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Les Mémoires de la marquise de La Rochejacquelein, par Marie-Noëlle De Pasquale

Le XIXe siècle a vu fleurir de nombreux « mémoires ». Ceux de la marquise de La Rochejacquelein y occupent une place d’honneur. Ils sont en effet parmi les premiers à être publiés et ils sont d’une extraordinaire précision.

L’auteur de ces mémoires est Marie-Louise Victoire de Donissan, marquise de La Rochejaquelein. Celle-ci est issue d’une famille parmi les plus nobles de France. Sa mère est dame d’atour de madame Victoire, fille de Louis XV et tante du roi Louis XVI. Son père est gentilhomme d’honneur du comte de Provence, frère du roi.

Elle naît à Versailles le 25 octobre 1772, et est élevée à la Cour. Elle est témoin des émeutes de 1789 et de 1792, et en est très choquée. Elle épouse en 1791 le jeune marquis de Lescure, très vertueux, pieux, brillant mais discret. Il s’agit d’un mariage d’amour autant que de raison. De ce mariage naîtront trois filles, qui ne survivront malheureusement pas à ces années tourmentées.

En octobre 1792, elle réussit à sortir de Paris et à voyager jusqu’en Poitou (en Vendée militaire), avec ses parents et son époux, grâce à un ami qui leur sert de garant. Elle accompagne ensuite son mari, avec grand courage, tout au long de cette année magnifique et terrible de 1793.

La mort de son époux, survenue en novembre 1793, la laisse en grande tristesse et désarroi, seule avec sa mère et ses trois enfants, qu’elle confie alors à des foyers paysans, pour leur assurer un toit stable. Après la virée de Galerne et la défaite de Savenay, elle parviendra à se cacher avec sa mère et à survivre en Bretagne jusqu’à l’amnistie de 1795.

Elle subit ensuite les décès successifs de ses trois filles, en bas âge, suite aux mauvaises conditions de vie de ces temps troublés.

Elle se remarie en 1802 avec Louis de la Rochejacquelein, le frère de Monsieur Henri, et huit enfants viendront réchauffer ce cœur meurtri. Elle voit encore la mort frapper son second époux en 1815, lors de la seconde insurrection vendéenne.

Femme de courage et de foi, elle s’éteint le 15 février 1857, à l’âge de 84 ans.

Ces mémoires, écrits avec l’aide du baron Prosper de Barante, traitent de la vie de la marquise depuis sa naissance jusqu’à son second mariage. Cette œuvre, remarquable par son style autant que par la diversité des événements relatés, demeure une référence de premier plan pour se plonger dans la réalité de ce que fut l’une des plus grandes épopées de notre Histoire.

Cette seule année 1793, celle des 20 ans de la marquise, occupe la majeure partie du récit. Elle y raconte les grandes batailles de la grande Armée Catholique et Royale, telles que Thouars, Saumur, Torfou.

On est d’abord frappé par la grande précision des évènements, et la finesse du jugement de la marquise. Elle décrit tout autant les tournures d’esprit que les faits.

Ainsi explique-t-elle la manière de combattre des Vendéens :

« Leur tactique consistait à entourer en silence les Bleus, à paraître inopinément à portée de pistolet, en jetant de grands cris, à se précipiter sur les canons pour les empêcher de leur faire du mal, disaient-ils, [et] à tirer rarement, mais en visant juste. Les paysans disaient : “Un tel, tu es le plus fort, saute à cheval sur le canon”, et cet homme sautait dessus en criant : “Vive le Roi !” pendant que ses camarades tuaient les canonniers.

On voit aussi la conduite que tenaient les chefs : l’essentiel était d’inspirer confiance aux soldats qui, au commencement de l’attaque, avaient toujours un moment d’hésitation, mais se rassuraient et devenaient invincibles quand ils voyaient leurs généraux, à leur tête, se jeter dans un péril évident. Cette manière de faire la guerre paraîtra sans doute inconcevable, mais elle est l’exacte vérité ; on le croira davantage en réfléchissant que pas un soldat ne savait l’exercice, ni même distinguer sa droite de sa gauche. »

La Marquise de La Rochejaquelein évoque aussi la foi simple mais fervente de tous les combattants, qui faisaient leur signe de Croix avant de tirer, et des femmes qui se mettaient à genoux à dire leur chapelet pendant que l’armée défilait.

Par ailleurs, on rencontre dans ces Mémoires tous les généraux vendéens, et chacun a droit à son portrait.

