Cinéma. Lamborghini.
Je ne conseillerais pas de voir ce film, il y a mieux à faire. Mais il est intéressant de l’analyser, pour donner des arguments apologétiques et observer une inflexion de « l’esprit du temps ».
J’ai eu la faiblesse de visionner ce film en prenant comme excuse de me renseigner sur une marque qui figure dans mon portefeuille client, comme on dit. Je n’allais quand même pas perdre le temps de lire un livre sur les voitures, un sujet qui m’ennuie au plus haut point.
Je m’attendais à trouver un film thuriféraire d’une épopée et d’un homme, sans examen aucun : en fait il montre, peut-être sans le vouloir, qui sait, un tableau qui semble assez objectif, et surtout très peu enthousiasmant sur les résultats et les réalités de la réussite sociale.
Le film est une adaptation des mémoires écrits par le fils Lamborghini, qui lui taille un beau costume…
Le film est aussi de bonne facture, sur la forme, et permet de suivre un peu la – triste – évolution de l’Italie de l’après-guerre, d’une certaine ambiance générale d’une société qui sait encore « se tenir », mais à la morale se relâchant vers les affreuses années 1970 et 1980, celle où tout éclate dans la superficialité et la mondanité.
Ce Lamborghini a une ambition démesurée, et part de rien, pour arriver au sommet de la célébrité, et sombrer ensuite dans l’oubli. Comme cela finit-il ? Il est seul, son fils le déteste, son épouse aussi, et à part ses « œuvres » et son argent, il n’a rien… et on se rend compte qu’il couvre un abîme de tristesse en se perdant dans l’activisme entrepreneurial, profitant de la vacuité de son temps et de l’attirance des hommes vains pour le luxe inutile… Bref, le tableau final est sombre, mais peint subtilement et sans misérabilisme : les amoureux des voitures seront certainement comblés, tout en pouvant retracer son histoire personnelle sur le fond de la reconstruction d’après-guerre.
Il n’y a évidemment pas de références religieuses, mais on sent bien que ce pauvre monsieur aurait pu avoir une vie très différente s’il avait été bon catholique, et ici et là on sent la Providence qui le prévient…en vain.
En particulier, dès le début, quand il fonde au retour de la guerre une entreprise de tracteurs avec un camarade de guerre, la main de la Providence est patente – les auteurs l’ont-il fait exprès ? Il va d’échecs en échecs au début, mais par ses camarades de guerre – dont un banquier – et au moyen d’une action peu glorieuse, contre l’avis de sa femme – celle d’accepter de mettre en hypothèque la ferme de son père pour produire un prototype –, il parvient à obtenir un prêt et à lancer une production.
Mais à quel prix ?
Il a jeté l’héritage familial, car il était l’aîné, et en plus il s’est permis de risquer ce que des générations avaient construit, en risquant de mettre ses frères à la rue ! Les cadets peuvent conquérir, l’aîné a le devoir d’hériter, de conserver et de faire prospérer : il commence sa carrière en refusant sa vocation d’aîné, ce n’est pas très engageant.
Il ne doit sa réussite qu’à l’amour de son père, qui met sa ferme en hypothèque pour lui, trop gentil…
Il n’écoute pas sa femme, qui lui ordonne de mettre l’argent de l’hypothèque sur le compte de son père, mais – par un quiproquo dans le film qui laisse le doute sur la préméditation de l’acte – il met l’argent à son compte et l’utilise pour créer son prototype, sans le dire à son épouse enceinte.
Il abandonne son foyer pour travailler encore et encore, au point que le jour de l’accouchement, alors même que sa femme lui avait demandé de rentrer tôt, il rentre tard, et sa femme est morte en couche… Le bébé survit, et pour s’en occuper, il se remarie avec une autre femme, qu’il « pique » à son ami et associé – il ne pouvait rien réussir sans la famille, et sans une femme qui le soutient…
L’entreprise marche car l’Italie est paysanne et a besoin de tracteurs…
Et, dix ans plus tard, ne se satisfaisant pas du succès honnête de son entreprise de tracteurs, il décide, par esbroufe et vengeance, d’aller défier Ferrari sur le terrain des voitures de luxe, en mettant en péril toute l’entreprise, ses salariés, dans un volontarisme forcené, usant du sens du travail des gens de l’époque qui, comme les japonais encore aujourd’hui, pouvaient rester à faire des nuits blanches… Mais pour quoi ? Pour une voiture de luxe…
On ne parle ni du bon Dieu, ni du Roi : notre époque est ridicule dans son épuisement et sa poursuite de vanités.
Et il est volage, il se fait détester de son fils, et de sa femme, et il finit très riche et très seul…
Concluons : il est intéressant de constater qu’un film grand public sur ce genre de sujet, de belle facture cinématographique, n’encense pas aveuglement le succès mondain, mais souligne de façon assez surprenante toutes les conséquences néfastes des actions interlopes, malgré le succès apparent, et les risques de la mondanité qui perd l’âme et dévaste les vies.
Pour Dieu, pour le Roi, pour la France
Paul de Beaulias