Avec les saints de France, en avant…
…pour la reconstruction de la fille aînée de l’Église 2/3
Par Frère Clément-Marie *
Nous poursuivons notre périple à la rencontre des saints de France et de leur vie, richesse de la France grâce à Frère Clément-Marie *de la Famille Missionnaire de Notre-Dame, un grand spécialiste de la question que nous remercions vivement de son analyse.
L’épopée de Jeanne d’Arc
« Nous connaissons bien l’histoire de Jeanne d’Arc, ainsi que son action providentielle pour libérer la France des Anglais et faire sacrer le roi à Reims. Guidée par ses voix (celles de saint Michel, de sainte Catherine d’Alexandrie et de sainte Marguerite de Pissidie), elle réalisa sa mission avec un grand courage, et dans une éprouvante solitude. Elle eut affaire à un dauphin, Charles VII, très indécis et changeant, et dut affronter les jalousies de ses officiers. Néanmoins, cette jeune fille de 17 ans, gardant toujours une foi inébranlable et une pureté admirable, conduisit les troupes françaises à reprendre Orléans, leur promettant l’aide de Dieu : « Les gens d’armes batailleront, et Dieu donnera la victoire. » Elle exigeait que les soldats se confessent et communient souvent pour être en état de grâce. Et elle montre l’exemple. Comme on le sait, elle sera abandonnée par les Français, et condamnée, avec la complicité d’hommes d’Église, et, à être brûlée. Elle mourra sur le bûcher à Rouen le 30 mai 1431.
Il peut être bon de réécouter quelques extraits de ses réponses lors de son procès, pour souligner son courage et sa foi, mais aussi son bon sens.
- Savez-vous être en la grâce de Dieu ?
- Si je n’y suis, que Dieu m’y mette ; et, si j’y suis, Dieu m’y garde ! Je serais la plus dolente du monde si je savais ne pas être en la grâce de Dieu (…)
- Sainte Marguerite ne parle donc pas anglais ?
- Comment parlerait-elle anglais, puisqu’elle n’est pas du parti des Anglais ? (…)
- Quelle figure avait saint Michel quand il vous apparut ?
- Je ne lui ai pas vu de couronne et de ses vêtements je ne sais rien. (…)
- Avait-il des cheveux ?
- Pourquoi les lui aurait-on coupés ?
Interrogée pour savoir si sainte Catherine et sainte Marguerite détestent les Anglais, elle répond : « Elles aiment ce que Notre Seigneur aime, et elles détestent ce que Notre Seigneur déteste. » On lui demande alors si Dieu déteste les Anglais. Elle répond : « Dieu aime les Anglais chez eux. »
Sainte Jeanne d’Arc est co-patronne secondaire de la France. Qu’elle nous aide à vivre sa devise : « Dieu premier servi », et à garder dans nos cœurs les deux noms qu’elle portait fièrement sur son étendard : Jésus, Marie.
Passons de la Réforme à nos jours
Après la révolte de Luther, qui déchira pour longtemps l’Europe, l’Église avait besoin d’une authentique réforme, par la sainteté. Au XVIe siècle, mentionnons la figure de saint Pierre Favre (1506-1546), l’un des premiers jésuites, compagnon de saint Ignace. Citons aussi deux autres jésuites, martyrs à Aubenas en 1593 : les bienheureux Jacques Salès et Guillaume Sautemouche, qui furent tués par les Protestants pour avoir refusé d’abjurer leur foi en la présence réelle du Seigneur Jésus dans l’Eucharistie.
Un très riche XVIIe siècle : le XVIIe siècle est riche de figures de sainteté dans notre pays. Nous ne pouvons pas les évoquer longuement, et nous nous contentons de les mentionner : Saint François de Sales (1567-1622) et sainte Jeanne de Chantal (1572-1641), qui fondèrent ensemble l’ordre de la Visitation. Saint Jean-François Régis (1597-1640), qui parcourut nos régions du Vivarais et du Puy pour ranimer la foi. Saint Vincent de Paul (1576-1660), qui fonda les Lazaristes pour réévangéliser les campagnes et sainte Louise de Marillac (1591-1660), qui collabora avec lui pour fonder les filles de la charité.
