[CEH] Henri IV après Henri IV (1610-2010), par Jacques Perot. Partie 5 : Le siècle des commémorations
Henri IV après Henri IV (1610-2010)
Par Jacques Perot
► Partie 1 : Le temps de l’émotion et des témoignages
► Partie 2 : Le temple de l’histoire
► Partie 3. Le siècle des Lumières : de la Henriade à La Partie de chasse de Collé
► Partie 4. De la Restauration aux manuels scolaires de la République
Partie 5. Le siècle des commémorations : 1953, 1989, 2010
C’est désormais sous la République que vont s’organiser les trois grandes célébrations universitaires d’Henri IV, 1953, 1989, 2010.
1953
Deux villes, liées à jamais à l’histoire d’Henri IV, sa ville natale, Pau, et celle qui conserve le cœur du souverain, La Flèche, furent les deux acteurs principaux du quadricentenaire de la naissance du Béarnais en 1953. Il faut souligner ici le rôle essentiel de Pierre Sallenave, actif maire de Pau, dans une commémoration dont ses Souvenirs d’un maire de Béarn (1973) gardent la trace.
Le transfert du cœur d’Henri IV de La Flèche à Pau en a été la première manifestation publique. Le 25 juin, à vingt-deux heures, sous la porche brillamment illuminé du Regium Henrici Magni Collegium, devenu aujourd’hui le Prytanée militaire, l’urne quittait le collège où, depuis le 4 juin 1610, elle était conservée dans sa chapelle. Précédée par un élève porteur d’une hallebarde damasquinée aux armes de France et de Navarre, elle fut escortée jusqu’à l’hôtel de ville de La Flèche.
Le lendemain, après une minute de silence, le cœur d’Henri IV quittait la ville, escorté par les élèves du Prutanée et les principales autorités. Arrivé à Pau en fin de soirée, le cœur était déposé dans le grand hall d’entrée de la gare et gardé par les élèves du Prytanée militaire en présence de la délégation de la ville de La Flèche à la tête de laquelle se trouvaient le préfet de la Sarthe, les sous-préfet et maire de La Flèche, entourés de celui de Pau et des autorités locales. Quel cœur de roi peut se vanter de bénéficier, quatre siècles après sa naissance, d’un cortège aussi impressionnant : corps des sapeurs-pompiers, musique de la IIIe Région aérienne, trente-deux groupes folkloriques, deux sections en armes du 18e régiment d’Infanterie, cent soldats porteurs de torches, la fanfare de la Garde républicaine, soixante élèves du Prytanée militaire de La Flèche avec leur fanion et la hallebarde, une députation d’officiers supérieurs de la garnison ? L’urne contenant le cœur d’Henri IV était portée solennellement par les Brutions, suivies des autorités de Pau et de La Flèche. L’ensemble était encadré et fermé par cent cinquante porteurs de torches, une nouvelle section en armes et la musique du 18e régiment d’Infanterie. Les restes du cœur furent, enfin, déposés dans la chapelle du château où les autorités se recueillirent une dernière fois, pendant que les cadets de La Flèche prenaient le service de garde qui devait durer toute la nuit.
La grande affaire du lendemain fut la visite du président de la République, Vincent Auriol (1884-1966), que le maire de Pau avait réussi à convaincre de venir, ce qui était particulièrement remarquable, en ces débuts de IVe République.
Sur tous les parcours, le président fut acclamé par la population comme l’est rarement un homme politique, et s’en trouva surpris.
Dans l’après-midi de ce 28 juin 1953 eut lieu la fête de l’Unité française qui donna lieu à un échange de discours. Le maire de Pau prit la parole :
« Sans que notre fierté ait pu égarer notre jugement, à l’analyse même des actes qui illustrent son règne, nous osons déclarer, nous Béarnais, que le génie d’Henri monta de notre terroir comme monte une sève. Aux vertus ancestrales qu’il devait au sang de saint Louis et des capétiens, les horizons virgiliens qui furent son univers d’enfant allaient lui apporter, sans heurt, à la manière d’un mimétisme, une somme de qualités maîtresses, l’équilibre de l’esprit, le sens de la mesure, la volonté de conciliation.
