Étude comparative historique du Sutra du Lotus, du Coran et du Nouveau Testament, par Paul de Lacvivier
Dans cet article, nous tenterons de déterminer la valeur historique du Soutra du Lotus, du Coran et des Évangiles du point de vue des sources historiques dites primaires, telles que les manuscrits.
Il existe plusieurs méthodes pour comparer les religions. On peut étudier leur doctrine, c’est-à-dire analyser quel est le contenu des enseignements religieux de telle ou telle religion, ou comparer leur pertinence, leur vérité, leur cohérence. Nous pouvons ainsi entreprendre des comparaisons doctrinales entre l’enseignement de Jésus, qui a révélé que Dieu est Amour et que nous serons jugés selon notre charité ; le Coran, qui a élevé l’obéissance au statut de vertu absolue, et le bouddhisme, qui cherche par tous les moyens à atteindre le « néant » intérieur. On peut également comparer les religions selon leurs fruits dans l’histoire, et leur développement à travers les âges. Le catholicisme, qui dénombre de nombreux saints et martyrs de façon constante et continue depuis 2000 ans, sous l’égide de l’Église une, sainte, apostolique et catholique ; l’islam, qui s’est étendu toujours par les conquêtes au nom de guerres saintes, le djihad, et qui continue de s’illustrer dans nos actualités par les incidents dits « terroristes », tout en formant des sectes disparates et nombreuses, puisque l’Islam n’a jamais été uni ; et enfin le bouddhisme, qui a développé ses sectes et ses écoles à sa guise en se soumettant volontairement aux intérêts mondains et à l’autorité royale (contre une protection, bien entendue), tout en formant des sectes nombreuses et hétéroclites. Au Japon, comme dans la plupart des pays de l’extrême est, les bonzes ont traditionnellement une épouse, de l’argent, et se comportent comme des familles séculières avec une succession héréditaire, etc.
On peut ainsi, par ces méthodes, comparer les fruits et le destin des organisations religieuses de chacune des religions. Il est encore une méthode qui consiste à comparer la vertu et la sainteté des fondateurs.
Dans le présent essai, nous n’adopterons aucune des approches ci-dessus, mais nous nous contenterons d’évaluer la valeur historique documentaire du Sutra du Lotus, du Coran et des Évangiles, chacun d’entre eux étant considéré comme un « Livre » majeur dans sa religion.
Nous ne ferons que compiler les recherches les plus récentes sur ces sujets.
I – La composition du soutra du Lotus
À ce jour, la recherche ne parvient toujours pas à se prononcer clairement sur l’époque exacte de l’existence du Bouddha. La date la plus tardive de sa mort est estimée à 83 avant J.-C. (hypothèse de Nakamura). Il existe d’autres théories qui placent la date de sa mort au septième siècle avant Jésus-Christ, mais selon l’historiographie la plus récente, une date de décès autour du début du quatrième siècle avant Jésus-Christ serait la plus raisonnable et les chercheurs s’accordent en général sur cet ordre de grandeur. Le consensus dans la recherche affirme aussi que dans les cent ans qui ont suivi la mort du Bouddha, il y a eu une première puis une deuxième assemblée des disciples du bouddha pour décider d’un corpus de textes (dont le point central était des décisions pour fixer les règles de la discipline monastique, et non pas le dogme). Ces assemblées n’ont pas permis de garder l’unité, et elles suscitèrent rapidement des scissions et des divisions, donnant naissance à d’innombrables sectes qui ne sont plus jamais revenues à une forme unifiée (la scission sur la question de la discipline démontre d’ailleurs que la doctrine elle-même était déjà très vague et ne permettait pas d’unité). Ainsi, selon la tradition bouddhique, les premiers Soutras et Lois ont été codifiés dans les cent ans qui ont suivi la mort du Bouddha.
Toutefois, selon la théorie historiographique dominante, les « soutras » tels qu’ils sont connus aujourd’hui ont été établis vers l’an 0. C’est-à-dire, au moins 300 ans après la mort du Bouddha selon la thèse dominante. En ce qui concerne les manuscrits, les plus anciens datent du 1er siècle de notre ère, mais le Soutra du Lotus lui-même date du 6e-7e siècle de notre ère (manuscrits du Cachemir), tandis que les manuscrits les plus utilisés sont népalais et datent du 11e siècle.
En tout état de cause, les manuscrits anciens sont fragmentaires et dispersés et, de plus, lorsque l’on considère leurs traductions chinoises respectives, ils ne sont pas du tout cohérents entre eux et présentent de nombreuses différences voire contradictions. Même le Soutra du Lotus à lui seul n’est pas clair quant à sa composition, et se base de fait sur les diverses traditions de différentes sectes.