Peu après, à Paray-le Monial, Notre Seigneur viendra demander la dévotion au Sacré-Cœur, dont la source est l’évangile. Il se révèlera à une religieuse visitandine, sainte Marguerite-Marie (1647-1690). Devant l’incrédulité qu’elle rencontre dans le clergé et dans son couvent, Jésus la console et lui annonce : « Je t’enverrai mon fidèle serviteur et parfait ami qui t’apprendra à me connaître et à t’abandonner à moi. » Peu après, arrive à Paray le Monial un autre grand jésuite : saint Claude la Colombière (1641-1682). Il s’ensuit une parfaite union spirituelle entre eux deux dans le Seigneur, voulue par Jésus pour faire connaître les trésors de son Sacré Cœur. En juin 1675, la sœur reçoit la grande révélation : « Voilà ce Cœur qui a tant aimé les hommes, qui n’a rien épargné jusqu’à s’épuiser et se consommer pour leur témoigner son amour. » Claude La Colombière ne sera resté que très peu de temps à Paray : à peine un an et demi… Il est un grand modèle d’humilité.
Enfin, saint Louis-Marie Grignon de Montfort (1673-1716), dont nous connaissons la vie et la mission. Son influence pour faire grandir la piété mariale fut immense, comme son zèle. C’est à lui que Jean-Paul II a pris sa devise : Totus Tuus – Je suis tout à toi, Marie.
La terrible vérité sur la Révolution française
La Révolution française est certainement la période la plus mal traitée dans les manuels scolaire d’Histoire de France. On enseigne à ce sujet des contre-vérités aberrantes. Rarement dans notre histoire les valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité ont été bafouées aussi terriblement… Si cette période a été féconde pour notre pays, c’est du point de vue de la célèbre phrase de Tertullien : « Le sang des martyrs est semence de chrétiens. »
Oui, les martyrs ont été très nombreux dans cette période troublée de notre histoire nationale, où des hommes ont pris tous les moyens possibles pour éradiquer la religion chrétienne du sol français. Le 26 août 1792, tous les prêtres doivent quitter le territoire s’ils n’ont pas prêté le serment constitutionnel demandé deux ans plus tôt. Ce sont alors 30 000 à 40 000 prêtres qui vont choisir de s’exiler. Beaucoup d’autres vivront désormais dans la clandestinité, poursuivis et menacés de mort à chaque instant
Nous voudrions évoquer à titre d’exemple, et parmi une multitude d’autres, les 99 martyrs d’Angers. Qui sont ces martyrs d’Angers ? 12 prêtres, 3 religieuses, 84 laïcs, Dans ces 99 martyrs, 83 femmes, ayant de 23 à 85 ans. Pourquoi 99 martyrs ? Le diocèse d’Angers en avait choisi 100 parmi les nombreuses victimes, 100 pour le symbole, pour représenter tous les autres, et pour lesquels il a pu être clairement établi qu’ils ont été mis à mort pour des motifs religieux ; la cause fut introduite, ironie de l’Histoire, en 1905. Mais Pie XI, impressionné par le cas de Noël Pinot, le mit à part pour le béatifier dès 1926 – nous allons y revenir. Les 99 autres seront donc béatifiés par Jean-Paul II en 1984. Ainsi qu’il le souligne, ils sont tout un peuple : des prêtres, des laïcs, hommes, femmes ; jeunes, âgés ; aristocrates, paysans, artisans…
Comme le dira Jean-Paul II, « ce qui frappe, c’est la simplicité du témoignage. Ils ne cherchaient pas à passer pour des héros, à étonner, à provoquer ; le martyre est vécu comme par surcroît, requis par la fidélité. » Des réponses pleines de bon sens, simples. À l’un d’eux on demande pourquoi il n’a pas prêté serment. Réponse : « L’Assemblée ayant laissé la liberté des opinions, je ne l’ai pas prêté parce que ce n’était pas la mienne. » Cette réponse lui vaudra un F dans la marge de la relation de son procès. F comme Fusillé. Il y aura en 3 mois 9 journées de fusillades ; le 18 janvier, 250 personnes seront fusillées ; le 1er février, elles seront 400. À Angers, de nombreux détenus sont incarcérés à la prison du Calvaire, réservée aux femmes et aux enfants ; l’hiver est très rigoureux, le chauffage inexistant, la nourriture rare. Des mères emprisonnées avec leurs enfants verront mourir auprès d’elles de froid, de malnutrition, sans pouvoir rien faire, jusqu’à 5 de leurs enfants…Voilà comment la Révolution vivait la belle devise : « Liberté, égalité, fraternité… »