Le relèvement de la France était en marche, inéluctable, le roi, méthodique, parcourait le pays en tous sens. Son oreille attentive écoutait battre le cœur de nos provinces. Elle lui révéla leur ardent patriotisme. L’heure de l’union était venue pour lui.
Aussi, un jour, recueillant le fruit de sa ténacité et de sa lucide intelligence, Henri fut appelé à régner par la Nation unanime. Alors que s’il avait été l’homme d’un système, ni ses victoires, ni son courage, ni ses adjurations ne lui eussent donné le trône de France. Et c’est cet extraordinaire destin que la ville de Pau a tenu à commémorer aujourd’hui. »
L’on put alors entendre le président de la République déclarer :
« La force d’Henri IV, c’est en effet le sentiment national. Sa tâche, quand l’assassinat d’Henri III fait de lui, en 1589, le roi légitime de la France, apparaît surhumaine. Tout est contre lui : la ligue, Paris, la Sorbonne, les parlements, le duc de Lorraine, le duc de Savoie, le pape et Philippe II, le puissant roi d’Espagne, qui réclame tout le royaume pour sa fille Isabelle.
[…] Ses troupes, ses serviteurs l’abandonnent, et la France, déjà ravagée par une guerre étrangère et ruinée par trente années de guerres religieuses et de discordes civiles, la France où les haines arment les bras des assassins, où les féodaux sont impatients de revanche, et déjà démembrent l’État, où, sur la misère du peuple, les parasites édifient des fortunes monstrueuses, où l’étranger jouant des factions, dicte sa loi et se prépare à la curée, la France se défait, la France se meurt.
Et voilà que dans cette « grande pitié » du royaume, dans ces moments de larmes et d’horreur, Henri, roi sans couronne, général dans argent, rallie les Français égarés au chemin du devoir, de la « victoire et de l’honneur ». « Étant tous Français et concitoyens d’une même Patrie, s’écrie-t-il, nous devons nous accorder amiablement, et par douceur et non pas par la rigueur et les cruautés qui ne servent qu’à irriter les hommes ! »
Parce qu’il incarne les aspirations profondes du peuple français et que, de plain-pied avec le bon sens populaire, il connaît, pour les avoir parcourues, les provinces du royaume et leurs besoins, parce que jamais, même dans l’adversité, il n’a consenti à sacrifier une parcelle des droits de la couronne de France, il exalte les dévouements, ramène à l’obéissance les séditieux, concilie et en quelques années reconquiert son royaume.
Pour unir, il se convertit. Pour unir, il pardonne.
[…] Tolérant, il accomplit par l’édit de Nantes un premier pas vers la liberté religieuse. Ainsi, il apaise, pacifie, libère et restaure. Selon le mot de M. Gaxotte, il affranchit la France de « l’oppression du désordre ».
[…] Voilà l’œuvre que ne pouvait abattre le crime d’un fanatique. Voilà le roi qui, selon l’expression de M. André Maurois, demeure « aux côtés de Charlemagne, de saint Louis, de Jeanne d’Arc, un des héros de la France dont il représente, non l’aspect mystique, mais les aspects courageux, sensés, joyeux, gaulois et toujours grands. » Voilà l’exemple de redressement national que nous offre le plus justement populaire de nos princes. »
Dans la seconde partie de son discours, Vincent Auriol faisait allusion à son époque :
« Nous avons connu, nous aussi, la ruine et le chaos ; deux guerres atroces suivies de l’invasion et de l’épuisement de notre pays. Ces vertus qu’Henri IV mit au service de la France sont celles qu’exige encore la France d’aujourd’hui. Ainsi exprimeront-ils de la façon la plus haute leur gratitude au roi Henri dont le cœur battit si fort pour la France et dont l’exemple nous guidera. »
Deuxième temps fort de cette année Henri IV 1953, les manifestations qui avaient pour titre Fêtes de la terre béarnaise se déroulèrent du 5 au 6 septembre, fêtes auxquelles le comité d’organisation avait invité le comte et la comtesse de Paris.