En résumé, l’époque de la vie du Bouddha n’est pas connue, et on ne connaît pas plus l’époque de la composition des soutras qui sont censés relater ses prédications. Ces soutras présentent de plus d’innombrables variations selon les manuscrits et ils varient considérablement d’une langue à l’autre et d’une secte à l’autre. Il est aussi factuel que la vie du Bouddha telle qu’elle est connue traditionnellement est également remplie de légendes pieuses, qui peuvent faire penser à ce que présentent certains des écrits apocryphes de la tradition chrétienne.
En d’autres termes, rares sont les historiens qui considèrent le Soutra du Lotus et les autres soutras comme des « sources historiques » utilisables pour faire de l’histoire, car ils manquent d’authenticité historique et de valeur en tant que documents historiques.
II – La composition du Coran
Selon les recherches les plus récentes, il est de notoriété publique que le Coran original est issu d’une liturgie judéo-chrétienne. En d’autres termes, la composition du Coran s’est fondé sur des textes chrétiens écrits en araméen-syriaque pour les Arabes à l’époque païenne1. Cela s’explique par le fait que des chrétiens d’origine juive étaient actifs dans la péninsule arabique dès la destruction du temple puis l’expulsion des juifs de Palestine. Le contenu du Coran est également disparate et constitue une sorte de patchwork, dont certaines parties ont été identifié comme provenant d’évangiles apocryphes, des textes religieux manichéens (ou zoroastriques) et d’autres textes religieux du Moyen-Orient ont été transcrites directement dans le Coran. La date de décès de Mohammed est donnée comme étant 632. (Certaines théories mettent en doute l’existence même de Mahomet en raison de la rareté, pour ne pas dire l’absence, de sources historiques à l’époque sur lui).
Selon la tradition islamique, le troisième calife (mais selon certaines traditions ce serait le quatrième calife) a ordonné la compilation du Coran et il aurait alors ordonné que toutes les variantes soient brûlées.
Des documents juridiques de l’empire fondé après la mort de Mahomet subsistent à la fin du 8e et au 9e siècle, mais il n’existe aucun récit sur le Coran présent dans ces documents les plus anciens de la tradition islamique.
Les premiers manuscrits véritables du Coran actuel que nous possédons datent en pratique du 9e siècle. Il faut noter que la lecture du Coran est équivoque et peut se lire de multiples façons. Les textes qui l’interprètent sont également disparates et nombreux, à tel point qu’au Xe siècle, un ordre a été donné pour limiter à sept les lectures possibles du Coran.
Les manuscrits les plus anciens de ce qui approcheraient le Coran, datés de 654 et 772, présentent de nombreuses différences avec le Coran actuel (environ 750), l’agencement est très différent, et de nombreux sourates sont absentes. Le Coran s’auto-proclame clair, mais environ un cinquième de celui-ci serait totalement inintelligible (une propriété de l’écriture de la langue arabe). La version officielle et patentée actuelle du Coran a été établie en 1923.
En bref, la valeur historique du Coran est faible, et il est également fort probable qu’il ait été compilé et falsifié après coup. Quoi qu’il en soit, c’est un livre qui recèle de nombreux problèmes en raison des nombreuses incohérences de son contenu et de la manière dont elle est lue, qui permet des lectures nombreuses et contradictoires. Ce qui est sûr c’est que le Coran ne peut pas être utilisé comme source historique, tant de par les doutes sur son authenticité, que par son contenu obscure et contradictoire.
La difficulté majeure sur le sujet du Coran se trouve dans le fait que l’Islam interdit strictement la recherche académique et l’interprétation religieuse du Coran, donc contrairement à la recherche sur le Soutra du Lotus et les Évangiles, la recherche historique sur le Coran est en retard, et rencontre de nombreuses difficultés.
III – La composition des Évangiles
De nombreuses sources historiques externes aux évangiles étayent l’existence historique de Jésus-Christ : ses dates de naissance et de mort de Jésus-Christ sont connues avec une précision très grande pour l’époque (certains parlent de l’an 6 de notre ère ou de l’an 6 avant J.-C., avec une date de décès fixée à 30 ou 33 de notre ère, ce qui est d’une rare précision pour des époques aussi lointaines). Parmi tous les « livres » des diverses religions, les Évangiles sont la plus attaquée et la plus étudiée par les chercheurs : malgré cela, la valeur historique des Évangiles est communément acceptée comme élevée par la communauté scientifique, même hostile.
Le plus ancien document manuscrit du Nouveau Testament est la lettre de saint Paul aux Romains, envoyée en 51 de notre ère. Les quatre évangiles ont également été écrits par les quatre apôtres ou disciples de Jésus-Christ avant l’an 100 ou vers l’an 100 pour celui de Saint Jean. En examinant le contenu des évangiles, les historiens s’accordent à dire que les apôtres ont aussi rapporté de nombreux passages très honteux pour eux-mêmes, et compte tenu de la sobriété générale des récits et l’absence du genre « merveilleux », les historiens s’accordent pour dire que le contenu des évangiles n’a pas pu être imaginé ou falsifié, et que son degré de véracité est très élevé au regard des critères internes des textes.
