Les nations peuvent-elles être sauvées ?, par Paul-Raymond du Lac
Cette question préoccupe souvent beaucoup de bons français – et aussi de bons sujets d’autre pays. Le salut est foncièrement individuel, comme l’enseigne le catéchisme, et il ne saurait être question de salut de « communautés » politiques en tant que telles.
Et la littérature scientifique moderne aime à souligner à outrance ce caractère individuel du salut, y imputant de façon tout à fait scandaleuse la source et la cause de l’individualisme occidental moderne, que tout conservateur, ou tout traditionnel déteste tant – car il est contre-nature.
Les débats sont ainsi souvent viciés sur le sujet, et il n’est pas facile d’avoir les idées claires, surtout dans un contexte de « dissociété » comme le disait Marcel de Corte, qui fait que même les clercs traditionnels, même les légitimistes très tradis, ont perdu la connaissance pratique de ce que peut être une société traditionnelle constituée, depuis la famille jusqu’au royaume.
Ajoutons que les nationalismes, patriotismes et impérialismes modernes, faisant de ces entités abstraites que sont la nation, l’état ou l’empire des sortes d’idole, ne viennent pas simplifier le débat : beaucoup de belles âmes croient honnêtement qu’il faudrait se sacrifier pour la nation par exemple… Relisons « Les deux patries » de Jean de Viguerie pour nous fixer les idées sur la question, qui reste la référence actuelle sur ce sujet.
Pourtant l’histoire montre bien, c’est une évidence, qu’en ce bas monde aucun empire, aucun pays, aucune communauté politique n’est éternel. Elles sont même très fugaces ; et si encore une nation pouvait durer tout le temps de l’humanité – ce qui n’existe pas en pratique – elle aurait une fin, la fin du monde, et elle a eu un début, puisqu’avant Babel, pas de nations.
Selon la devise chauvine de certains catholiques français : « la langue du paradis est le français ». Vue le nombre de saints sortis des terres franques, cela est possible.
Un taquin aurait aussi tôt d’ajouter : « et certainement qu’au fin fond de l’enfer on parle aussi français ! »
Certes, cela est probable vu le nombre de diables révolutionnaires nés dans notre royaume.
L’important c’est que la langue du paradis est surtout la charité, qui est Dieu lui-même, c’est la seule chose certaine.
Ceci dit, les « nations » disparaissent-elles après la mort ? Que pouvons-nous répondre à cette inquiétude bien humaine, et honnête, de certains ?
Disons que dans un certain sens, oui, et dans un autre sens, non.
Les communautés politiques ici-bas, dont la famille, font partie de notre nature voulue par Dieu pour remplir des fins terrestres au service des fins divines. Pour la famille en l’occurrence, la propagation du genre humain ; pour les communautés politiques en général, le service du bien commun pour la perfection de chacun afin de mieux parvenir à une vie vertueuse et donc permettre de nous conformer mieux aux fins surnaturelles que Dieu a voulu pour chacun de nous.
En ce sens, au paradis, ces communautés politiques n’auront plus lieu d’être, puisque toutes ces fins terrestres ne seront plus, ou plutôt elles seront accomplies : plus de procréation, plus de mission particulière pour sauver les âmes (ça y est, elles le sont), plus de bien commun à défendre puisque nous serons dans la vision béatifique, bien supérieure à tout bien secondaire. Plus de mort, plus de maladies, plus de péché, toutes les fins de protections et de justice seront aussi accomplies, il n’y aura plus lieu d’avoir des préposés de Dieu pour ce faire.
Les communautés politiques au ciel, ainsi, n’auront plus de « raison d’être », puisqu’elles sont accomplies.
Cela veut-il pour autant dire qu’elles n’existeront plus ?
Non plus. Pourquoi ?
Car si le salut est personnel, nous sommes aidés (selon le plan divin) ou entravés (à cause des péchés des uns et des autres, et autorisés par Dieu pour de plus grands biens) par les communautés politiques pour effectivement arriver au salut. En dernière analyse, seule la coopération individuelle peut permettre le salut, mais ceci dit encore faut-il pouvoir coopérer – connaître Dieu, Jésus, ses commandements, être vertueux, etc – et cela dépend des communautés politiques, de notre âge (si je suis assassiné dans le ventre de ma mère, je ne peux même pas commencer l’embryon d’une vie vertueuse, et encore moins d’une vie imitant Jésus-Christ, je ne peux même pas choisir Dieu puisque ma raison n’a pas eu le temps de se former). D’où l’importance de la (vraie) politique, qui permet à chacun d’arriver à une perfection naturelle nécessaire pour les fins surnaturelles.
Car comme nos mérites peuvent servir au salut des autres – nous pouvons payer pour les autres et pour leur salut, Jésus nous en montre l’exemple parfait sur la Croix– les péchés des autres peuvent aussi « plomber » le prochain, selon le fameux principe de substitution : nos actes ont des conséquences sur nous mais aussi en dehors de nous. C’est évident mais souvent oublié aujourd’hui dans un contexte moderniste et individualiste qui veut faire croire que nous sommes comme des électrons libres, devant les hommes ou devant Dieu.
On vous tue, par exemple, en état de péché mortel, et bien vous irez en enfer, même si ce n’est pas « de votre faute » d’avoir été tué, et que cette assassinat est bien le péché de quelqu’un d’autre.
L’homme est ainsi fait, nécessairement dépendant de la communauté politique, à commencer par la famille, la cellule fondamentale voulue par Dieu.
Ne prions-nous pas le matin la prière suivante ?
