CivilisationHistoireLes chroniques du père Jean-François Thomas

Sur les traces de saint Ignace de Loyola (7)

VII. Les épreuves jusqu’à la mort (1552-1556)

Au vu des multiples fondations de communautés de collèges, de missions tout au cours des dernières années de la vie de saint Ignace, d’aucuns pourraient croire que ce temps fut plus favorable au fondateur, enfin libéré des soucis ordinaires. Il n’en fut rien. Comme tout corps en croissance, les crises ne manquèrent point dans cette jeune Compagnie qui attirait à elle beaucoup de vocations, pas toujours éprouvées. De plus, parmi les jésuites les plus proches de saint Ignace, certains ne partageaient pas toujours ses convictions et ses décisions. Les provinces du Portugal et de l’Inde, tout particulièrement, causèrent bien de la peine au Général. Simon Rodriguez, qui fonda la province du Portugal, la plus florissante du nouvel Ordre, était un homme d’action, brillant, mais des tensions éclatèrent à partir de 1551-1552, affaire très complexe qu’il est encore aujourd’hui difficile de comprendre à l’analyse des courriers entre lui et saint Ignace. Manquant d’ordre et de clarté, il réagit de façon instinctive, exactement le contraire d’Inigo. Les deux hommes s’apprécient pourtant. Saint Ignace a du mal parfois à se faire obéir de ceux qui, autour de lui, sont revêtus d’une autorité naturelle ou de naissance, comme François de Borgia ou Torrès qu’il nomme visiteur et nouveau provincial du Portugal, mais en vain. La première province de l’Ordre ne cesse de se diviser et d’attaquer la personne même d’Ignace. Saint Ignace écartera aussi Bobadilla de Naples. Le P. André Ravier, historien de la Compagnie, a magnifiquement détaillé dans ses nombreux ouvrages la complexité des oppositions et la ténacité de saint Ignace. En étudiant la correspondance, il relève les différents aspects de la personnalité du fondateur : l’homme spirituel, le maître religieux, le directeur de conscience, en tous points admirable ; le saint, mystique, qui répond à une mission que Dieu lui a confié ; l’homme de gouvernement capable d’analyser les situations et de les démêler sans se lasser ; l’administrateur parfois pointilleux et agaçant vérifiant tous les détails (comme le rasage de la barbe ou la durée de la célébration de la messe de tel ou tel père) ; le diplomate qui, subtilement, fait face aux grands du monde et de l’Église ; et enfin, l’homme dévot (bien négligé aujourd’hui dans la Compagnie), celui qui est attaché aux reliques, aux grains bénits, avec une simplicité d’enfant.

Saint Ignace, tout en demeurant fidèle à ses grands principes spirituels, exposés dans les Exercices, se durcit parfois et sa plume devient aussi tranchante que celle de saint François-Xavier lorsqu’il écrit des Indes. En tout cas, il est toujours soucieux des cas personnels qu’il étudie avec soin et traite avec intelligence et charité. Le 2 décembre 1552, François-Xavier meurt dans l’île de Sancian, en face de la Chine. L’annonce de sa mort ne parviendra à Rome que deux ans plus tard. Pendant ce temps, la présence de Laynez et de Salmeron au concile de Trente permet de nouer des liens avec beaucoup d’évêques qui, pour beaucoup, réclameront des fondations de collèges dans leurs diocèses. La diffusion des Lettres des Indes, nouvelle épopée missionnaire déjà couronnée par des martyres de compagnons, attisera la foi et le zèle de beaucoup d’hommes désireux de se consacrer au service de Dieu. Le 26 mars 1553, Ignace écrit sa très célèbre lettre sur l’obéissance aux scolastiques de Coïmbre au Portugal. Ce texte deviendra une sorte de charte sur ce sujet, en parallèle avec les Constitutions. Très soucieux de l’expansion de l’hérésie réformée, saint Ignace demandera à toute la Compagnie, sur les conseils de Pierre Canisius, de célébrer des messes et de prier pour l’Angleterre, l’Allemagne, les pays du Nord de l’Europe. Il travaille sur tous les fronts, devant également répondre aux urgences, clarifier bien des aspects de la vie religieuse. Tout va dans le sens du désir de conserver une idée très pure, idéale, de la Compagnie qu’il s’était forgée. Barnabites et Théatins reviennent plusieurs fois à la charge pour être intégrés dans la Compagnie mais il refuse. En 1553, les statistiques donnent le nombre, approximatif, de 980 jésuites répartis à travers le monde connu.