Ainsi, la marquise décrit avec ferveur le personnage d’Henri de La Rochejacquelein, le cousin et ami de son époux :

« Son courage, qu’il poussait souvent jusqu’à la témérité, lui avait fait donner le surnom d’Intrépide. Il avait le coup d’œil extrêmement juste et des dispositions naturelles étonnantes pour la guerre ; ses défauts étaient de s’occuper peu du conseil, quoiqu’il eût d’excellentes idées, et d’être quelquefois emporté par son courage à s’exposer comme un fou sans nécessité, quand les Bleus étaient en déroute. Souvent on le lui reprochait »

Jacques Cathelineau a aussi droit à son éloge :

« C’était un homme d’une douceur, d’une modestie, d’une bravoure et d’une intelligence rares ; il se mettait toujours à la dernière place, quoiqu’on lui rendît tout plein d’égards ; tout le monde l’adorait, et les soldats l’appelaient le Saint d’Anjou, à cause de sa grande piété. »

En revanche, le chevalier de Charette est très peu présent et on sent le reproche de son caractère trop indépendant. De même, le garde-chasse de Maulévrier, Jean-Nicolas Stofflet, est décrit comme « rempli d’ambition » :

« Il a depuis perdu l’armée par ce défaut même, qu’il ne paraissait pas encore avoir ; tout le monde alors, ainsi que lui, ne poursuivait qu’un but, celui de faire le mieux possible. Les soldats ne l’aimaient pas, le trouvant trop dur, mais ils lui obéissaient mieux qu’à personne. Brave, actif, intelligent, les officiers l’estimaient beaucoup, et il était utile, en ce que les soldats lui étaient soumis. »

On notera le bon esprit de la marquise qui reconnaît tout autant les qualités que les défauts des différentes personnalités.

Quant au style d’écriture, il est clair, décidé et sans prétention. Les sentiments personnels de l’auteur sont bien présentés, sans tomber dans le pathétique. Elle exprime aussi sa tendresse et sa reconnaissance envers les paysans. On devine une âme sensible et on peut aussi toucher du doigt le traumatisme que provoque cette guerre civile et le génocide qui suivra.

La marquise présente aussi les différentes émotions qui parcourent l’armée royaliste : enthousiasme et témérité dans le débuts, puis lassitude, faim et découragement surtout lors de la virée de Galerne, qui sonnera le glas du combat des géants de la Vendée.

Enfin, on y trouve beaucoup d’anecdotes plus intéressantes les unes que les autres. Nous retiendrons celle de la lettre ouverte qui était donnée aux prisonniers républicains, qui étaient relâchés, et qui avait vocation à être diffusée dans toute la France. Cette “adresse aux Français”, du 27 mai 1793, était écrite et signée par le conseil des généraux de la Grande Armée catholique et royale. Elle indiquait clairement que la guerre menée contre la République vise au salut de la France. Ils avaient saisi, dès le départ, les ferments mortifères de ce régime pour notre pays. C’est un regard prophétique qu’ils portaient alors.

On remarquera cet extrait de la lettre qui peut s’appliquer à notre époque :

« Épargnons, épargnons le sang des hommes, et surtout celui des Français. Il n’est plus aujourd’hui de place dans l’État, pour ces êtres froids et égoïstes qui, languissant dans une honteuse oisiveté, affectant une coupable indifférence pour l’intérêt général, se tiennent à l’écart, prêts à s’engraisser des débris de la fortune publique et des fortunes privées.

Deux étendards flottent sur le sol des Français, celui de l’honneur et [celui] de l’anarchie. Le moment est venu de se ranger sous l’un de ces drapeaux ; qui balance, est un traître également redoutable aux deux partis. »

Les 230 ans de l’insurrection de la Vendée sont une bonne occasion de découvrir cette œuvre !

Marie-Noëlle De Pasquale

2 réflexions sur “Les Mémoires de la marquise de La Rochejacquelein, par Marie-Noëlle De Pasquale

  • Raison de plus pour aller voir le très beau spectacle joué à l’abbaye de Beauchêne, liée à cette famille.

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  • Pèsan du bocage

    On peut également reprocher à Mme de La Rochejaquelein, une espèce de “chauvinisme”, en tout cas un parti pris manifeste pour porter au pinacle les généraux et les soldats de la Grande armée Catholique et Royale en “rabaissant” la valeur des autres combattants, notamment M. De Royrand et les soldats de l’armée du centre et les “moutons noirs” de l’armée de Charette.

    Répondre

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