Coutumes de traduction entre Japon et France – le vieil homme et le nouvel homme, par Paul de Beaulias
Certains détails « culturels » manifestent parfois des traits d’esprit qui peuvent venir de loin.
Prenez les coutumes, dans l’édition, autour de la mention du nom du traducteur.
En France, et dans l’occident chrétien en général, il n’est jamais fait mention du traducteur sur la couverture. La mention, quand elle s’y trouve, est discrète, et toujours sur les pages intérieurs.
L’idée est que le traducteur n’est pas l’auteur, et qu’il doit s’effacer devant l’auteur, faisant le travail ingrat de traduire fidèlement, et si possible avec brio et style, le propos et les idées, dans son esprit, de l’auteur.
L’esprit chrétien voudrait aussi que la traduction soit non par « sourciste » mais « cibliste », soit cherche avant tout à rendre dans la langue cible un beau texte qui transcrits bien les idées du texte source, quitte à « trahir » formellement ici et là le texte original, pour mieux être fidèle au texte source.
Ainsi, en occident, l’auteur disparaît derrière l’auteur et, de principe, il est admis qu’il sera a priori fidèle à l’auteur. On demande au traducteur une certaine forme d’humilité, du passeur de texte, qui fait bien son travail, mais qui doit disparaître, dans son travail de traduction aussi, du texte, pour juste transmettre l’auteur tel quel.
Comment cela se passe-t-il au Japon ? C’est l’inverse : il est systématiquement fait mention du traducteur sur la première de couverture, et parfois même avant l’auteur !
Votre serviteur a d’ailleurs eu une amère expérience en la matière quand, la première fois, ne connaissant pas la coutume, il a commis de gros impairs en la matière en insistant pour que le nom ne paraisse pas… Votre serviteur considérait que c’était une sorte de mise en avant orgueilleuse et inutile, qui le gênait plus qu’autre chose…
Quelle est la raison invoquée au Japon pour justifier cette coutume ?
Le Japonais, jugé très éloigné dans la structure de sa langue des langues européennes – ce qui est vrai – nécessiterait un tel travail de traduction que ce serait systématiquement de l’adaptation, et donc que la mention du traducteur au même niveau de l’auteur, comme une sorte de co-auteur, deviendrait nécessaire afin d’informer le lecteur de l’identité du « passeur ».
Il y a ainsi l’idée qu’au fond le traducteur ne pourrait pas être fidèle, et que l’auteur traduit se verrait happé par son traducteur. Il est sous-entendu d’ailleurs que chaque traduction étant une nouvelle interprétation, le texte original n’est jamais véritablement transmis.
Tout cela n’est pas faux, cela est même vrai dans un sens : aucune traduction n’est parfaite, et c’est pourquoi l’on dit qu’il est bon que de nouvelles traductions de classiques puissent être faites de temps en temps, afin de permettre un nouveau « point de vue » sur une œuvre, via la traduction.
Au Japon, ces retraductions deviennent nécessaires du fait que la langue n’est pas fixe – pas d’académie française ici – et que même en l’espace de 25 ans, une génération, la langue change tellement que la jeune génération peut avoir du mal à comprendre la traduction qui aurait plus de 30 ans (ce monde est inconnu en français, grâce à l’académie française, aux définitions, et au latin en arrière-plan, qui donne une précision et une stabilité exceptionnelle à la langue française, ce qui en fait une langue subtile pour penser de façon sûre, puisque beaucoup de définitions de mots sont fixes et ne fluctuent pas tous les 20 ans… inversement, en japonais, cette instabilité de la langue complique le débat intellectuel du fait d’un manque de constance dans le temps des définitions des mots, et de la difficulté de se référer aux anciens textes en dehors d’une certaine élite érudite, là où en français on peut lire couramment du français du grand siècle sans grande difficulté).
En revanche, la justification de la coutume citée précédemment dans le cas du Japon sous-entend une certaine exagération, qui, trop poussée, confine à l’erreur : d’aucuns japonais croiraient qu’au fond il serait impossible de transmettre certaines idées aux Japon, et vice-versa, comme si le « Japonais » était ontologiquement différent des autres hommes, l’empêchant de comprendre certaines idées… Nous tombons dans une sorte de relativisme de la vérité, et un « retour » inattendu aux idées des lumières qui discriminent les hommes entre ceux qui le sont vraiment et ceux qui le sont moins, comme la République entre citoyens et non-citoyens – qui justifie le massacre des vendéens, ces non-hommes, puisque non-citoyens…
Cela est faut évidemment, puisque toute idée est universelle, et peut donc être comprise par tous : c’est justement le travail du traducteur de trouver l’expression juste, le bon véhicule, pour transmettre cette idée universelle !