Parmi ces martyrs, trois prêtres, qui n’ont pas eu un F dans la marge de la relation de leur procès, mais un G. Ils ont été guillotinés ensemble le 5 janvier 1794 : Le Père François Peltier, 66 ans ; le Père Jacques Ledoyen, 33 ans, et le Père Pierre Tessier, 27 ans, qui avait suivi l’armée vendéenne ; il fut jugé le matin du 5 janvier, et exécuté l’après-midi. Aucun des prêtres arrêtés n’avait porté les armes, mais ils n’avaient pas prêté le serment, ou avaient dit la messe pour des Vendéens, ce qui suffit à prouver la gravité de leur crime. Le martyrologe romain porte simplement cette phrase : « [Ils] furent guillotinés pour être demeurés fidèles à leur sacerdoce. » Ils sont donc tout simplement martyrs à cause de l’exercice quotidien de leur ministère sacerdotal… Certains laïcs seront fusillés aussi, pour avoir seulement assisté à la messe d’un prêtre réfractaire, pour être le père d’un tel prêtre, ou pour en avoir hébergé une nuit.
On peut évoquer aussi le cas du bienheureux Noël Pinot, qui refusa de prêter le serment de la constitution civile du clergé et expliqua en chaire sa position. Il fut arrêté alors qu’il célébrait une messe clandestine de nuit dans une maison, et fut jugé à Angers, par un tribunal dont le président était un prêtre défroqué. Ce dernier, par dérision, lui proposa d’être guillotiné revêtu des ornements sacerdotaux. Noël Pinot répondit : « Oui, ce serait une grande satisfaction. » C’est ce qui advint. Mais l’effet recherché ne fut pas atteint, et lorsque les foules, sur le parcours du condamné, virent passer ce prêtre en chasuble, qui priait profondément, les moqueries et cris habituels firent place pour beaucoup à un silence impressionné. Arrivé au bas de l’échafaud, Noël Pinot récita les prières au bas de l’autel : « Je m’avancerai jusqu’à l’autel de Dieu… » Puis il fut guillotiné. C’était un vendredi ; il était 15 heures, le 21 février 1794.
Les prêtres refusant de signer le serment étant trop nombreux pour pouvoir être tous guillotinés, on résolut d’en déporter. Cela se fit dans des conditions tellement effroyables que, lors d’une déportation vers Cayenne, 119 des 120 prêtres déportés moururent au cours du voyage. D’autres prêtres furent entassés dans des bateaux dans l’estuaire de la Loire, à Nantes, et noyés. Au total, en 1793-1794, il y eut environ 4000 personnes noyées ainsi, parmi lesquelles un bon nombre de prêtres, mais aussi des hommes, des femmes et des enfants, dans ce que le révolutionnaire Carrier, qui avait imaginé cette horreur, appellera fièrement la « baignoire nationale »…
Mentionnons encore les célèbres carmélites de Compiègne, béatifiées en 1906. En juillet 1794, elles furent condamnées à mort en juillet par le Tribunal révolutionnaire pour motif de « fanatisme et de sédition ». Conduites à la guillotine, elles chantèrent tout le trajet (Salve Regina, Veni Creator…), plongeant la foule habituellement véhémente et bruyante dans un très profond silence. Le bourreau commença par appeler la plus jeune, Sœur Constance de Jésus, une novice. Elle s’agenouille devant la mère supérieure et lui demander la permission de mourir. En montant les marches de l’échafaud, elle entonne le Laudate Dominum (psaume chanté lors des fondations des carmels, avec la symbolique de fonder au Ciel une nouvelle communauté). La mère supérieure, mère Thérèse de Saint-Augustin, sera exécutée la dernière.
Nous terminerons notre enquête avec notre dernier volet sur le XIXe siècle et vous remercions de l’intérêt que vous portez à cette belle histoire de France, unique au monde et que certains aimeraient faire oublier.
Solange Heisdorf-Strimon