1989, quatrième centenaire de l’avènement
En 1989, la déclaration du quadricentenaire de l’avènement d’Henri IV fut grandement facilitée par la création d’une association ad hoc par le professeur Tucoo-Chala et moi-même, l’association Henri IV 1989 qui bénéficia du soutien de ses adhérents, de subventions de collectivités locales et d’un secrétariat permanent pris en charge par la société Elf-Aquitaine.
Si tous les efforts de l’État furent tournés avec abondance vers un autre anniversaire, celui de 1789, François Mitterrand, président de la République accorda néanmoins son haut patronage à un quadricentenaire henricien dont on retiendra notamment un apport époque, avec l’exposition Henri IV la reconstruction du royaume, présentée au château de Pau et aux Archives nationales.
Cinq colloques internationaux réunissant les meilleurs spécialistes de cette période ont permis, par ailleurs, de constituer un ensemble de cinq volumes :
- Quatrième centenaire de la bataille de Coutras, Coutras, octobre 1987, 1988,
- Provinces et pays du Midi au temps d’Henri de Navarre, Bayonne, octobre 1988, 1989,
- Henri IV, Le roi et la reconstruction du royaume, Pau, Nérac, septembre 1989, 1990,
- Les Lettres au temps d’Henri IV, Auch, Agen, Nérac, mais 1990, t.IV, Biarritz, 1991.
- Les Arts au temps d’Henri IV, Fontainebleau (septembre 1991), t. V, 1992.
Et nous pouvons y ajouter :
- La légende d’Henri IV, Paris, 1994, Société Henri IV, Biarritz, J. et D., 1995.
La journée du 3 août 1989 vit notamment un superbe concert spirituel œcuménique à la cathédrale de Lescar, nécropole des rois de Navarre, et s’acheva par un immense banquet sur la Basse-Plante du château de Pau. Alain Decaux, ministre de la Francophonie, représentait le gouvernement et l’on notait la présence de la maréchale de Lattre de Tassigny, des maires de Pau, Bidache, Billère, Chartres, Fontainebleau, Gelos, Guiche, Idron, Labrit, Lectoure, Lons, Salies de Béarn, Sauveterre de Béarn, Sully-sur-Loire… Étaient présents également une douzaine de princes descendants en ligne masculine d’Henri IV, autour de la comtesse de Paris, du duc de Bragance, des princes Gonzalve de Bourbon et Sixte de Bourbon-Parme. Les représentants des maisons ducales réunis par la duchesse de Gramont formaient un service d’honneur à Madame et aux princes (Uzès, Luynes, Brissac, Gramont, Noailles, La Force, Decazes). La soirée s’acheva par un feu d’artifice offert par André Labarrère, député-maire de Pau.
2010
De cette année 2010 du quadricentenaire de la mort d’Henri IV, qui s’achèvera en 2011, nous retiendrons déjà que l’anniversaire de la mort du roi est l’une des plus importantes célébrations nationales de l’année, placée sous le haut patronage du président de la République. En décembre 2009, à l’occasion du lancement de cette année, à la villa Médicis à Rome, l’on a pu entendre l’ambassadeur de France auprès du Saint-Siège lire, devant la statue monumentale du Roi par le sculpteur lorrain Nicolas Cordier, à Saint-Jean-de-Latran, le message officiel de Nicolas Sarkozy, président de la République, qui, rappelant que « l’histoire de la France moderne n’a pas commencé avec la révolution de 1789 », et ajoutait :
« Parce qu’il a vu naître l’esprit de tolérance, si moderne malgré ses quatre cent ans, celui qui oblige à accepter l’autre dans sa différence, le règne d’Henri IV reste un repère essentiel dans la longue histoire de la France. »
C’est bien là l’un des messages que cette année Henri IV va permettre de diffuser à travers nombre de manifestations scientifiques ou populaires qui vont ponctuer ce temps de mémoire.
Décidément les Français ne sont pas prêts d’oublier le bon roi Henri.
Jacques Perot
Président de la Société Henri IV
Illustration : Le président Vincent Auriol s’inclinant devant l’urne doré renfermant le cœur du bon roi Henri IV, à l’occasion du quatrième centenaire de la naissance de ce dernier, Pau, juin 1953.