La santé d’Ignace décline et il demande l’aide d’un Vicaire Général. Nadal sera élu en 1554. Les Constitutions ne sont pas encore traduites en latin et tardent donc à être diffusées officiellement. Les Exercices spirituels sont très attaqués en Espagne. L’Université de Paris édicte un décret contre la Compagnie, ce qui a aussitôt des répercussions dans tout le monde chrétien. Laynez est chargé de rédiger un opus theologicum à l’usage de tous les jésuites. Canisius écrit un Catéchisme, Polanco un Directoire pour la confession. Ignace est très attentif à la pureté et à l’unité doctrinales. Les défections dans la Compagnie sont fréquentes en 1554 à cause d’un discernement trop rapide par endroits en ce qui regarde les vocations. Ignace met au point les Constitutions en y apportant sans cesse des corrections pour les améliorer. Paul IV est le nouveau pape, et il lui déplaît de voir que la Compagnie n’a point d’office au chœur ou que le généralat est à vie. En 1555, saint Ignace passe beaucoup de temps à défendre la Compagnie, attaquée notamment en Espagne par les dominicains. Il n’utilise pas la procédure judiciaire, mais mobilise les témoignages des princes, des cardinaux, des évêques, des municipalités, en faveur des jésuites. En octobre de cette année, il annonce officiellement la mort de François-Xavier, car, jusqu’alors, seules des rumeurs incertaines avaient apporté la nouvelle.

Voici venir les derniers mois de l’existence terrestre d’Ignace, toujours combattant pour la réputation de la Compagnie mise à mal, pour l’expansion des missions et des collèges jésuites. Il continue de créer des provinces. Borgia reçoit des pouvoirs très étendus sur le Portugal, l’Espagne, les Indes Orientales et Occidentales. Saint Ignace insiste pour que les jésuites apprennent la langue du pays où ils résident et travaillent, caractéristique de ces religieux depuis lors. Il rétablit le chœur dans les églises de la Compagnie. Il harangue au sujet de la pauvreté et maintient des règles très strictes en ce domaine. Dès le 11 janvier, son état de santé s’aggrave. Il s’agit en fait d’une atteinte du foie qui l’empêche, depuis plusieurs mois, de célébrer la messe. Après une légère amélioration apparente, il rechute le 11 juin et décide alors de déléguer le gouvernement à Polanco, à Christophe de Madrid, et à François Borgia. En juillet, il se retire sur l’Aventin dans la maison de vacances des élèves du Collège Romain. Laynez est également gravement malade. Le 28 juillet, Ignace, se sentant au plus mal, se fait transporter de nouveau à la communauté de la Strada. Le 30 juillet, après le repas de midi, sachant qu’il est à toute extrémité, il demande à Polanco d’aller demander la bénédiction du Pape pour lui et les autres malades de la maison, mais Polanco, habitué à l’état maladif d’Ignace, décide d’attendre le lendemain. Le soir, saint Ignace prend son dîner et règle des affaires en cours, rassurant ainsi son entourage. Au petit matin du 31 juillet, il est trouvé agonisant dans son lit. Polanco se précipite chez le Pape tandis que tous les membres de la communauté entourent le mourant. Polanco rentrera trop tard, muni de la bénédiction apostolique et de l’indulgence plénière pontificales car saint Ignace a rendu l’âme à 5h30, assisté des Pères Madrid et Frusius. Le masque mortuaire est pris par un chirurgien, et le lendemain, le corps d’Ignace est mis au caveau dans l’église de la Strada.

Laynez s’étant rétabli est élu Vicaire Général en attendant la possibilité d’élire un nouveau Préposé Général. Il est l’homme de la situation car Paul IV souhaite imposer des changements. Une crise s’ouvre, délicate, qui durera deux ans, jusqu’à la fin de la Ire Congrégation Générale au cours de laquelle Laynez devint le deuxième supérieur général. Jusqu’à son souffle ultime, saint Ignace porta la Compagnie devant Dieu et devant le Souverain Pontife, la stimulant sans se lasser vers la sainteté et vers l’action pour les missions les plus rudes et les plus lointaines, ceci pour la gloire du ciel. Lui qui avait reçu le don des larmes pouvait enfin contempler face à face Celui qui l’avait saisi dans ses filets grâce à un boulet français tiré à Pampelune.

FIN

 

P. Jean-François Thomas s.j.

3 décembre 2022

Saint François-Xavier

 

 

 

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