Abattons la République !, par Paul-Raymond du Lac
L’erreur politique de Léon XIII dans Immortale Dei, provenant d’un faux parallèle historique
Les encycliques des Papes du XIXe siècle sont une merveille de clarté, de concision et d’exposition des vérités de la Foi tout en dénonçant les grandes erreurs modernes.
Immortale Dei de 1885 de Léon XIII ne fait pas exception : elle est la référence pour comprendre, à l’aune des erreurs modernes de la Révolution française, les relations de l’État et de l’Église1.
En substance, l’État (disons plutôt le corps politique incarné par une tête, qu’il soit un monarque, ou autre) se doit de fonder ses institutions sur le Dieu trinitaire, puisque c’est bien ce Dieu qui lui permet l’existence, et fonde la communauté politique. La société politique, en tant que société, doit aussi rendre un culte d’adoration au vrai Dieu, et seulement au vrai Dieu, pour rester dans l’ordre divin. La société civile reconnaît ainsi son Créateur, et le monarque reconnaît Dieu comme celui qui l’a élu pour protéger le bien commun temporel, le bonheur sur cette terre, soit la pratique des vertus et la formation d’hommes vertueux.
Ce bien commun doit aussi être ordonné au bien commun surnaturel qui est le salut des âmes : d’où le devoir des Etats de non seulement faire de la religion catholique la religion unique publique, mais aussi de défendre l’Église (c’est-à-dire concrètement ses membres, ses clercs et leurs troupeaux), de défendre le nom de Jésus et de lui réserver la place qui lui est due dans la société, soit la première.
L’erreur de la Révolution, qui s’exprime par le « droit nouveau », veut supprimer la loi de Dieu, et nier sa primauté, en mettant à la place la loi des hommes, c’est-à-dire le droit positif, qui aboutit au positivisme, et les droits de l’homme, qui signifient en pratique une négation des droits de Dieu et donc aussi des devoirs envers Dieu.
L’encyclique condamne donc le droit nouveau, après avoir réaffirmé la nécessité de l’existence des deux pouvoirs temporel et spirituel et la réalité de la bienfaisance de la christianisation des institutions dans la société. L’État ne doit pas soumettre l’Église, et se prendre pour un gourou néo-païen qui irait faire le bonheur absolu de ses citoyens (l’État providence), ni l’Église soumettre l’État, puisque l’Église du Christ fut instituée pour fournir les moyens surnaturels pour arriver au salut, à travers ses ministres et ses sacrements, et pour conserver le dépôt définitif de la Foi en enseignant.
Evidemment, la surnature ne se greffe efficacement que sur une nature saine, et donc les deux puissances sont inter-dépendantes et toujours connectées, devant travailler ensemble, et devant gérer les affaires mixtes – car comme nous sommes l’union d’un corps et d’une âme, que nous pouvons certes distinguer dans sa substance et ses actions, mais en pratique les deux, quoique distincts, sont unis et travaillent ensemble : une mauvaise santé empêche le bon déroulé des opérations de l’âme et par là de l’action de la grâce qui agit dans l’âme, et, inversement, une âme bien droite et nourrie par la grâce aidera le corps à garder la santé ; pour les pouvoirs temporels et spirituels nous avons ce genre de situation, où, en pratique, le Roi a aussi des devoirs spirituels (sans pouvoir exercer les sacrements et autres moyens surnaturels donnés à l’Eglise) et les évêques des charges temporels (ne serait-ce que de s’occuper des biens donnés à l’Église pour le bien des corps et des âmes des ouailles).
Jusque-là l’encyclique est parfaite.
Vient ensuite l’application pratique aux temps présents et des conseils prudentiels d’action.
Là, dans ce domaine hautement prudentiel, les choses se gâtent : les clercs sont là pour nous rappeler les dogmes, les éclairer pour nous les faire comprendre, et dénoncer les erreurs… Ils sont là pour nous montrer l’exemple le plus sublime de l’exercice de la charité.
