seriez bien étonnés, leur lance-t-il, si je soutenais que ce fût vous qui me l’aviez fait faire ! »

Dans la nuit du 15 au 16 mai, le prisonnier est transféré à la Conciergerie et mis au secret. D’ordre de la régente, l’instruction de son procès commence sous la conduite du parlement de Paris et de son premier président, le vieil Achille de Harlay. Du 16 au 19, le régicide subit quatre interrogatoires, dont les procès-verbaux ont été conservés. Ravaillac donne des précisions sur sa famille, son père, ancien greffier de la mairie d’Angoulême, tombé dans l’ivrognerie et à la misère, sa mère obligée de vivre seule, dans le dénuement. A douze ans, il a été place comme valet chez un procureur. Il raconte ses différents voyages à Paris pour avertir le roi qu’il fait fausse route et doit impérativement combattre les huguenots. Il ne cache pas ses visions, les hosties qui s’élèvent dans les airs et les voix du Ciel, les trompettes de guerre qu’il entend. Il avoue être entré comme frère convers chez les feuillants de Paris, mais en avoir été chassé pour hallucination au bout de quelques semaines. A dix-sept ans ou dix-huit reprises, il nie avoir eu des complices. Il reconnaît cependant avoir été influencé par les théories tyrannicides. A la question : « Qui vous a poussé ? », il répond sans hésiter : « les sermons que j’ai ouïs pour lesquels il était nécessaire de tuer les rois. »

Le 27 mai, enfin, il est exécuté pour crime de lèse-majesté. On lui brûle la main, on lui tenaille au fer rouge les tétins et les cuisses, on verse du plomb et du soufre fondus sur ses plaies, puis on l’écartèle. Place de Grève, le supplice a attiré une foule avide de sang.

Tout semble clair dans son affaire. Et pourtant…Avant de périr, il s’est écrié : « On m’a bien trompé quand on m’a voulu persuader que le coup que je ferais serait bien reçu du peuple… » ? Qui, « on » ?

Les étrangetés du procès

La hâte avec laquelle on s’est empressé de clore le procès et d’exécuter le coupable est bien singulière. Tout a été bâclé en onze jours. On a omis de faire venir ou d’interroger sur place son père et sa mère, son frère aîné Geoffroy, ses sœurs, ses amis, ses relations, particulièrement un notable d’Angoulême, Hélie Béliard, chez qui, le 10 avril 1610, veille de Pâques, Ravaillac aurait résolu de tuer le roi. On s’est gardé à Paris de rechercher ses logeurs et les soldats du régiment des gardes qu’il avait rencontrés à l’auberge des Cinq croissants, faubourg Saint-Jacques, notamment un nommé Saint-Georges qui lui avait confié, comme pour exciter sa fureur, qu’il devait obéissance au roi, même s’il se trompait en faisant la guerre à l’empereur et aux princes catholiques.

Non moins surprenant est le refus d’organiser des confrontations avec les suspects arrêtés peu après le crime et incarcérés à la Conciergerie, à quelques pas par conséquent de son cachot. Citons le prévôt des maréchaux de Pithiviers, Thomas Robert, ultracatholique, ancien ligueur, connu pour avoir participé précédemment au complot du comte d’Auvergne. Alors qu’il jouait aux boules le 14 mai après-midi, cet homme, apparemment bien informé, s’était exclamé devant ses amis étonnés : « Le roi est mort ! Il vient d’être tué tout maintenant, n’en doutez pas ! » Quelques jours plus tard, on le retrouva étranglé dans sa cellule avec les cordons de son caleçon.

Citons aussi un soldat du régiment des gardes, Saint-Martin, lui aussi jeté en prison. Huit jours avant le drame, il avait conseillé à une veuve de sa connaissance de quitter Paris au plus vite, car, assurait-il, de terribles événements se préparaient. Accompagnant cette femme au temple de Charenton, il lui avait laissé entendre que, peu de temps auparavant, il avait vu à l’entrée de cet édifice un homme habillé de vert au milieu de ces faux mendiants et agent espagnols ou flamands qui s’y trouvaient toujours pour insulter les huguenots… Les noms de Thomas Robert et de Saint-Martin ne sont même pas mentionnés sur le registre d’écrou. Leur interrogatoire a été escamoté. Secret d’État !

À suivre…

Jean-Christian Petitfils
Historien et biographe

Docteur d’État en sciences politiques


Jean-Christian Petitfils, « L’assassinat d’Henri IV », dans Collectif, Henri IV : Le Premier Roi Bourbon : Actes de la XVIIIe session du Centre d’Études Historiques, Neuves-Maisons, CEH, 2011, p. 255-268.

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