L’évangélisation est en cela un cas d’école : tout le monde, et toute culture peut recevoir les idées christiques, totalement absentes a priori quand le vieil homme règne (comme la charité, la libéralité, la douceur, etc) : le vieil homme a beau conquérir tous les pans d’une société lambda, jusque dans ses institutions, ses règles de politesse, ses rites religieux, et les coutumes de vengeance ou de violence, que cela n’empêche pas de transmettre la charité…au contraire puisque nous sommes tous les mêmes hommes en nature, et que Jésus-Christ vient apporter le salut à tous, sans distinction de race ni de pays.
Donc il est de foi – par déduction théologique – que toute idée, par définition universelle, peut être transmis à n’importe qui, puisqu’il est homme, sous réserve qu’il veule bien le comprendre, et qu’il ne possède pas une infirmité naturelle l’en empêchant (comme un idiot par exemple).
Aussi difficile à comprendre (un scandale pour les juifs, une folie pour les païens), cela peut être transmis ; le don des langues des apôtres le prouvent en pratique, encore plus au jour de la Pentecôte, quand chacun entendait dans sa langue natale les prêches des apôtres, par le travail du saint-esprit, qui, à ce moment-là, fut certainement le traducteur parfait : transmettre parfaitement dans la langue cible l’idée universelle contenue dans les prêches des apôtres, ici la vérité incarnée Jésus-Christ.
Comme le saint esprit, le traducteur, invisible, travaille en silence et caché du monde, par amour pour la vérité, et par amour tant pour les « émetteurs » que pour les « lecteurs ».
Les traducteurs humains, bien imparfaits, n’arrivent jamais à ce niveau, mais ils peuvent aimer la vérité, traduire fidèlement, et apporter une véritable transmission des idées justes et vraies – et les « différentes » interprétations que constituent chaque traduction indépendante ne devrait, en théorie, n’être qu’une emphase donnée sur tel ou tel aspect du même esprit.
Tout ce que je viens d’exposer pourrait suffire et nous pourrions nous arrêter là.
Il se trouve néanmoins que l’essentiel de cette différence de coutume m’est apparu que bien plus tard, sur un point dont personne ne parle, mais qui transparaît pourtant partout dès qu’on y regarde de plus près.
Pourquoi, parfois jusqu’à l’excès, la coutume japonaise force la mention du traducteur sur la couverture ?
Il y a un double mouvement : flatter l’orgueil du traducteur, d’une part, mais aussi le tenir par son orgueil. Pourquoi le tenir ? Car son nom étant affiché et en première ligne, le traducteur est comme pris en otage de l’opinion publique, et il est « forcé » de bien traduire, car sinon, c’est de toute façon lui qui essuie les frais. Le traducteur, s’appropriant l’œuvre traduite de façon peut être indue, mais par coutume, s’approprie aussi la responsabilité du résultat. Cet esprit est très vieil homme : a priori, personne ne se fait confiance dans le monde païen, et donc il faut bien garanties. Dans les anciens temps, une promesse politique était par exemple garantie par la prise d’otages des proches de celui qui promet : s’il ne respectait pas on zigouillait tous les otages ; cela permettait d’assurer une certaine fiabilité à la promesse.
Le registre est différent, mais en substance, le phénomène est proche : obliger la mention du traducteur sur la couverture permet de le « tenir », et de diluer la responsabilité de l’auteur sur ce qu’il écrit, tout en nourrissant l’orgueil de tout le monde… Nous voyons comment dans une société païenne, le vieil homme blessé imbibe jusque les moindres coutumes.
En monde chrétien, la disparition du traducteur qui se traduit par cette coutume de non-mention illustre comment l’esprit d’humilité, de bienveillance, de douceur et certaines vérité chrétiennes imbibent jusque dans les plus insignifiantes coutumes.
Le problème est quand ces « réflexes » institutionnalisés du vieil homme sont considérés comme de la « culture » intouchable, car traditionnelle, au même titre pour le coup que de véritables traits d’un génie national particulier.
Pour Dieu, pour le Roi, pour la France
Paul de Beaulias