Mais pour ce qui est de l’exercice de la prudence et de la justice, et l’appliquation temporelle des dogmes, ce n’est plus du ressort exclusif de l’Église, mais bien le domaine propre du politique. Le malheur du XIXe siècle est cette disparition du politique chrétien, du fait de la Révolution française et des guerres napoléoniennes et de ses suites, qui a balayé tous les gouvernants catholiques au cours du siècle, laissant le Pape seul face aux demandes pressantes de toutes les ouailles de leur donner des directives aussi politiques.
Que dit Léon XIII ?
Après l’exposé dogmatique et la dénonciation de l’erreur voici ce que nous avons :
« La forme du gouvernement
Telles sont les règles tracées par l’Église catholique relativement à la constitution et au gouvernement des États. – Ces principes et ces décrets, si l’on veut en juger sainement, ne réprouvent en soi aucun des différentes formes de gouvernement, attendu que celles-ci n’ont rien qui répugne à la doctrine catholique, et que si elles sont appliquées avec sagesse et justice, elles peuvent toutes garantir la prospérité publique. Bien plus, on ne réprouve pas en soi que le peuple ait sa part plus ou moins grande au gouvernement ; cela même, en certains temps et sous certaines lois, peut devenir non seulement un avantage, mais un devoir pour les citoyens.»
Ici le passage passe encore : nous ne sommes pas dans un ralliement clair à la République, mais la faute politique est grande ; le compromis avec la démocratie et la République est sous-tendu, dans un temps où « la part du peuple au gouvernement » est forcément piégé d’erreurs révolutionnaires… et même si la démocratie sera condamnée en soi dans d’autres encycliques. Tout vient de la confusion entre « part du peuple dans le gouvernement » et principe de souveraineté populaire… Le problème c’est que le mot « peuple » est piégé et piégeux, ainsi que « part ».
Le problème vient surtout du long paragraphe suivant, qui pousse les catholiques à participer aux institutions et à faire de l’entrisme : dans le contexte français, c’est la préparation du Ralliement. Evidemment, le Pape, toujours prudent, laisse aux catholiques le soin de l’application concrète et prudentielle (en gras dans le premier paragraphe), mais le mal est fait.
« La participation aux affaires publiques
En pratique, l’action peut s’exercer, soit dans les affaires privées et domestiques, soit dans les affaires publiques. – Dans l’ordre privé, le premier devoir de chacun est de conformer très exactement sa vie et ses mœurs aux préceptes de l’Évangile, et de ne pas reculer devant ce que la vertu chrétienne impose de quelque peu difficile à souffrir et à endurer. Tous doivent, en outre, aimer l’Église comme leur Mère commune, obéir à ses lois, pourvoir à son honneur, sauvegarder ses droits et prendre soin que ceux sur lesquels ils exercent quelque autorité la respectent et l’aiment avec la même piété filiale. Il importe encore au salut public que les catholiques prêtent sagement leur concours à l’administration des affaires municipales, et s’appliquent surtout à faire en sorte que l’autorité publique pourvoie à l’éducation religieuse et morale de la jeunesse, comme il convient à des chrétiens : de là dépend surtout le salut de la société. – Il sera généralement utile et louable que les catholiques étendent leur action au-delà des limites de ce champ trop restreint et abordent les grandes charges de l’État. Généralement, disons-Nous, car ici Nos conseils s’adressent à toutes les nations. Du reste, il peut arriver quelque part que, pour les motifs les plus graves et les plus justes, il ne soit nullement expédient de participer aux affaires et d’accepter les fonctions de l’État. »
Les deux paragraphes problématiques sont les suivants, qui, malgré la réserve qui vient d’être faite, encourage plus que fortement les catholiques à faire de l’entrisme. Remarquons que notre pauvre France du XXIe siècle est toujours hanté par ces deux paragraphes, puisque tous les français croient qu’il faut participer au système inique, et les catholiques ont été encouragé par cette encyclique à le faire :