Le premier manuscrit retrouvé est l’Évangile de saint Jean, daté de 150 (pour ces temps anciens, il est très rare de trouver un manuscrit aussi précoce par rapport à l’année de sa composition, ici environ 50 ans après sa composition).
En revanche, la date d’écriture des apocryphes (textes éliminés très tôt par l’Église catholique) et des autres manuscrits rejetés en dehors du Canon, se situe entre 150 et le 4e siècle, et nous ne possédons comme manuscrits que des documents dont le plus ancien date des années 330. La différence de qualité historique entre les textes du Canon, et les textes apocryphes est indéniable.
Nous avons pour le Nouveau Testament : plus de 5 500 manuscrits en grec, 10 000 en latin, 9 000 en d’autres langues, et plus de 36 000 citations du Nouveau Testament dans les écrits des Pères de l’Église (seuls 11 passages du Nouveau Testament tel que nous le connaissons par le Canon ne sont pas cités par les pères de l’Église). Les quelque 5 000 manuscrits du Nouveau Testament écrits en grec (un seul Évangile est en araméen, les autres en grec) sont identiques à plus de 99,5 %, ce qui est exceptionnellement élevé pour des manuscrits copiés à la main. Les manuscrits ont été fouillés dans toute la Méditerranée, sans parti pris géographique ou chronologique, et cette concomitance des manuscrits ne vient pas d’un biais de recherche.
Quant à l’Ancien Testament, sa valeur archivistique est également très appréciée, avec de plus en plus de preuves archéologiques venant étayer la valeur historique de l’Ancien Testament.
En bref, les Évangiles, les Épîtres et les Actes sont des documents historiques très fiables et peuvent être utilisés en histoire (indépendamment de la foi), pour connaître des faits historiques de l’époque.
Conclusion
Ce qui précède n’est qu’une brève introduction en la matière, et si vous souhaitez examiner le sujet de façon plus approfondie, vous pouvez vous référer aux études universitaires existantes sur le sujet.
Il s’agissait de montrer que en général et dans le détail, le Sutra du Lotus, le Coran et le Nouveau Testament sont des livres totalement dissemblables et, historiquement parlant, ce sont des mondes complètement différents : nous sommes dans le mythe pour le Sutra du Lotus, dans le patchwork obscur et anhistorique pour le Coran, et dans un témoignage historique sobre pour le Nouveau Testament.
L’étude a trop tendance de tomber aujourd’hui dans une occasion de relativisme qui devient un dogme de trop nombreuses études. Néanmoins, étudier est avant tout déterminer des faits tels qu’ils sont — ce qu’on appelle « vérité », soit l’adéquation d’un jugement à une réalité. Il appartient à chacun d’entre nous de tirer des conclusions de ces faits établis par la science, faits établis via une méthodologie qui donne une certitude scientifique tout en limitant le domaine de ces certitudes. Pour permettre une étude comparative sérieuse, il s’agit d’abord de comparer des faits établis avec les mêmes critères et les mêmes exigences critiques, ce qui est souvent le point d’achoppement quand il s’agit d’étudier des phénomènes religieux ou anthropologiques, puisque le fait chrétien est bien plus connu et attaqué que les faits païens, moins connus, moins sourcés, et toujours encensés – quoiqu’a qui sait regarder, sait trouver des sources.
Paul de Lacvivier
Institut Lys et Chrysanthème – Tokyo
1 Michel Rouche, Les origines du christianisme, p. 33. Voir aussi les recherches du Professeur Christoph Luxenberg (qui a publié sous pseudonyme afin d’éviter les menaces provenant des islamistes sur sa personne). Voir aussi Alphonse Mingane, Adolph von Harnac et Theodor Noldek.
Bibliographie :
- Michel Rouche, Les origines du Christianisme, 30-457, Hachette supérieur, 2021 (manuel universitaire pour chercheurs ; la page 33 présente les origines du Coran comme basées sur les écritures chrétiennes. Il est aussi rappelé l’existence historique des sacrements et de la primauté de l’évêque de Rome dès le début de l’Eglise au premier siècle, ainsi que le fait qu’il y avait une doctrine légitime et claire dès le début, y compris dans l’Exégèse apostolique).
- Masatoshi Ueki, 法華経とは何か (« Qu’est-ce que le Sutra du Lotus »), Chuko Shinsho, 2020.
- Guy Pagès, La preuve par le Coran, DMM, 2021 (l’abbé Pagès y examine le Coran phrase par phrase, en mettant l’accent sur le texte original. Il convient d’être prudent car il s’agit d’un texte polémique, mais il est basé sur des recherches antérieures considérables).
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