« Ô Vierge Marie, nous consacrons aujourd’hui notre foyer et tous ceux qui l’habitent à votre Cœur Immaculé. Que notre maison soit comme celle de Nazareth, une demeure de paix et de bonheur simple par l’accomplissement de la Volonté de Dieu, la pratique de la charité et le plein abandon à la Divine Providence. Veillez sur tous ceux qui l’habitent, aidez-les à vivre toujours chrétiennement, enveloppez-les tous de Votre maternelle Protection et daignez dans votre Bonté, ô Vierge Marie, reformer au Ciel notre foyer d’ici-bas consacré à jamais à votre Cœur Immaculé. Ainsi soit-il. »
Nous espérons ainsi retrouver la famille au ciel.
Et cela est légitime.
Cela nous enseigne de plus la vraie nature de la société politique : ce n’est pas une abstraction, ni un « État », ni une « Nation », ni une « Culture », mais bien des relations d’homme à homme, des relations incarnées et nécessaires pour notre perfection.
Ainsi nous avons une relation au Roi de France, mais pas à « l’État républicain », nous avons une relation aux voisins, aux villageois, au maire, mais pas « à la commune », nous avons une relation avec le curé et les paroissiens, mais pas à la « Paroisse ». Nous avons une relation à Jésus et à ses représentants, à Notre Dame, mais pas à « l’Église » abstraite.
Tous ces mots abstraits sont d’un usage légitime tant qu’ils désignent le corps politique correspondant, constitué et incarné, c’est-à-dire la hiérarchie organisée, organique et incarnée de personnes humaines, chacune à sa place : en ce sens, les corps politiques sont bien plus qu’un agrégat d’individus, c’est certain. Mais ils n’existent pas sans les personnes, et surtout sans leur tête, et sans avoir été institués par Dieu (Église, royaume de France, etc), ou par les hommes par délégation ou participation (famille par le mariage, qui suppose la volonté, corporations, associations quelconques).
Cette vision était naturelle et classique chez les anciens, d’où le fait que l’inquiétude très moderne de savoir si les « communautés politiques » existeront au ciel est en fait une sorte de non-question.
Il est évident que ces communautés seront encore au ciel dans le fait que les relations humaines de cette terre, tant politiques, charnelles que spirituelles, seront maintenues au ciel !
Et même mieux : vous rencontrerez aussi tous ceux à qui vous devez votre salut. Tel ancêtre qui a posé telle coutume dont vous vous ne vous rendiez même pas compte, mais qui vous a servi toute votre vie – par exemple se lever tôt. Tel seigneur, tel saint qui a fondé le christianisme dans votre région. Que sais-je ? Ce sera en tout cas un instant merveilleux de rencontrer tous ces gens à qui nous devons tant.
Faire son salut ressemble peut-être un peu à un examen que l’on passe : en fin de compte on passe l’examen seul, et sa réussite ou pas est de notre fait personnel. Et pourtant, il faut bien une préparation, et c’est pourquoi, en tête d’un mémoire de maîtrise par exemple, on met des « remerciements » : on sait bien combien nous devons à tant de personnes qui nous ont aidés d’une façon ou d’une autre – et parfois même en dehors de notre connaissance.
Inversement, nous réussissons parfois un examen malgré certaines personnes, et des entraves mises par des gens – mais par délicatesse, il n’est pas de coutume de mettre un paragraphe de « non-remerciements aux gens qui ne nous ont pas aidé », cela serait déplacé.
Mais la réalité est là, on réussi grâce à d’autres, et souvent on manque par sa faute personnelle – malgré toute l’aide qu’on a pu recevoir par ailleurs, et d’abord et avant tout celle de Dieu. Mais parfois aussi, on rate du fait des autres, qui « compliquent » notre réussite, sans jamais l’empêcher – imaginer que vous savez qu’il faille rentrer à Polytechnique, mais qu’on vous inscrit de force à Khagne, il va falloir beaucoup plus d’efforts et de mérites pour quand même réussir le concours de Polytechniques, mais rien ne vous empêche non plus, c’est une question de volonté et de se donner les moyens malgré les autres.
En fin de compte, les communautés politiques se retrouvent au ciel telles qu’elles sont en réalité : des corps de relations humaines, de personnes réelles.
Avec deux particularités néanmoins : elles seront simplement le signe et la preuve de notre vie terrestre et de la vie des hommes sur la terre, avec les relations avec les ancêtres, et la communauté des saints, mais sans plus de raison d’être présente.
Et il n’y aura plus « d’oppositions » entre ces communautés : nous serons tous de la même grande famille des saints en Dieu, avec Adam et Eve comme nos premiers parents, et nous verrons ce qui nous relie à tous les autres saints. Cela n’enlève rien à la réalité des liens politiques, charnels et spirituels particuliers que nous aurons, mais nous aurons beaucoup mieux et bien plus ! Et ce ne sera jamais une raison de chauvinisme ou d’opposition, au contraire !
Quel bonheur extraordinaire ! Imaginez un peu…
Alors non, les nations ne sont pas « sauvées », mais c’est parce que nous avons une vision erronée et moderne de nations-idoles (ou patrie, ou empire, ou État-nation, etc).
Soyons simple : revenons à la vision des anciens, celle des « corps politiques », et donc de personnes humaines inscrites dans un corps, qui n’a pas de sens en dehors des âmes qui le composent.
Et là, en ce sens, oui, nous retrouverons nos familles, nos rois, nos curés, nos amis, nos bienfaiteurs et bien plus de monde encore là-haut !
C’est aussi un encouragement immense à l’apostolat, d’abord pour nos proches !
Pour Dieu, pour le Roi, pour la France
Paul-Raymond du Lac