« Mais généralement, comme Nous l’avons dit, refuser de prendre aucune part aux affaires publiques serait aussi répréhensible que de n’apporter à l’utilité commune ni soin ni concours ; d’autant plus que les catholiques, en vertu même de la doctrine qu’ils professent, sont obligés de remplir ce devoir en toute intégrité et conscience. D’ailleurs, eux s’abstenant, les rênes du gouvernement passeront sans conteste aux mains de ceux dont les opinions n’offrent certes pas grand espoir de salut pour l’État. Ce serait, de plus, pernicieux aux intérêts chrétiens, parce que les ennemis de l’Église auraient tout pouvoir et ses défenseurs aucun. Il est donc évident que les catholiques ont de justes motifs d’aborder la vie politique ; car ils le font et doivent le faire non pour approuver ce qu’il peut y avoir de blâmable présentement dans les institutions politiques, mais pour tirer de ces institutions mêmes, autant que faire se peut, le bien public sincère et vrai, en se proposant d’infuser dans toutes les veines de l’État, comme une sève et un sang réparateur, la vertu et l’influence de la religion catholique. »
Cette recommandation prudentielle semble raisonnable dans certains cas ; disons-le pourtant net, dans le cas français il est catastrophique ; la guerre contre la Révolution est une guerre à mort, et participer à un régime fondamentalement mortifère c’est le justifier en pratique. On ne peut rien tirer de bon d’institutions substantiellement mortifères et mauvaises !
Le plus intéressant néanmoins est le paragraphe suivant, qui justifie la position prudentielle d’entrisme :
« Ainsi fut-il fait aux premiers âges de l’Église. Rien n’était plus éloigné des maximes et des mœurs de l’Évangile que les maximes et les mœurs des païens ; on voyait toutefois les chrétiens incorruptibles, en pleine superstition et toujours semblables à eux-mêmes, entrer courageusement partout où s’ouvrait un accès. D’une fidélité exemplaire envers les princes et d’une obéissance aux lois de l’État aussi parfaite qu’il leur était permis, ils jetaient de toute part un merveilleux éclat de sainteté ; s’efforçaient d’être utiles à leurs frères et d’attirer les autres à suivre Notre-Seigneur, disposés cependant à céder la place et à mourir courageusement s’ils n’avaient pu, sans blesser leur conscience, garder les honneurs, les magistratures, et les charges militaires.
De la sorte, ils introduisirent rapidement les institutions chrétiennes non seulement dans les foyers domestiques, mais dans les camps, la Curie, et jusqu’au palais impérial. « Nous ne sommes que d’hier et nous remplissons tout ce qui est à vous, vos villes, vos îles, vos forteresses, vos municipes, vos conciliabules, vos camps eux-mêmes, les tribus, les décuries, le palais, le sénat, le forum » Aussi lorsqu’il fut permis de professer publiquement l’Évangile, la foi chrétienne apparut dans un grand nombre de villes, non vagissante encore, mais forte et déjà pleine de vigueur. »
Comme nous le voyons, on justifie la nécessité de participer à de mauvaises institutions par le précédent romain des premiers chrétiens convertis, qui, malgré leur conversion, ne démissionnaient pas de leur fonction, et ne sortait pas des institutions, pourtant païennes et terribles.
Le souci c’est que cette analogie est fausse, malheureusement, et ne peut pas servir à justifier le Ralliement à la République française. Pourquoi ?
Dans l’empire romain, le contexte est radicalement opposé au contexte post-révolutionnaire de la France.
Dans l’empire romain, comme partout où l’évangélisation commence, les structures de la société sont païennes, ce qui est normal, et les pouvoirs sont légitimes, aussi désordonnés soient-ils.
Les convertis sont des sortes de miraculés, qui appartiennent toujours à leur état païen légitime : il leur est interdit de se rebeller ou de faire la Révolution, c’est un devoir naturel que le chrétien se doit de respecter encore plus, puisque son monarque naturel, ses institutions légitimes sont naturellement justifiées, aussi décadentes soient-elles par hasard du fait de l’emprise du démon.
