Surmonter la Modernité au Japon, par Paul de Lacvivier
Samedi dernier, je donnai une conférence à Tokyo sur la nécessité de surmonter la Modernité au Japon. J’en propose aujourd’hui un résumé des grandes lignes aux lecteurs de Vexilla Galliae, car le poison de la Modernité ne touche pas plus le Japon que l’Occident et la France, et beaucoup d’éléments évoqués nous concernent et devraient nous éclairer nous aussi, Français, le combat étant aujourd’hui mondial !
I – La Modernité
La Modernité ne doit pas être définie en termes économiques ou technologiques, ni en termes politiques. La Modernité est avant tout la négation de la Chrétienté telle qu’elle existait avant les guerres de religion, et dans les États catholiques.
La Modernité est née avec la Renaissance : la Renaissance est avant tout un retour à l’antiquité. Dans le cadre européen du Moyen Âge, c’est un retour d’intérêt pour les paganismes antiques. On y redécouvre notamment les doctrines païennes, contre la doctrine catholique.
Ce long mouvement de la Modernité, qui fut d’abord un mouvement intellectuel et culturel, puis religieux (la révolution protestante), puis politique (la révolution de 1789), signifia pour l’Occident une immense régression et une décadence.
II – La Modernité n’est-elle pas un progrès ?
C’est une illusion. Il ne faut pas oublier que, malgré la Révolution française et la Modernité, les sociétés européennes restèrent profondément chrétiennes et catholiques jusqu’au milieu du XXe siècle, ce qui contrecarraient en partie les effets pervers de la Modernité paganisante.
En pratique, les modernes et révolutionnaires de tout poil ont utilisé les meilleurs fruits chrétiens, détournés de leur fin, pour assouvir leur volonté de puissance, via le colonialisme, le capitalisme, etc. Les différentes idéologies telles que le communisme ou le nationalisme ne sont que des ersatz de religion messianique, remplaçant le Dieu Sauveur par soit le Parti, la Nation, ou tout autre chose, non plus pour le salut céleste mais pour un impossible salut terrestre.
III – La Modernité au Japon.
J’attire votre attention ici sur un point important : pour l’Occident, la Modernité fut dès son origine une régression terrible ; pour le Japon, elle fut dans un premier temps un grand progrès. Pourquoi ? Car malgré la déchristianisation et le rejet de l’Église catholique, les modernes occidentaux ont longtemps continué à utiliser les institutions chrétiennes, purifiées et plus parfaites que leurs équivalents non-chrétiens : mariage monogame, état de droit, vision de l’autorité comme un service, esprit de sacrifice et respect de la dignité des personnes.
Les progrès techniques, quoique les plus visibles, ne sont pas si importants pour comprendre la Modernité.
Le Japon de Meiji, par ailleurs, avait quelque chose de très compatible avec la Modernité, du fait de l’héritage de l’époque Edo : son antichristianisme et sa promotion d’une religion sans transcendance, visant à la réussite ici-bas.
En important la Modernité, le Japon importa donc surtout des institutions chrétiennes, ce qui lui permit de faire un grand bon en avant.
IV – Pourquoi la Modernité nous détruit-elle ?
Depuis le concile du Vatican II, la foi catholique est en perte de vitesse, et ce qui reste de Chrétienté en Europe est en train disparaître : le seul remède efficace contre le poison de la Modernité disparaît et laisse le champs à tous les développements délétères de cette dernière, mettant l’homme au centre, à la place du Dieu trinitaire.
Conséquence : la Modernité en vient même à nier les réalités naturelles, après avoir nié les réalités surnaturelles. Avec les idéologies LGBT, antispécistes, etc., cela est patent : on en vient à nier qu’un homme est un homme ou qu’un animal n’est pas un homme ; tout devient indifférencié, chacun étant tout, comme dans les anciens panthéismes et animismes.
La sagesse naturelle du Japon, que l’on trouve par exemple dans le patriarcat, est attaquée de front, et le poison corrosif de la Modernité vient aujourd’hui détruire à grande vitesse les fondements naturels de la société nippone. Cela est illustré par la chute démographique, le vieillissement de la population, le délitement des familles et la perte des repères.
V – Et l’esprit japonais, alors ?
Pour moi, qui aime le Japon, qui y vit depuis plus de dix ans maintenant et qui connaît bien son histoire, je parlerais plutôt de Wafu (和風) que d’« esprit japonais », en ce sens que comme toute personne, un pays possède un caractère particulier. Deux hommes sont tous les deux des hommes avec leur corps, leur âme et leurs facultés, mais chaque homme a un caractère singulier et des caractéristiques singulières, pour le pire et pour le meilleur.
Par exemple, un homme au caractère colérique pourra soit devenir insupportable et aigri, s’il se laisse aller à ses passions, ou alors enthousiaste et dynamique, s’il contrôle bien ses passions. Pour les pays, cela fonctionne de la même manière.
Pour moi, le caractère principal du Japon contemporain, et sa force, se trouvent dans l’unité (et, encore aujourd’hui, l’unité d’action) qu’incarne le Tennô (l’Empereur) : les Japonais obéissent à l’autorité. Cette obéissance est en soi une vertu, mais elle est aujourd’hui souvent détournée pour faire passer le pire (nous avons vu la docilité excessive des gens durant l’épisode covid, ou sur tous les sujets traitant du mondialisme). L’unité a aussi sa part obscure : mal comprise, elle provoque l’uniformisation et l’union forcée, uniquement formelle.
Il y aurait encore beaucoup à dire évidemment, mais nous ne soulignerons aujourd’hui que l’unité et l’obéissance des Japonais à l’autorité, qui sont des atouts naturels pour contrer la Modernité.
Conclusion
Le tsunami mondialiste et le poison moderne ne pourront pas être arrêtés par de simples imprécations flatteuses sur le passé et l’esprit nippons : il va falloir bien connaître le fond de la Modernité et apprendre des erreurs du passé, pour mieux combattre les menaces présentes.
Le Japon contemporain a quelques restes de qualités naturelles et d’institutions dont le vernis demeure chrétien : il faut savoir s’y appuyer pour combattre, mais la véritable renaissance ne peut passer que par une conversion sincère et profonde, qui permettrait au Tennô d’assumer pleinement son rôle de monarque et à la population d’obéir chrétiennement, c’est-à-dire sans se rebeller, ni fermer les yeux sur les excès ou erreurs des autorités.
Précisons enfin que le combat est mondial : chaque pays, dans sa particularité, doit prendre part au combat. Mais sans conversion au Christ (qui le seul remède efficace face à la Modernité), je crains le pire pour ce beau pays, aujourd’hui inféodé aux États-Unis et s’oubliant dans des chimères et des rêves du passé.
Paul de Lacvivier