En résumé, dans l’empire romain, les convertis sont des ex-païens, et leur Etat, l’Empire et l’Empereur sont légitimes : leur devoir est de subir les scories païennes et, par l’exemple, de susciter les conversions et la christianisation d’institutions qui ne sont pas chrétiennes ; et d’ailleurs aucune institution dans le monde n’était encore chrétienne, et aucun Etat n’était chrétien. Il n’y avait de toute façon pas le choix.
Or, la situation dans la France post-révolutionnaire est inverse. Nous ne sommes ni des convertis, ni issus d’un pays païen. Au contraire, le pays légitime en France est chrétien depuis 1400 ans au moins, et ses rois sont issus des pouvoirs païens antérieurs légitimes, et du Roi Clovis qui s’est converti.
Le Royaume de France avait de plus fait montre d’une christianisation de toutes les institutions.
Là, la Révolution illégitime et usurpatrice vient tout détruire, et vient tout déchristianiser. Il est donc un devoir de se battre frontalement et complétement contre la République et les gouvernements révolutionnaires, car ils sont illégitimes (cela d’un point de vue naturel) et de plus sacrilèges (ils détruisent tout ce qui est chrétien, donc d’un point de vue surnaturel aussi il faut se battre). En 1885 la situation est la même : la France est encore essentiellement chrétienne, et ses institutions aussi ; le parasite républicain, illégitime, vient tout détruire. Son fondement de plus interdit toute restauration du Christ, puisque les principes révolutionnaires et démocratiques viennent dissoudre toute société politique et toute religion… Les rois légitimes sont de plus toujours là, doublement légitime par leur ascendance de la royauté païenne de Clovis, qui s’est converti au christianisme !
La résistance par tous les moyens est ainsi un devoir naturel et moral (puisque le pouvoir légitime est aux Bourbons, et la faible légitimité de facto des autres gouvernements ne vaut rien, puisqu’en pratique ils ont plus détruits que construits) mais aussi un devoir pour tout catholique, puisque les pouvoirs illégitimes sont de plus anti-catholiques, dans un pays qui est substantiellement catholique depuis sa naissance en tant que pays !
Rien à voir donc avec un empire païen légitime, dont les institutions païennes sont donc légitimes, et contre lesquels il est un devoir de ne pas se rebeller !
Ici, c’est comme un enfant d’une famille païenne qui se convertit : son père, encore païen, ne l’est que par ignorance et fortuitement, le fils doit tout faire pour sa conversion, par la prière et l’exemple ; il ne saurait vouloir virer (voire tuer) son père !
Là, en France post-révolutionnaire, la famille était catholique, et le père était catholique, mais un sale apostat luciférien est venu chasser le père et maltraiter les enfants : vous, en tant qu’enfant grand et fort, vous allez collaborer à la destruction de votre famille en collaborant au gouvernement inique de cet usurpateur qui couche avec votre mère ?
C’est impossible, c’est indécent.
Les Papes du XIXe siècle ont fait leur boulot : ils ont été charitables. Mais pour ce qui est de l’usage de la prudence politique, ne pouvant plus compter sur les rois catholiques, ils ont fait ce qu’ils pouvaient, et cela ne fut pas probant…
L’usage de la vertu de prudence est le propre du politique ; il est intéressant de constater comment au plus haut niveau et par les meilleurs papes, une erreur prudentielle, se fondant sur une analogie historique inadaptée et fausse, conduit à des recommandations politiques erronées, qui ont encore des conséquences aujourd’hui…
Mieux vaut se réveiller et cesser l’entrisme, car, à ce rythme, dans quelques décennies, l’analogie de Léon XIII fausse pour la France deviendra malheureusement peut-être vraie, si le pays devient complétement déchristianisé et sous le joug d’un pouvoir conquérant extérieur… Mais quelle régression.
Alors battons-nous pour le pouvoir légitime avant qu’il ne soit trop tard, car les nations meurent aussi !
Pour Dieu, pour le Roi, pour la France
Paul-Raymond du Lac